Théâtre/danse/littérature

Rencontre avec atef attia, bloggeur , critique ciné et auteur de 'the invisible kid'

Immersion imminente dans l’univers d’Atef Attia, écrivain, critique ciné, bloggeur et enseignant. Il voue une passion sans bornes et profondément entretenue depuis quelques années pour « la littérature de genre ». Deux romans sont déjà à son actif : « Sang d’encre » et « The Invisible Kid », qui se sont vendus comme des petits pains. L’instant M ne pouvait rater l’occasion de le rencontrer pour vous !

©Atef ATTIA

  • 1- Atef, tu es bloggeur, critique ciné, écrivain, ou « écriveur », comme tu le dis si bien sur ta page Facebook officielle. Tu as publié deux œuvres fictives, « Sang d’encre » (parue en 2013) et « The Invisible Kid » (2015). Et si on parlait de ta passion pour l’écriture ?
  • Cette envie d’écrire est issue d’une autre passion, longtemps entretenue qui est la lecture. Je suis un féru de lecture, spécialement attiré par la littérature du genre (polar, thriller etc). J’en lisais fréquemment. Suite à cela, à un certain moment, je me suis dis « Tiens ! Pourquoi à mon tour je ne commencerai pas à raconter des histoires ? ». Et c’est là  où j’ai commencé à gribouiller des petites histoires, des petites nouvelles, qui ont évolué au fur à mesure pour devenir mon tout premier recueil.  Sinon, l’écriture, est une extension à mes toutes premières passions : je suis bloggeur parce que je suis un gros bouffeur de films et donc là, je relie les deux : le fait d’être cinéphile me permet de rédiger des avis positifs ou négatifs, de critiquer, d’en parler par le biais de l’écriture, des blogs. A travers la musique aussi : j’en écoute beaucoup, après j’ai décidé d’en faire un peu, d’où la rédaction de mes chroniques sur la musique. Pour moi, l’écriture rassemble  parfaitement toutes les autres passions. A chaque fois, c’est cette volonté d’émettre un avis sur un film, une musique, un livre   et de raconter, de donner pour la littérature.  C’est venu assez tardivement et pour moi, il s’agit d’un enchaînement logique. Ça n’a pas été un truc réfléchi.
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  • 2- Et à travers tes écrits est-ce que c’est exclusivement la jeunesse que tu cibles ? 
  • Vu que je puise dans « la littérature du genre », qui attire généralement plus les jeunes, lorsque j’ai sorti mon deuxième bouquin, je me suis rendu compte qu’en fait, il n’y avait pas de tranche d’âge précise à viser. Moi, j’ai 36 ans maintenant, et je continue quand même à en lire. Et je rencontre également énormément d’adultes qui viennent me voir en me disant : « On a lu votre livre, on a beaucoup apprécié ! » et ils en parlent, on en discute...  A la base, quand on écrit, forcément, on cible, mais après la parution du livre, cela ne vous appartient plus : il appartient, du coup, à un public qui peut être plus large. J’essaie, donc de me défaire d’une cible particulière.

  • 3- Ton premier recueil de nouvelles a vu le jour en 2013 et a été baptisé « Sang d’encre ». Parlons-en … 
  • Il s’agit de mon premier recueil de nouvelles. L’exercice de la nouvelle est quelque chose que j’aime beaucoup. Il y n’en a plus beaucoup malheureusement, de moins en moins en tout cas… J’ai découvert ça au lycée, grâce au « Veston ensorcelé »  qui fait partie du recueil « Le K » de Dino Buzzati, découvert en 5ème année secondaire. Un bijou connu, qui n’existe plus dans les manuels scolaires de nos jours. J’avais beaucoup aimé la structure, construite sur un texte court avec peu de personnages. Ça m’est resté en tête ! C’est ce qui est a provoqué ce déclic. Après, il y a eu Stephen King,  l’auteur incontournable de « la littérature du genre », qui l’a conçue comme une littérature à part entière. Et le premier livre que j’ai lu de cet auteur était aussi un recueil de nouvelles. A partir de là, j’ai  commencé à écrire un peu, à mon tour, sans avoir l’intention de publier quoi que ce soit. Et à un certain moment, je me suis retrouvé avec beaucoup de textes. Finalement, je me suis dis, pourquoi ne pas tenter de les diffuser ? Et de là est né « Sang d’encre ». Je l’ai proposé  à une maison d’édition tunisienne parce que je tenais à ce qu’il soit publié ici parce qu’il n’y avait pas beaucoup de maisons fondées sur ce genre littéraire peu exploité. Une occasion d’apporter une petite pierre à l’édifice, un renouvellement. Qu’on se dise que cette littérature là existe désormais en Tunisie. Ce qui est le cas en Algérie, depuis des années déjà et au Maroc aussi avec Yasmina Khadra, entre autres.©Atef ATTIA

