Cinéma/Série/Geek

Hedi

Nous autres tunisiens avons longtemps reproché à notre cinéma son manque d’originalité et sa capacité extraordinaire à nous décevoir.  Cette déception navigue de la simple colère à l’incompréhension, voire même dans certains cas un sentiment d'avoir été arnaqué.

Si certains n'étaient pas toujours sortis de l’auberge, notre cinéma peinait vraiment  à sortir du Hammam, de ces stéréotypes et clichés qui ne sont que l’ombre d’une mémoire collective pourtant bien derrière nous. Notre cinéma, comme nostalgique des temps révolus, semblait combiner mauvais goût et manque d’imagination.

Vient alors l’ère post-révolutionnaire où les nanars ont tendance à s’enchaîner à ne plus en finir. Cependant l’audace semble payer pour certains qui ont su donner un nouveau souffle, de nouvelles idées et un renouveau (ou presque) au cinéma tunisien.  Le dernier en date est particulièrement notable : il s’intitule Hédi.

Hedi est un jeune homme sans histoire, adepte du laisser faire et aller : il ne décide de rien et tout décide pour lui. Sa mère en ce sens n'est pas d'une grande aide : celle-ci tient vraiment à ce que son fils réalise sa propre version du Tunisian Dream : un boulot, une maison et un mariage.

Il faut dire que la plus grande surprise fut celle de la justesse de ce premier long métrage de Mohammed ben Attia, qui a su séduire et plaire avec une histoire des plus simples - pour ne pas dire banale. C’est une histoire qui nous parle à tous, qui nous ressemble et que l'on vit quotidiennement. Son choc est alors beaucoup plus psychologique et émotionnel que graphique ou historique (révolution, Hammam, film d’époque... un Sex and the city sauce ramadan…).

Enfermé dans ce faux beau décor qu’est le foyer familial, Hedi est à seulement quelques jours de son mariage arrangé.  Sa future épouse, qu’il connaît depuis plusieurs années, il ne la rencontre que dans sa Peugeot garée à quelques pas de sa maison. Leurs baisers se font à coups de textos, et le charnel n’y est que textuel.

En déplacement pour son boulot de commercial, Hedi rencontre la possibilité, le rêve et son possible salut : Rim.  Celui dont le charisme était végétal au début est tout d’un coup épris d’un sentiment nouveau. Le silence d’autrefois est devenu la maladresse de maintenant.

C’est au moment ou Hedi est interrogé par Rim au sujet de ce qu’il voudrait réellement faire de sa vie, que le film devient encore plus intéressant.  Le personnage est tout de suite confronté à une certaine forme de réalité qui n’était qu’illusion et rêverie avant cette rencontre. C'est alors qu'à ce moment bien précis, où tout semblait être hors de son contrôle et ses actes totalement dictés par sa mère qu'il a pour la première fois de sa vie le choix.

Drame social en apparence, le premier film du très prometteur Mohammed Ben Attia touche quasiment à tout et s’inspire énormément d’un cinéma d’auteur bien pensé et populaire. Son cinéma ne vous prend pas de haut, mais, au contraire, vous tend la main et vous invite avec subtilité et finesse à repenser les maux et le dysfonctionnement de notre société. Objectif et impartial, le cinéma de Mohammed Ben Attia prend néanmoins bien soin de ne pas faire valoir une vision plus qu’une autre.

Les deux acteurs, Majd Mastoura et Rym Ben Messaoud forment un duo en totale symbiose : tous les deux sembles libres dans leur jeu grâce à des dialogues superbement écrits. Le spectateur se retrouve surpris par un rire impromptu ou des larmes d’émotion, le temps d’une scène.

Nous tenons ici, il faut bien le dire, la première scène de sexe réussie et maîtrisée de l’histoire du cinéma tunisien.

Le film est surtout un film à débat : Hedi ne méritait-il pas une fin qui conjuguerait mieux toutes ces constantes et variables qui ont fait de lui ce qu’il est ? Mohammed Ben Attia aurait-il pris tellement de distance par rapport à ces personnages que la finalité de son (anti)héros ne pouvait se manifester autrement ?

Sincère et juste, la mise en scène pourrait déranger certains par moment mais certainement pas les adeptes du cinéma des frères Dardenne.

Inhebbek Hedi est un film qui respecte ses personnages : il ne diabolise personne, il n’idéalise personne et ne suppose aucun fait préétabli. Le film est -chose rare!- à la fois taillé pour le grand public et pour les férus du cinéma du genre, à savoir le cinéma d’auteur européen.

Merci pour ce bel essai et cette belle surprise !  À ce rythme là,  la confiance du public tunisien en son cinéma pourrait être rétablie assez rapidement.

Courez-y , Hedi est dans nos salles !

Bonne toile.

Issam Jemaa