Théâtre/danse/littérature

Le Fou. Quand la folie de Jebali danse avec celle de Gibran

Du 10 au 12 novembre, se sont tenues à El Teatro, les premières représentations de la pièce “LE FOU” de Gibran Khalil Gibran, dramaturgie et mise-en-scène de Taoufik Jebali

Dans une nouvelle écriture surtitrée en anglais comme en français, la pièce, initialement créé le 14 Novembre 2000 à EL TEATRO, elle a été offerte à voir en tournée, il y a de cela des années, en Tunisie comme à l’étranger : à Zurich (Theater Zuricher Spektakel), à Vienne (Wiener Festfochen), à Amman  (Fawanees), à Beyrouth (Théâtre Monot, independant theater) et à Damas (SAMA, independant theater).


 

                                                                                                    

Le fou. Une nouvelle pièce théâtrale, faite avec du neuf. Interprétée par de nouveaux acteurs, Marouen Errouine, Amel Laouini, Feten Chadly et Yasmine Dimassi, Taoufik Jebali a jugé plus parlant, plus manifeste, de tout recréer, tout réécrire : décors, chorégraphie, scénographie et dramaturgie.  Cette reprise a pris donc la forme d’une toute autre création. Un nouveau fou, un nouveau “Majnoun”. 

                                                                                                                                              

Une nouvelle folie, qui va dans le sens de “la folie fondatrice d’El Teatro”, comme le dit bien Taoufik Jebali dans son édito et son hommage lors du 30ème anniversaire de cet espace d’art et de création, le 5 octobre passé.


Ceux qui ont vu les représentations de la première création, se sont donc retrouvés devant une nouvelle version réellement inédite du Fou, où T. Jebali, en artiste éternellement jeune, changeant, sensible, et habité par l’obsession de se surpasser ; redouble-t-il de sauvagerie inventive. 
Il dépoussière dès lors, à la fois, sa folie créatrice et celle de Gibran.


Une inspiration inventive à l’occasion du 30ème anniversaire d’El Teatro ? T. Jebali n’en révèle rien. Mais pour sûr, cette version du Majnoun prouve une chose, celle qu’un artiste se doit d’évoluer, de se réinventer mais surtout de rester humble…

“Après tant d’années dans le théâtre, j’ai toujours le trac et l’incertitude de faire les bons choix… confie-t-il, quelques heures avant la première”, avant d’ajouter, “Chose qui me rassure paradoxalement … cela me prouve que je conçois ma carrière … en tant qu’amateur”. (Référence à Klem Ellil)

Le fou. Une pièce qui transporte le spectateur à un monde construit ... de beautés sensorielles

Dès l’entrée dans la salle, et bien avant les extinctions des lumières, le spectateur se trouve déjà transporté dans un monde parallèle. Un bande sonore peu audible par moments, et imposante par d’autres, le met déjà dans le bain, celui d’une évasion sensorielle et spirituelle. 


Des citations de Gibran passent en boucle en voix-off, interprétées par les voix de Dorra Zarrouk et Nidhal Guiga, initialement actrices, dans la première version de la pièce. Instaurant ainsi, une ambiance poétique à la limite de l’obsessionnel, et créant un sentiment d’irréel et d’intangible, frisant la folie par moment.

La fumée diffusée en salle, plonge le spectateur dans une brume et un brouillard empli de spiritualité, rappelant les caves d'Hermite et les isoloirs des prophètes qui attendent la voix salvatrice d’un dieu nouveau, d’un dieu naissant... Quelconque dieu. Celle de Gibran peut-être. Celle de T. Jebali aussi.

Le Fou. Une prière dans un monde d’incompréhension, en rupture de spiritualité

Par un jour, bien avant que de nombreux dieux ne fussent nés, je m'éveillai d'un profond sommeil et trouvai que tous mes masques étaient volés, les sept masques que j'ai façonnés et portés durant sept vies. Sans masques je courus alors à toutes jambes dans les rues grouillantes de la ville en criant : “ Aux voleurs, aux voleurs, aux maudits voleurs! ” [ Gibran Khalil Gibran]



Le fou, cet prière à laisser tomber ses masques et ses aprioris… et cette voix ensorcelante qui explore le sensoriel, se joue de l’oreille, et la déstabilise entre voix musicales, aliens par moment, et poésies qui dansent sur un rythme qui fustige et tambourine entre les limites du tangible et la magie des paroles profondes illuminées du poète Gibran. 

