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Grave : Entre conte cannibal et poésie virulente

Grave se joue de plusieurs genres de cinéma pour nous offrir une expérience unique, entre conte cannibal et poésie virulente.

Véritable sensation à la semaine de la critique de l’avant-dernière session du festival de Cannes, Grave de Julia Ducournau a suscité l’intérêt de bien plus qu’une audience particulière ou juste un public qui serait intéressé par un cinéma de genre relativement absent dans la diaspora cinématographique française.  

La surprise était tellement de taille que l’appel du sang a pu aussi bien séduire  les éternels curieux  que les fans du genre.  Cette première œuvre, par l’innovation qu’elle apporte au niveau de la forme d’un certain genre de cinéma qu’elle revendique et la maîtrise totale des sujets qu’elle traite à coup  d’ellipses et d’hyperboles, est une réussite totale qui annonce la naissance d’une réalisatrice prometteuse.

Végétarienne, Justine vient tout juste d’intégrer la très réputée école vétérinaire de Saint-Exupéry,  là où sa sœur aînée est déjà étudiante.  Le bizutage mis en place pour les nouveaux étudiants ne fut pas trop à sa convenance. Le campus universitaire s’est ainsi transformé en un décor post-apocalyptique peuplé de zombies en blouse blanche.  Mais c’est à une certaine étape de cette étrange initiation que Justine s’est trouvée face à un dilemme qu’elle aurait préféré éviter.  Ainsi, elle se voit obligée, à défaut de saboter très rapidement ce qui est censé  être les meilleures années de sa vie, à manger un rein de lapin cru.  Cet acte va révéler bien plus qu’une certaine fascination pour la viande mais tout un désir de proximité charnelle qui atteindra le cannibalisme.


Grave raconte l’émancipation d’une jeune femme, accablée par de fausses convictions, un héritage intellectuel qu’elle entretenait tout de même assez bien jusqu’à ce qu’elle soit dans  une position conflictuelle où des choix s’imposent.

Bien que gore et formidablement cruel (ce n’est pas le public qui a quitté la salle ou qui a vomi dedans qui nous contredira), Grave n’est rien d’autre qu’un film identitaire où la recherche de cette identité est fonction de la contestation de soi-même et la récusation de tout pré-requis.

Le spectacle qui s’orchestre autour de ce rite qu’est le bizutage est l’une des meilleures illustrations qui soit, pour mettre en exergue cette recherche de soi, car dans Grave tout le monde ou presque est à mi-chemin entre la chose et son total-opposé.  

La supposée végétarienne de conviction qui se lance à la conquête de la chair  humaine, l’homosexuel qui a mis du temps pour s’accepter et qui se remet aux goûts des hétéros.


Julie Ducournau joue habilement avec les codes du film d’horreur en y ajoutant un peu de sauce teen-movie, le tout avec  un sens du détail dérangeant de puissance.  La merveilleuse bande sonore, le montage et les plans serrés se conjuguent parfaitement en offrant quelques scènes dignes d’un futur classique.

Grave est un récit initiatique construit sur la base de plusieurs sujets d’actualité, le film nous rappelle étrangement la débandade psychologique qui caractérise le cinéma de Cronenberg .Quant à cette faim constante, ce désir continu du charnel et cette sexualité abondante de férocité, on ne peut que penser au mythique Trouble Every Day, car quelque part, Grave est un hommage au film de Claire Denis, du moins dans sa forme et ce qu’il inspire.

Garance Marillier (Justine) est une autre raison (amplement suffisante) pour laquelle vous devrez regarder ce film, sa prestation est inclassable et l’innocence qu’elle dégage a priori fait de son jeu un véritable plaisir pour nos yeux.

 Cédez à l’appel de cette proposition de cinéma, après tout,  personne n’est mort de plaisir des yeux !

Issam JEMAA