  • 4- Les maisons d’édition tunisiennes ont-elles été coopératives ?
  • Ceci n’est pas un reproche, mais c’est un constat que je donne : il existe des maisons d’édition qui n’ont pas répondu, tout simplement.  Et ensuite, certaines ont donné des réponses négatives, en me disant : « Ecoutez, c’est bien, mais on ne trouve pas quoi en faire ! C’est un peu violent, sanguinolent, c’est noir ! Et ça ne correspond pas à la ligne éditoriale de la maison ». On se contente d’écouter, mais en même temps, c’est la règle du jeu. Ça reste un risque à prendre de la part de la maison d’édition. J’ai essuyé deux ou trois refus, après j’ai laissé tomber. Jusqu’à ce qu’un ami, Sami Mokaddem (qui écrit dans le même genre), me propose en rigolant : « Pourquoi ne pas fonder notre propre maison d’édition ? », qui se spécialiserait dans cette littérature de jeunesse. D’abord, j’ai rigolé et ensuite, je me suis dis « Pourquoi pas ? Après tout pourquoi ne pas se lancer ?». On a fait une petite recherche, j’ai découvert que ce n’était finalement pas si difficile que ça de lancer sa propre maison. Et c’est de là qu’est née « Pop Libris édition ». Entre temps, les premiers extraits de « Sang d’encre » ont commencé à circuler sur Face book, précisément sur le groupe d’échange « Reading Corner », qui rassemble un nombre considérable de passionnés de lecture et d’écriture. Une manière de tester en amont la réaction du public qui était positive.
  • 5- « The Invisible Kid » est ta dernière œuvre fictive parue en décembre 2015. Un titre accrocheur, révélateur. Sans pour autant tout spoiler, peux-tu donner aux potentiels lecteurs un aperçu de cet ouvrage ?
  • Ça a commencé comme une petite nouvelle qui allait faire partie de « Sang d’encre » et au fil de l’écriture,  l’intrigue commençait à prendre beaucoup de place, à gonfler jusqu’à attendre les 88 pages. C’est ainsi que j’ai décidé de l’extraire de « Sang d’encre », composé de nouvelles courtes. Il n’était pas envisageable de la garder. En plus, c’était ma première nouvelle qui versait dans « le fantastique », elle se distinguait d’emblée. Donc, sur le coup, je ne savais pas trop quoi en faire et je l’ai laissée dans un tiroir. Deux ans plus tard, encore une fois, Sami Mokkaddem m’a encouragé à la ressortir, en me disant que c’était dommage que l’histoire ne sorte pas… Je n’avais pas trop confiance au début, mais finalement, je me suis lancé en essayant d’en faire un court roman. Plusieurs bizarreries ont eu lieu avec « The Invisible Kid » ; la première était le ciblage : avec ce bouquin, j’ai ciblé un public qui était plutôt averti, adulte. Mais c’est l’inverse qui s’était passé ! Jusqu’à aujourd’hui, j’ai des collégiens et des profs de français qui m’appellent pour me dire, que ce livre a plu énormément et que ça serait bien d’aller en parler dans les collèges et les lycées. Après, on comprend mieux l’intérêt lorsqu’on découvre que le personnage principal est un collégien, tourmenté par ses camarades, qui se cherche, aux prises avec des crises pré-ado difficiles à surmonter. Le harcèlement au collège était mis en exergue : le gamin est tellement harcelé qu’à un moment, il éclate. Et ça a touché les plus jeunes qui s’y sont identifiés ! 
  • ©Atef ATTIA
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  • 6- Donc on se retrouve face à un personnage masculin ? 
  • Tout à fait ! Un adolescent, issu d’une famille nombreuse dans laquelle, il n’avait déjà pas sa place. C’est quelqu’un de très introverti ! Le récit émouvant d’un enfant pré-pubère, et qui se retrouve en pleine guerre des clans, face aux dérives de la popularité dans l’enceinte du collège et à sa différence. Le fait qu’il soit introverti, l’a placé en position de faiblesse vis-à-vis de ses camarades, et il se retrouve victime de harcèlement.  Et cela aura des conséquences sur sa vie…
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  • 7- Justement, à t’entendre, on dirait que c’est hyper réaliste comme récit. Et le fantastique dans « The invisible Kid » ? 
  • Le côté fantastique ajoute du Peps à l’histoire. Ça m’aurait embêté de traiter ce sujet d’un point de vue sociologique. Il y en a d’autres qui le font beaucoup mieux que moi, déjà ! Et, ça ne m’intéresse pas. Le but est de glisser peu à peu avec mon lecteur dans quelque chose de totalement inattendu. Même dans « Sang d’encre », les nouvelles naissent d’un truc de tous les jours… ordinaire ! Jusqu’à ce que ça prenne une tournure différente, inattendue, noire, sanglante… Ce qui m’intéresse dans les histoires, c’est que ça finisse sur un truc auquel on ne s’attendait pas du tout. Il y a des gens qui disent : « Mais non, ce n’est pas sérieux ! », pourtant le boom de la science-fiction était de passer des messages à travers l’imaginaire et le fantastique esquissés dans les livres. La littérature du genre est un moyen subtil de faire passer des messages. J’ai traité, à travers mes nouvelles, de la politique, des relations conjugales orageuses, du capitalisme sur un fond de fantastique. ©Atef ATTIA

