Musique

Bénarès : Pop-Soul domestiqué avec élégance

©Bénarès

Le groupe de pop-soul français Bénarès est programmé le lundi 24 juillet 2017 sur la scène du Festival de Tabarka et le mercredi 26 juillet sur la scène du Festival International de Hammamet. Zoom sur ce trio prometteur et authentique composé d'une chanteuse-auteure d’origine tunisienne Sané BAKARY, du guitariste Brice BERTET et du un talentueux bassiste Pierre DELAUP.

On a beaucoup entendu parler du groupe Bénarès, notamment du titre « Blédi » en 2016, un morceau à travers lequel la chanteuse et membre du groupe Sané Bakary a voulu rendre hommage à la Tunisie. Ce titre qui a contribué à l’essor du groupe dans le contexte musical tunisien rend bien compte de l’identité musicale du groupe. Nostalgie et éloignement, ferments de cette identité musicale, nostalgie d’un passé, d’un pays natal « abandonné », occasionnant un spleen que vient renforcer la déception d’une révolution qui ne tient pas toujours ses promesses. Cet état nostalgique qui transparaît dans le titre « Blédi » révèle, à sa façon, une préoccupation existentielle en filigrane de l’œuvre entière de Bénarès.

Qu’elle soit savante ou populaire, la musique nourrit les imaginaires en s’inscrivant dans les codes culturels qui en disent long sur l’évolution des sociétés. Chanteurs et chansons nous racontent des histoires de migrations, de circulations, de croisements culturels. À l’instar du large public qui les adule, nombreuses sont les vedettes à se nourrir d’une identité métissée qui n’est pas sans stimuler leur succès. A travers « Blédi », Bénarès en particulier n’échappe pas à cette réalité. Cette démarche ne consistait pas à faire dans l’exotique. Elle se faisait dans le respect des cultures, avec un réel souci de les étudier sans jamais les détourner.

En injectant le dialecte tunisien,  la musique ne ferait que surligner les émotions auxquelles la langue donne une forme et un nom.

©Bénarès

Le buzz« Blédi », mais pas uniquement

Mais Bénarès a recours à des esthétiques diverses, utilisées comme unités de construction d’une identité kaléidoscopique. On trouve dans sa palette musicale aussi bien des influences folk, soul, blues, jazz (Etta James, Amy Winehouse, Marc Knopfler, Bob Dylan, Leonard Cohen, Simon & Garfunkel, Red Hot Chili Peppers, KT Tunstall, Stevie Ray Vaughan, Eric Clapton, Melody Gardot, Aretha Franklin...)

Créé à Paris en 2014, Bénarès a su puiser dans un répertoire de créations originales , « un son pop soul affûté », a-t-on déclaré dans plusieurs médias. Dans le paysage bigarré des pratiques musicales d’aujourd’hui, l’univers musical de Bénarès reflète un état d’esprit multiculturel. En phase avec une époque qui valorise le métissage à travers la musique comme un aiguillon de la modernité, les trajectoires des membres de Bénarès sont autant de témoignages sur la « diversité », sur des hybridations culturelles qui n’ont eu de cesse, ces dernières années, de susciter l’adhésion d’un large public.

Le regard de la chanteuse Sané sur son pays natal « ses souvenirs, ses odeurs, ses couleurs, et toutes ces choses qui peuvent sublimer un pays et une culture », associé à une écriture instrumentale toute en ruptures et en nuances, fait que cette démarche délibérée confère tout son poids à ce morceau au revêtement mélodique, teinté de sensualité.

Rien qu’à considérer son organisation, on voit déjà combien le titre « Blédi » situe dans une zone frontière entre l’imaginaire et la réalité. Un titre qui réinvente sa réalité plutôt qu’elle ne la dessine.

Les chansons telles que « Go Away » ou « Dry Your Tears » dépeignent les styles privilégiés de Bénarès, sans jamais céder au simplisme. 

Ancrées dans le vécu des musiciens, elles sont aussi une manière d’exprimer justesse technique et poésie.

©Bénarès

Live de Bénarès ou l’expression de la douceur

En écoutant les opus produits depuis 2014, on perçoit clairement le concept de douceur et l’idée plus générale de « vivant musical » pour émouvoir l’auditeur. Une musique et une performance expressives, c’est le moins qu’on puisse dire sur Bénarès.

L’expression ne relève pas du texte stricto sensu, elle a cependant besoin de lui pour exister. Ce qui la singularise est que, à la façon d’une liberté qui se conquiert et se proclame, elle retient l’attention. Son génie se mesure à l’autorité qu’il est capable d’exercer sur le public ouvert et débouchant sur de l’imprévu. Pour dire les choses un peu brutalement, la performance live de ce groupe, au lieu d’être un « plus » offert a l’écoute attentive, constituerait l’essentiel de la musique.

Elégance de la voix, reflet de l’âme

Si on part du constat que la voix permet à l’homme d’exprimer, à travers une riche palette de timbres, les divers états de son âme et les subtilités de son être, la voix de Sané est une série d’ornementations, nombreuses, acrobatiques et expressives.

Observable dans plusieurs titres de Bénarès, la conjugaison des expressions poétique et musicale est de nature à rehausser l’art musical à son plus haut degré. En effet, le chant alliant l’expression poétique et musicale se trouve placé au sommet de la hiérarchie et devient dans le domaine de l’art le symbole de la musique parfaite.

Peu d’autres musiques, à ma connaissance, utilisent cet assemblage instrumental et vocal, et quand c’est le cas, on remarquera précisément que cet élément apporte une couleur jazz, manière de souligner un lien essentiel avec cette musique.

De passage devant la place Mohamed Bouazizi, à Paris, le groupe Bénarès improvise avec un simple ukulélé l’hymne national  pour commémorer le 6ème anniversaire de la révolution tunisienne, le 14 janvier 2017. Finalement, ce sont sans doute ces approches moins conventionnelles qui sont les plus parlantes. François Picard (ethnomusicologue) dresse le constat suivant « l’émotion peut certes être prévisible mais il demeure un irréductible degré d’inexplicable, qui peut  mener à des bouleversements inoubliables dans la série des belles émotions musicales faites au cours de la vie ». Ce constat trouve une parfaite traduction dans l’œuvre de Bénarès.

©Bénarès

Pour conclure, il faut y aller !

Mohsen BEN HADJ SALEM