- ©Brahim Guedich
L'événement culturel le plus marquant de ce mois d'octobre était incontestablement la biennale d'art urbain Dream City qui a eu lieu du 4 au 8 octobre à la Médina de Tunis.
Créé il y a dix ans par l'association L'Art Rue sous la direction des deux chorégraphes et danseurs Selma et Sofiene Ouissi, Dream City est un festival d'art contemporain sur espace public qui arrive cette année à sa sixième édition, une édition plus riche, plus palpitante et plus diversifiée que ses précédentes.
Etudiants, artistes, passionnés d'art et d'aventure ... ont afflué de toute part dès le premier jour du festival pour prendre part à cette grande fête culturelle, artistique et humaine, et il faut le dire, malgré tout la pluie et le mauvais temps.
Dream City n'est pas un festival comme les autres, c'est un projet participatif porté par une équipe jeune, ambitieuse et révolutionnaire qui propose une vision alternative de l'art. Ce n'est pas dans un cinéma, un théâtre, ni une salle de concert que l'on trouve les artistes de Dream City mais en plein cœur de la Médina dans des lieux insolites et improbables dont certains étaient restés fermés depuis des années, voire des décennies. Ainsi, le public était invité à s'aventurer dans les petites ruelles labyrinthiques et suivre des parcours artistiques tracés sur la carte de la Médina pour trouver des œuvres parsemées un peu partout où l'on s'oriente.
©Zayene Bechir
Durant ces cinq journées passées, il ne s'agit pas seulement d'assister à des représentations ou des projections, mais de s'attarder aussi sur les détails qui font le charme de la vieille cité arabo-musulmane et de créer une affinité avec ses habitants et ses commerçants qui étaient ravis de voir leur petit monde se transformer en un lieu de fête.
©Ahmed Ezzedine
Dream City 2017 a prévu une vingtaine d'œuvres de tout genre réparties sur trois parcours, signées par des artistes tunisiens et étrangers venus des quatre coins du monde. Après des résidences et un processus de fabrication de plus de 11 mois, ces artistes peuvent se réapproprier les lieux et ancrer leurs projets dans le cadre atypique de la Médina. Le résultat s'est manifesté dans une variété d'œuvres (art visuel, art plastique, installation, projection, danse, théâtre ...) autour d'une esthétique contemporaine qui crée un lien entre le territoire, l'artiste, l'œuvre et le spectateur.
Cette année, le public de Dream City comprenait évidemment les fidèles habitués mais aussi de nombreux nouveaux curieux intrigués par le concept de «festival d'art dans la cité», comme ses créateurs aiment le définir.
- ©Ahmed Ezzedine
Passage obligé pour le début de l'aventure «La porte barbelée» de Nidhal Chamekh. Cette immense création visuelle nous a accueillis dès l'entrée de la Médina et était ouverte au grand public, avec ou sans bracelet. L'artiste a habillé la mythique porte de France au cœur de Bab Bhar de longs fils barbelés pour questionner le concept de frontière qui est également le centre de sa deuxième œuvre que l'on peut découvrir en avançant un peu plus à droite pour arriver au Foundouk des Français où l'on trouve «Le cabinet des frontières», une installation d'art visuel signée par un jeune artiste plasticien qui a collecté un tas d'objets de nature différente à partir de l'imaginaire collectif à propos des frontières », Nous dit-il.
De l'autre côté et pas très loin du Foundouk des Français, Héla Ammar artiste visuelle et docteur en droit investit l'Auberge Zitouna pour y placer son projet intitulé «À contre jour». Dans ce lieu mythique qui fut un premier temps une infirmerie pour les soldats danois lors de la 2 ème guerre mondiale, puis une maison proche dans un autre temps, le public a pu découvrir une grande installation sonore et visuelle sur deux étages, thème de la violence et de la délinquance chez les jeunes de la Médina. Un parcours bouleversant fait d'éclairage factuel et de semi obscurité.
L'art visuel se retrouve aussi dans la caserne de l'Attarine où se sont installés «L'art du temps» de l'artiste canadienne Erin Manning, qui, à partir de curcuma, de cuivre, de soie et de coton a réussi à mettre en scène un décor qui interpelle aussi bien l'œil que l'odorat sans pour autant nous révéler la symbolique de la démarche, laissant libre cours à l'imaginaire du spectateur.
Mais Dream City était aussi l'occasion d'assister à des performances live de danse, de chant et de théâtre avec des artistes à l'écoute de ce qui se passe autour d'eux, faisant preuve de réflexion et d'engagement citoyen dans une esthétique contemporaine soignée.
Boyzie Cekwana, Rochdi Belgasmi, Laïla Soliman et Ruud Gielens nous ont époustouflés et secoués car ils ont le talent de parler sans concession à travers les tableaux qui sortent des sentiers battus et qui ne sont pas indifférent tout spectateur avisé, en abordant des sujets de société comme la liberté sexuelle, le féminisme, le harcèlement de rue, le viol ...
La queue était particulièrement longue pendant le week-end pour assister à Arous Oueslat de Rochdi Belgasmi, Tilt Frame de Boyzie Cekwana ou encore Superheroes de Laila Soliman et Ruud Gielens, mais ces œuvres valaient la peine d'attendre. D'ailleurs, il y a tellement de participants cette année que la direction du festival doit prévoir des horaires supplémentaires pour certaines performances afin de pouvoir accéder à tous les points des différents parcours.
Les fameux parcours de créations (rose, vert et jaune) ont constitué un volet parmi tant d'autres dans la programmation de cette sixième édition, car les organisateurs ont vu grand cette année et ont conçu de nouvelles activités parallèles: des matinées de réflexion et de débat baptisé «Les ateliers de la ville rêvée» avec le philosophe belge Eric Corijn à El Khaldounia, des rencontres musicales ouvertes au grand public jusqu'au bout de la nuit avec les «Concerts de rêve», mais aussi les «Ciné -dream », les« Dream guest »... Toutes ces œuvres et ces rencontres ont formé une belle mosaïque multiculturelle qui a égayé les palais, les vielles demeures, les maisons privées, les cafés, les hammams et même les bâtiments en ruines .
©Ahmed Ezzedine
Dream City 2017 a pris fin en apothéose, le soir du dimanche 8 octobre après nous en avoir plein les yeux. Cette dernière journée fut marquée notamment par la performance «Phase de violon», d'une figure emblématique de la danse contemporaine: Anne Teresa de Keersmaeker qui vient tout droit de Bruxelles et qui arpente depuis 1980 les plus grandes scènes du monde. Elle nous fait l'honneur de donner une performance époustouflante de la dernière création à Dar Hussein, clôturant ainsi en beauté la série «Dream Guest». Tout est bien fini avec Dream City qui nous donne rendez-vous dans deux ans, toujours dans la mythique et très authentique Médina de Tunis pour encore plus de folie artistique. Vivement la prochaine édition!
Fawz Ben Ali