  • 8- « The Invisible Kid », pourquoi avoir opté pour un titre en anglais ? 
  • A chaque fois que je commence à rédiger un nouveau projet, j’écris son titre automatiquement en anglais. C’est une sorte d’habitude, héritée de mon amour pour le cinéma et les films visionnés en VO. Donc, l’idée m’est venue de la chanson de Metallica « The Invisible Kid », et je trouvais que ça traduisait tellement bien le personnage principal. Ce n’était pas trop difficile et ça sonnait bien. Ça ne me tente pas de chercher à chaque fois un titre en français. Certains ont détesté parce qu’ils pensaient que le livre était rédigé en anglais. (Sourire).  Traduire, peut-être, mes livres en anglais, c’est envisageable, mais écrire, par contre, en anglais, je n’oserai pas le faire. Je ne maîtrise pas assez la langue. Pour info, le lectorat anglais en Tunisie est de plus en plus important pourtant.  

  • 9- Comment définis-tu ton style d’écriture? 
  • Je me cherche encore. Mais je dirais plus que c’est un style dépouillé. Je ne veux pas avoir recours à des mots rigides, j’essaie de ne pas faire dans la narration linéaire et je ménage un peu le suspense. C’est assez architectural et ça m’arrive de passer par des flashbacks ou des allers-retours dans le temps, tout en distillant l’information petit à petit. Ça ne me dit rien de tout balancer aux lecteurs d’un coup. Entretenir le suspense, c’est important. Ce n’est donc pas un style particulier ! Il est direct, sans fioritures, tout en faisant en sorte qu’il soit solide.
  • ©Atef ATTIA

