Théâtre/danse/littérature

La romancière et poétesse HEND BOUAZIZ : La révélation d'une fine plume féministe et engagée

 

Hend Bouaziz est une écrivaine, romancière et "poétesse" Tunisienne. Son premier roman "Le jour et le jour d'après" a remporté parmi 300 livres en compétition le Prix de la Journée du Manuscrit Francophone Edition 2016. Ayant effectué des études poussées en management, Hend Bouaziz retrouve son bonheur dans l'écriture. En effet, son talent sommeillait en elle depuis le début. Avec sa plume féminine, engagée, et sensationnelle, Hend Bouaziz s'entremêle avec les histoires qu'elle narre. Elle fusionne fiction et réalité, spiritualité et passion, transcende le tabou, abroge les limites dans le but de découvrir l'humain dans toute sa splendeur. 

Dans "Le jour et le jour d'après"et "Vibrato" sa dernière oeuvre,  Hend Bouaziz nous a révélé son style d'écriture particulier qui se ressource de la finesse de son esprit, et  la délicatesse de ses approches pour aborder les sujets les plus épineux.  L'instant M est allé donc à la découverte de l'univers de la romancière !



Vous avez effectué des études poussées en management et vous êtes universitaire également. On souhaite savoir comment vous êtes passée du domaine rationnel et cérébral du management au monde de la littérature et des sciences molles ? Qu’est-ce qui a créé cette urgence et cette envie d’écrire et de se manifester dans la scène littéraire ? 

 

Effectivement, j’ai fait des études très poussées en Management. D’ailleurs,  j’ai un Master Business Administration.  J’ai travaillé très longtemps dans le domaine de l’assurance et dans tout ce qui est risque et manières de le gérer. C’est effectivement des sciences dures. Et puis, il y a eu le 14 janvier 2011, où  j’ai senti le besoin de sortir  dans la rue pour défendre la seule chose qui comptait pour moi: les libertés individuelles. Je crois que la date du 14 janvier 2011, m’a beaucoup marqué : le fait d’être dans la rue, de se fondre dans la masse, et de côtoyer toutes les vitesses de la société.  Et c’est là que j’ai commencé à écrire. Au début, mes textes étaient éparpillés, je me considérais comme une autodidacte en écriture. Il y a eu un moment dans ma vie que je considère comme un point d’inflexion : une très belle rencontre, une rencontre cosmique, quelque chose qui a déclenché le côté autobiographique. Et j’ai eu envie de capter le moment, surtout qu’il y avait beaucoup de femmes écrivaines qui commençaient à prendre leur courage à deux mains et à se montrer, sur la scène littéraire et à alimenter le débat. A un moment donné, je me suis dit : qu’est-ce que je pourrais faire pour participer à l’éveil de la nation ?


Parmi 300 livres en compétition votre livre a été sélectionné pour le Prix de la Journée du Manuscrit Francophone Edition 2016. A votre avis qu’est-ce qui fait l’originalité de votre roman « Le jour et le jour d’après » ?  

« Le jour et le jour d’après » a été choisi parmi les romans qui représentaient la Tunisie. Il  a retenu l’intérêt parce qu’il  traduit une vision différente du pays. Je ne sais si je pourrais me permettre de dire ça, mais, il représente plus ou moins une vision moderniste par rapport à la femme.

Vous savez dans notre société, le mariage dans son essence, pour prendre un exemple simple, a souvent besoin de l’aval de la société pour qu’il y ait lieu. Alors que le mariage finalement, est un consentement à deux. C’est la société qui va juger, accabler, guider, influencer, et exiger. Donc, en pratique la perception du mariage obéit à un aval multiple qui contraint essentiellement la femme. " Le jour et le jour d’après" est une rencontre inespérée, un amour cosmique. Dans « Le jour et le jour d’après », Sofia et Driss ont dépassé tout cela. C’est un amour interdit qui se solde par un mariage clandestin. Peut-être que ce qui a frappé dans "Le jour et le jour d’après"c’est justement ce côté révolutionnaire. C’est le fait de sortir des sentiers battus, ce côté transgression du tabou et ce nouveau regard.


