Design Art

Design lowcost : des déchets, mais chic !

©P. Erlington

Qui peut aujourd’hui se rappeler de ce qu’on a célébré le 5 juin ? Après quelques minutes de réflexion, la réponse ne vient pas alors que l’objet de cette journée est omniprésent, parce que c’est le vivant. En effet, il s’agit de la Journée mondiale de l’environnement, promulguée par les Nations Unies, et qui met le doigt sur de nombreuses questions qui fâchent.

La Tunisie a répondu présente à sa manière par l’instauration de la police environnementale qui est entrée en fonction officiellement à partir du 13 juin dernier, et ce après un retard enregistré pour des raisons organisationnelles et logistiques. Cette équipe « CSI » des déchets aura pour mission de faire régner l’ordre « proprement ». La presse et les médias n’ont pas hésité à commenter cette initiative. 

Durant presque tout le mois de juin, on n’a pas arrêté de développer la problématique du déchet, des chiffres différents sur les tonnes déversées par jour, sur la mentalité de celui qui la laisse derrière lui, et sur ses traces olfactives et visuelles. 

Trop de déchets associés à une faible prise de risque dans la l’innovation artistique, y a-t-il ici un compromis à trouver ?

Upcycling ou « faire avec peu » 

Le design est une pratique de création spéciale, parce qu’elle anticipe l’évolution de notre société. Contrairement à son apparition, la pratique du design actuel s’ouvre à de nouveaux modes de production et donc de réflexion. Ce statut fait également apparaître le rôle du design dans la problématique des déchets. Le besoin de quelque chose de neuf, d’honnête, de moral se fait sentir. La crise du déchet, une bénédiction pour le design. 

En effet, moins d’argent oblige souvent à mieux penser.

Le contexte économique difficile oblige aujourd’hui à aller vers plus d’ingéniosité dans la créativité. Les meilleurs projets ne demandent souvent pas grand chose. Plus encore, la réanimation d’objets et de matières finissant dans les poubelles peut permettre de réduire drastiquement les coûts, argument principal avancé par les designers tunisiens pour justifier une production discontinue. 

Notons par exemple l’ingéniosité de l’artiste anglais Ptolemy Elrington qui manipule des enjoliveurs de voiture récupérés habituellement sur le côté de la route avant de leur donner une seconde vie. Les rayures et autres éraflures qui les ornent sont autant de témoignages de leurs existences antérieures, un peu comme des cicatrices.

©P. Erlington

Par d’habiles arrangements, il transforme alors ces morceaux de plastique  désordonnés en d’impressionnantes sculptures d’animaux.

©P. Erlington

Une technique qui n’est pas sans rappeler le talent du coréen Yong Ho Ji qui, lui  utilise des morceaux de pneus pour créer ses chimères. 

©Yong Ho Ji

©Yong Ho Ji

Farouk Aichaoui, jeune entrepreneur de la ville de Kasserine a lancé un projet similaire de recyclage de pneus, il les enveloppe délicieusement avec le « margoum », textile caractéristique des tapis du sud tunisien.

Fauteuils en pneus usagés recouverts de margoum par F.Aichaoui

 

« Ré-enchanter » les restes dans une société de consommation

Mais il ne s’agit pas uniquement de sculptures, réanimer les déchets pour l’utilité est possible aussi. L’artiste basée à Brooklyn Cara Marie Piazza travaille avec des fleuristes, des restaurants et des fournisseurs bios pour ramasser leurs déchets et créer des teintures naturelles pour des vêtements et accessoires. 

©Cara Marie Piazza Facebook page

Par ailleurs, l’artiste plasticienne autodidacte Cicia Hartmann, créatrice du concept et de la technique d'assemblage sans colle, nous régale avec ses réemplois des bouchons de bouteilles en plastique. Un travail titanesque. 

Mur végétal 

©www.faitparcicia.com

Parfois, des milliers de bouchons sont percés pour être judicieusement assemblés dans le but de sensibiliser le public à la nécessité de changer notre comportement pour la préservation de l'environnement de notre planète. Elle fait le choix d’interpréter de façon poétique la valorisation des déchets de notre société de consommation.

Bouquet bleu 

©www.faitparcicia.com

Au niveau local, il faut saluer le travail de Samir H. alias Doc’Sbi pour son travail sur le réemploi des fûts (bermill) en fauteuils ou armoires.

Fût découpé par Samir H

Notons aussi le projet « Go-Karriola », un évènement de OpenFabTunisia co-organisé avec l’Association ARTIckle qui consiste en des ateliers de détournement d’objets, pour l’art ou pour un autre usage. Déchets ménagers, déchets électroniques, objets obsolètes, objets en panne et ne pouvant plus être réparés. Un Go-Kart a été fabriqué à base d’objets de récupération (chariot de courses, raclette de sol, roulements, lacets) et propulsé par une visseuse sans fil.

Travailler pour le vivant

Anti-gaspi, la pratique du design « lowcost » permet de lutter contre la pollution générée par la surconsommation. En d’autres termes, après une petite chirurgie esthétique, des matières et des objets récupérés s’offrent une nouvelle identité, et nous offrent une nouvelle satisfaction, celle de se dire « moi aussi je suis créatif ». So trendy, top branché, l’upcycling c’est donc l’art des objets singuliers ou même totalement uniques. 

Enfin, Pierre Sansot, le poète de la ville, n’a-t-il pas dit dans son dernier ouvrage Ce qu’il reste : « Pourquoi faut-il qu’un « trop » nous encombre au lieu de nous combler ? »



Mohsen Ben hadj salem