Présenté samedi 22 novembre au Rio, à l’ouverture de la 26ème session des Journées Théâtrales de Carthage, Rêve(s) : comédie noire est la nouvelle pièce théâtrale de Fadhel Jaibi et Jalila Baccar par Familia Productions et le Rio.

Rêve(s) n’est pas un spectacle qui cherche à rassurer. Sa mise en scène, d’une lucidité presque tranchante, explore les failles silencieuses qui traversent la société tunisienne. Entre chaos intime et fractures collectives, la pièce interroge ce que nous sommes devenus et ce que nous ne savons plus nommer.
Dès les premières minutes, il est clair que Rêve(s) n’est pas un spectacle qui cherche à plaire, mais à confronter.
Une lucidité presque brutale traverse sa mise en scène : celle d’un regard qui rassemble le chaos que nous vivons et le transforme en matière dramatique, en document vivant sur ce pays et sur nous, dans notre fragilité et notre médiocrité les plus nues.
Rêve(s) ne propose pas une lecture politique frontale, mais une plongée psychologique dans le paysage tunisien — une véritable Psyché tunisienne.
C’est une dissection minutieuse des strates de peur, des traces du traumatisme, de cette fatigue silencieuse qui s’est glissée dans nos gestes, nos mots, nos attentes et notrequotidien.
Les personnages apparaissent comme des archives humaines :
- La migration devenue miroir de l’effondrement institutionnel ;
- La corruption installée comme mode de fonctionnement ;
- Le jugement social et le stéréotype autour des libertés individuelles, qui s’épaississent comme une ombre familière ;
- L’effritement du sens, broyé entre survie et renoncements.
Par une intelligence scénique rare, le spectacle déconstruit la distance entre l’individu et le pouvoir, entre le corps et la décision politique, entre la vérité et son récit — ou ses narratifs officiels.
Rêve(s) ne délivre ni réponses ni illusions.
Il pose simplement sa main froide sur ce qui fait mal :
La liberté en agonie, la peur devenue réflexe collectif, le silence usé jusqu’à l’épuisement.
La force du spectacle réside dans sa capacité à faire du plateau un espace d’interrogation : un lieu où le fragile et le résistant coexistent, où le quotidien et le violent se répondent, où le rêve laisse émerger les cauchemars qui le constituent.
Je suis sortie avec ce sentiment rare : celui que le théâtre reste l’un des derniers endroits où l’on pense pour nous, où l’on nous oblige — sans violence inutile — à regarder ce que nous ne savons plus nommer.
Merci à toute l’équipe pour avoir rappelé que l’art n’est pas un refuge, mais une lumière qui insiste.
Un espace où l’on ose encore poser des questions… même celles que l’on tente d’oublier.
Un espace qui nous pousse à confronter la réalité des Rêve(s) qui ne sont devenus qu’un lourd cauchemar.
Rêve(s) : comédie noire de Jalila Baccar et Fadhel Jaibi
Interprétation : Jalila Baccar, Jamel Madani, Mohamed Chaabane, Mounir Khazri, Meriem Ben Hamida
Direction de production : Habib Bel Hedi – Oussama Jamei
Production : Famila Production et Arts Distribution – Le Rio.
Rabeb Oueslati