Est-ce que vous vous considérez comme une écrivaine engagée et militante à travers la révélation de vos points de vue, ou bien c’est la fiction inspirée de la réalité qui vous intéresse ?

Engagée et militante oui. Engagée pour dire qu’il y a des problèmes dans notre société qu’il faut éradiquer. Par exemple, je suis engagée contre le terrorisme, car le terrorisme ne nous ressemble pas. Le terrorisme me fait peur pour l’avenir de mon pays. Le terrorisme est un intrus dans le processus démocratique. Face au terrorisme je suis haut la main, engagée et militante. Par contre, je n’influence pas toujours.

Quand je dis que pour moi, « la révolution est pire que le choléra », je ne m’attends pas à ce que tout le monde adhère à mon point de vue. Il y a aussi des éléments plus subjectifs dans « Le jour et le jour d’après ». Justement, la réflexion dont vous avez parlé est là pour recadrer le débat. La littérature est un mélange de deux choses fondamentales : la littérature est une sensibilité, mais une sensibilité qui n’est pas pragmatique et rationnelle, une sensibilité qui est molle comme vous avez dit au début, n’a pas beaucoup d’intérêt. Donc je m’entoure dans mes réflexions de précautions, de beaucoup d’ouverture d’esprit. J’en ai besoin moi-même en tant qu’auteure pour prendre en considération mon vis-à-vis, mon lecteur, qui peut être très différent et qui ne doit pas être fondamentalement influencé. 


"Vibrato",  titre de votre dernier roman à paraître, signifie « une ondulation du son ou de la voix. D’un point de vue esthétique c’est un ornement du son ». Mais par Vibrato, on entend aussi parler la vibration des âmes et des corps. Le choix du titre est attachant et intrigant. En plus le sujet du roman est audacieux : une histoire d’amour entre une prostituée et un homme aisé. 

L’histoire est elle un prétexte pour traiter une cause ?


"Vibrato" comme une vibration sonore, oui, parce que je pense être connue pour avoir fait une prose poétique. Et je pense maintenant que « Vibrato » est un peu le passage de cette prose poétique vers une prose plus poétique, voire même vers de la poésie carrément.

Ce roman est aussi  un prétexte pour aborder une multitude de causes sociales à travers une position d’écrivain d'ailleurs je vais parler de beaucoup de choses. Il sera question de musique classique, de musique lyrique, de la vie, de l’espoir, de serments d’amour en tant que futurs sacerdoces de vie. Il y aura une introspection sur l’argent comme instrument de richesse et de pouvoir, des réflexions sur nos valeurs, sur nos jardins secrets protégés dans un monde plutôt hypocrite et égoïste, individualiste, un monde qui se permet de juger son prochain. « Vibrato » tente de trouver la place de l’individu dans ce carrefour.

Je suis alors cette petite plume qui cherche et qui tente de trouver la place de l’individu dans ce carrefour et qui s’interroge sur l’arbitrage entre l’individu entier, contraint à survivre, comme le personnage de Sara, et le tabou, le regard social. 

 

Etre une personne Borderline, c’est le fait d’avoir du plaisir en abrogeant les limites. Dans quel objectif vous avez interpellé l’interdit dans Vibrato ?

En fait, tout le processus de l'écriture est articulé sur l’interrogation. Si j’écris des choses qui ne réveillent pas,  et qui ne secouent pas. Si je caresse dans le sens du poil, je serais vraiment de trop dans ce monde de l’écriture.  Une des nécessités de l’écrivain, c’est de ne pas répéter ce qui a été dit. Vous savez, je viens dans le monde de  la littérature après des tas et des tas de géants de l’écriture. Quand je vois une géante comme Marguerite Duras, ou une géante de la philosophie et de la littérature  comme Marguerite Yourcenar, je me dis que si je viens pour dire des choses, si je décide de laisser des traces en gravant sur le papier c’est pour dire des choses qui doivent avoir de l’utilité et de l’impact dans le monde d'aujourd’hui.