Voix haletantes, fou-rires étouffés, voix traitées pour en faire une voix peu humaine par instant, créant cette atmosphère étrange du non-réel, de l’incompris, rappelant l’image de l’étranger errant, à la recherche d’une patrie, d’une commune qui l’adopte.

Le fou est-il donc le porte-parole de T.Jebali, dans un pays, plus encore ; une humanité autiste, qui tolère peu, n’écoute pas, mais entend accidentellement… entend toujours pour répondre. Jamais pour comprendre.



“C'est ainsi que je devins fou … Et dans ma folie, j'ai retrouvé à la fois ma liberté et ma sécurité ; la liberté d'être seul et la sécurité de n'être pas compris.  Car ceux qui nous comprennent volent quelque peu de notre liberté.” [ Gibran Khalil Gibran ]

Le fou, une danse de la vie, du chagrin, de la joie et de l’étrangeté 

Continue ainsi T. Jebali de tisser son fou, faisant de ses acteurs-danseurs, les porte-paroles d’une poésie touchante et étrange, explorant de nouvelles voies scéniques et chorégraphiques, et maîtrisant à la perfection, le jeu de lumière/obscurité, du dit/non-dit, de voix/silence.

Se résume ainsi la vie, identifiée à la folie, une fois les masques tombés, les désirs révélés, et les obstacles pointés du doigt ; une recherche perpétuelle du “Moi”, et une guerre éternelle avec le “Ça”, le “Surmoi”, et l’”Autre”. Une analyse poétique de l’Humanité, éternelle insatisfaite, éternelle incomprise.

"Sans masques je courus alors à toutes jambes dans les rues grouillantes de la ville en criant : “ Aux voleurs, aux voleurs, aux maudits voleurs! ”. Et comme dans un état de transe, je criai : “ Bénis, bénis soient les voleurs qui me dépouillèrent de mes masques! ” [ Gibran Khalil Gibran ]

Qu’est le théâtre donc, si ce n’est une invitation à revoir le monde autrement, loin de la réalité, de l’actualité et des soucis du quotidien, qui nous volent notre humanité et notre sensibilité ?

T. Jebali, avec Le Fou, nous invite donc à laisser tomber nos masques à l’entrée de la salle, pour participer à cette folie, qui est en chacun de nous. Une folie créatrice. Une bonne dose de spiritualité, et une prière à la résurrection de l’Humain. S’inscrit donc cette pièce dans un appel à la tolérance, à la compréhension de l’autre et de soi, et un militantisme viscéral face à l'intégrisme, à la rigidité d’esprit et au passéïsme.


Le fou. Une pièce à ne pas rater

Après avoir affiché 3 complets lors de ce premier cycle, et suite aux demandes des amateurs d’art, un nouveau cycle est prévu ce mercredi 16 et jeudi 17 novembre, à 19h30 à El Teatro

Deux autres cycles sont également prévus, toujours à El Teatro, du 1er au 3 décembre, puis du 8 au 10 décembre. Ainsi, qu’une représentation lors des JTC.

Une pièce à voir. Une bouffée de spiritualité, dont on a certainement besoin, par ces temps maussades.

“Le théâtre s’invente et se réinvente… et l’artiste, même en essayant de créer à l’état zéro, c’est-à-dire faire table rase de ses anciennes créations, et de ce qu’attend de lui son public, ne peut pas faire réellement abstraction de la réception de son oeuvre…” [ Taoufik Jebali ]

Une pièce certes, qui n’a pas fait des indifférents, et qui a remplis les yeux du public de lumières, à la sortie de salle.


Fiche artistique :

Texte : Gibran Khalil GIBRAN

Dramaturgie & mise en scène : Taoufik JEBALI

Texte arabe : Antonius BECHIR

Avec : Marwen ERROUINE - Amel LAOUINI - Feten CHADLY - Yasmine DIMASSI

Collaboration artistique : Marwen ERROUINE

Musique originale : Nejib CHARADI

Objets trouvés : Zakir HUSSAIN

Les voix de : Taoufik JEBALI - Hend R’HAIEM - Chakra RAMMAH - Dorra ZARROUK

Nidhal GUIGA

Scénographie et Conception : Hatem Ferchichi - Taoufik Jebali

Univers sonore : Taoufik JEBALI

Lumières & Regie audio-visuelles : Sabri ATROUS - Walid HASSIR

Images : Ghassen GACEM

Costumes : Besma DHAOUADI

Presse et Relations publiques : Zeyneb FARHAT

Directeur de production : Sourour Jebali

Production : EL TEATRO 2016

 Crédit photos: Mohamed Karim El Amri


Hazar Abidi