Théâtre/danse/littérature

La Tunisie en mode lecture

Que n’a-t-on pas dit et écrit à propos du livre ?

On a depuis longtemps épuisé proverbes, sentences et aphorismes louant les bienfaits de la plus belle des trouvailles.

Or, il est pour le moins incroyable que notre vocation première qui fut presque fatalement la lecture, « Iqra… », « Lis au nom de ton Seigneur… », tombe peu à peu en désuétude et perde progressivement et au fil des siècles, le mordant qui caractérisait une civilisation entreprenante, innovante et agissante. La nôtre.

Mais loin de nous l’idée de remuer ces souvenirs poussiéreux. Ni davantage d’évoquer les chiffres de l’édition et les réalités statistiques effarantes du lectorat chez nous et dans le monde arabe.

En ces années révolutionnaires, parlons de la renaissance du livre et de la redécouverte du plaisir de la lecture. Parlons de ce changement d’attitude vis-à-vis du livre et de cet intérêt encore discret mais décelable, pour l’œuvre imprimée, surtout locale, faut-il le préciser.

Je citerai deux titres -à titre- d’exemple. Le livre de l’année, de Hédi Yahmed, « J’étais à Raqqa-en fuite de l’État islamique », battant les records de vente. Épuisé dès sa sortie, il connut trois éditions en l’espace de quelques mois. Un record, même si chez nous, les tirages restent traditionnellement timides. Mais quand on sait qu’en plus de l’arabe, des traductions en français, anglais et même en allemand et en finlandais, sont attendues, on ne peut que positiver.

Althiburos, du jeune Farouk Bahri, édité quant à lui à compte d’auteur, se fraye un chemin encourageant dans nos bibliothèques et interpelle plus d’un lecteur. Science-fiction historique, promis en suite-saisons, il évoque nos ancêtres berbères. Il est à rappeler que Farouk, agitateur culturel de son état, a été l’initiateur en 2012, de « l’avenue taqra » (l’avenue lit) ? On se rappelait de ce spectacle surnaturel qui s’apparentait à un flashmob et qui a drainé jeunes et moins jeunes armés de livres et s’adonnant à la lecture en pleine avenue. Même si le ressort a quelque peu cassé, le rendez-vous annuel s’est maintenu et a même gagné l’intérieur du pays.

Tout récemment et à Bizerte, une initiative citoyenne redonna vie à un bus calciné, le transformant en bibliothèque conviviale. 

Spectacle ahurissant et combien annonciateur de lendemains prometteurs. 

Il rappelle l’initiative d’une jeune association qui a eu l’idée d’installer une bibliothèque dans une station de bus à El Menzeh 6.

Quand on sait que la dernière foire du livre a enregistré un bond significatif des ventes par rapport à sa précédente, on peut se risquer dans un optimisme légitime. Signe des temps, signe des changements et des nouvelles mentalités. 

Farouk Bahri ira jusqu’à déclarer sans sourciller que lire, aujourd’hui, relève de l’acte patriotique. Mais il affirme de même que depuis un certain 14 janvier, la plume s’est déliée, et la parole, enfin libérée a permis ce flux créatif qui sommeillait en nous et qui du coup, suscita la curiosité du lecteur. Le choix du sujet y est certainement pour beaucoup. Le Tunisien aime redécouvrir son histoire et admire romantiquement ses héros antiques ou ayant appartenu à un passé glorieux, loin des choix imposés sous les anciens régimes et qui nous faisaient vivre l’histoire « par procuration, “dixit Farouk Bahri.

Enfin, on ne passera pas sous silence l’initiative heureuse de la Comar, qui a contribué à l’essor nouveau du roman tunisien. Initiative privée et citoyenne qui a participé pleinement à ce bouillon de culture et de lecture qui caractérise cette Tunisie nouvelle.

Les indices quoique prometteurs ne devraient pas toutefois nous faire oublier que la faille commise par des siècles d’ignorance est toujours béante et révèle dramatiquement notre retard sur les nations qui produisent le livre et qui le lisent. Même si les faits nous chuchotent agréablement que dans chaque Tunisien sommeille un lecteur potentiel.

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Habib Bouhawel/Misk