Dans "Vibrato", j’aborde ce côté Borderline des personnages. Ce côté qui transcende et qui me permets en tout cas moi de dépasser ce qui est normal.  En même temps le passage du Borderline à la normalité maquillée ou à la normalité tout court,  est une interrogation sur le vrai sens de la normalité. Alors vibrato c’est aussi des discours, des réflexions, des monologues sur d’autres choses comme la nature, la psychologie et les voyages... Il y aura un voyage en Sicile, un voyage au Vietnam dont je vais beaucoup parler. Mais ça reste en priorité une manière d’explorer les rapports aux corps qui sont très importants dans notre société. 

Est-ce que vous vous considérez comme une écrivaine féministe ? Est-ce vous vous présenteriez comme une rébellion contre le moule de la société ?

Simone de Beauvoir disait : « une femme qui n’a pas peur des hommes leur fait peur ». Ce qu’il y a de gênant de le féminisme, c’est cette revendication de libération contre l’homme. Je ne suis pas dans une optique de revendication contre l’homme.  Au contraire je suis dans un mouvement de recherche d’une relation pacifique, pure, de complémentarité entre les deux genres. Le rapport dominé dominant est un rapport que je rejette absolument. C’est un rapport néfaste et réducteur. Ma plume est contre la domination, le tabou et les forces rétrogrades.


A quel point on trouve Hend Bouaziz dans son écriture?

On trouve Hend Bouaziz dans son écriture parce que ma propre psychologie et ma propre conception se dessinent au fur et à mesure des pages dans les personnages que je crée. Par exemple dans "Le jour et le jour d’après" Sofia est très inspirée de mon personnage. On retrouve cela dans son audace et dans son approche de la vie, dans sa manière de vouloir être telle qu’elle est et non pas telle que la normalité du monde lui dicte de l’être.

Dans "Vibrato" on trouve Hend Bouaziz à travers le personnage de Charles quand il pratique l’équitation quand je dis que le cheval est le symbole de la liberté de la résistance et l’endurance face au danger, je parle de moi-même. Quand je dis que le son des sabots de cheval apaise je parle pour moi-même. Quand je parle du Vietnam je parle pour moi-même aussi. Je n’avais pas cette audace dans "Le jour et le jour d’après"; je parlais du Vietnam d’une manière camouflée.

 On me retrouve dans la construction psychologique,  dans cette singularité et cette variété des personnages, ma manière de pensée, mon désarroi politique, mon envie de voir mon pays évolué, mes craintes et ma fragilité quand je me détache de la Tunisie. 

Je sais qu’on me retrouve difficilement mais  je suis entre les lignes,  et dans les réflexions. Je suis là dans "Vibrato" quand je parle du chant de la vie. Rien n’avait de valeur pour moi à part explorer le monde. On me retrouve dans cet instinct de voyageur insatiable, c’est vraiment du Hend Bouaziz à 100%.


Est-ce qu’on peut vivre de la littérature ?

La littérature coûte cher. Le fait d’éditer et de corriger par exemple est coûteux. J’ai fait avec les moyens de bord. Quand je finance mon site, c’est avec mes propres moyens aussi. Même si on a du talent, quand on n’a pas du financement on ne peut pas se faire promouvoir.

Vivre de la littérature est une utopie qui ne peut exister dans aucun esprit saint. La seule personne officielle qui m’a soutenue et que je remercie d’ailleurs est Son Excellence Mr l’ambassadeur de la France en Tunisie  Olivier Poivre d’Arvor, qui m’a invité à sa résidence à plusieurs reprises. En dehors de cela, j’ai écrit pour le Ministère de la Culture pour me soutenir, mais je n’ai jamais reçu de réponse. J’ai fait un communiqué pour dédier « Le jour et le jour d’après » à la Tunisie libre mais je ne me rappelle pas avoir été contactéeBeaucoup d'amis m'ont aidé malgré les moyens de bord. Je les remercie. Ce sont d'ailleurs tous des artistes.


Propos recueillis par Emna Bhira