  • 10- On arrive, à la fondation de « Pop Libris », la maison d’édition que tu as lancée en collaboration avec deux amis… 
  • Oui ! Tout à fait. Ça a émané d’un constat. Je suis d’abord auteur, j’ai proposé mes écrits à plein  de maisons, qui n’accueillaient pas cette « littérature de genre », ou totalement axée sur la jeunesse. On s’est dit que le Tunisien ne lit pas, mais parallèlement on voit des jeunes et des moins jeunes intéressés par les écrits de Marc Lévy ou de J.K Rowling…  Des auteurs qui sont purement dans le commercial. Mais, les livres qu’ils font suscitent l’intérêt finalement, et poussent les jeunes à lire. Il ne devrait pas y avoir de différence entre des romans étrangers et tunisiens. Ce qui explique  le travail remarquable qui a été fait sur le « packaging », la couverture. Il fallait que ça soit forcément attrayant. Et on a ensuite opté pour les romans de poche, qu’on peut emmener partout. Après, on s’est focalisé sur le prix qu’on a compressé : il fallait que les ouvrages soient à la portée des plus jeunes, qui, de nos jours, préfèrent dépenser leurs sous  en sorties, cafés, bouffes ou fringues plutôt que dans un livre en vente. On a vendu des écrits à 7 dt 800. Maintenant, c’est à 10 dt ou 12 dt. On ne fait pas ça pour le business, mais ça part de cette volonté de faciliter l’accès à la lecture, en misant sur la qualité. 
  • On a sorti une B.D., on a travaillé avec Jihen Charrad, samedi prochain sortira le premier livre de Salma Innoubli, résidente en médecine. C’est une ambiance familiale qui a été créée depuis 2013 entre Sami Mokaddem et Souha Cherni : on prend les décisions ensemble, on répond au désir de l’écrivain, et on utilise les espaces publics et différents endroits pour promouvoir nos livres. On a relevé le défi et on a  contribué à créer un certain dynamisme et à révéler cet engouement des Tunisiens pour la littérature. Sans oublier  cette étape qu’on franchit chaque fois et qui est importante : celle d’aller vers l’auteur et d’échanger avec lui, en usant des réseaux sociaux et en créant cette proximité dans les événements, comme la Foire du livre, entre autres.    

  • 11- Qu’est-ce que le « Graal 13 » ?
  • Le « Graal 13 » est une bande de potes, pour la plupart, que j‘ai intégrée grâce à une amie française, qui m’a contacté en ligne. Cette dernière est passionnée par la littérature de genre en France et a publié auparavant en numérique, deux romans. Elle m’a un jour proposé de créer un collectif pour les auteurs de l’imaginaire. Ces derniers galèrent même en France : ils ne sont pas pris au sérieux, tout comme nous… Et le projet consistait à travailler sur un roman collectif qu’on créerait, en se basant sur le réseau de chaque membre. Ainsi, on pourrait bénéficier de l’expérience et du savoir de chacun. On est 13. J’étais tenté d’y participer. Nous sommes de plusieurs nationalités. Je représente la Tunisie. Et c’est important. Le collectif est né de ça, on cherchait un titre, et j’ai proposé le Graal 13, « Les amis de l’imaginaire ». On travaille sur un roman collectif qui sera édité prochainement en France.     
  • ©Atef ATTIA
  • 12- Et quand est-ce qu’on pourra découvrir ton prochain ouvrage ? 
  • En tant qu’auteur, je finalise mon 3ème livre et mon 2ème recueil baptisé « Obscurs horizons », qui poussera encore plus dans l’imaginaire, l’épouvante et dans la « Dark fantaisie », il est prévu pour la rentrée. « Pop Libris » a un roman qui sort samedi, 10 juin, celui de Salma Ennoubli. Une œuvre prometteuse, la 8ème publiée par « Pop Libris ». Sami Mokaddem a finalisé son 3ème ouvrage, qui sera une suite indépendante à « Dix-neuf ».
  • Propos recueillis par Haithem Haouel