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ILYES expose : un univers en pleine expansion

Vous êtes fascinés par le monde des mille et une nuits ? C’est le moment ou jamais de filer à la Fondation de la Maison de Tunis qui accueille le 7 décembre l’exposition des toiles récentes de ILYES. L’instant M s’est déplacé pour vous afin de connaître un peu plus l’artiste plasticien et designer Ilyes Messouadi. Entretien.





Par leurs couleurs vives, soutenues, voir stridentes, vos toiles captent le regard de celui qui les contemple. Quelle symbolique ou signification attachez-vous à cette palette chromatique?

C'est sans doute le soleil omniprésent en Tunisie qui me permet de voir les couleurs ainsi. Je pense que, malgré tout ce qui se passe en Tunisie, il reste cette lumière qui est, pour moi, une source d'espoir et de vie. Quelque part, nous sommes chanceux par rapport à d'autres pays du monde. 

 

Quelles sont vos influences ? Parlez nous des artistes tunisiens ou étrangers qui vous ont le plus marqué.

Mes influences sont multiples et diverses. Chaque travail d'artiste peut m'influencer d'une façon ou d'une autre. J'ai une curiosité infinie pour les techniques qu'utilise chaque artiste. L'artiste tunisienne qui me marque le plus c'est l'artiste Aïcha Filali. J'aime son sens de l'immersion. Au niveau international, c'est Andy Warhol qui me fascine avec le paradoxe entre l'aspect morbide qui domine la majorité de ses œuvres et la palette de couleurs fraîches qu'il utilise.


De ces détails et attributs symboliques qui constituent vos œuvres, il s’y dégage une affirmation identitaire très forte mais contrebalancée par un second degré évident. L’ironie, l’humour et le sarcasme sont-ils des outils que vous maniez pour dépeindre une Tunisie bourrée de contradictions?

  •  Le tunisien a toujours connu une crise identitaire, qui s'est accentuée après la révolution, quand il a acquis sa liberté d'expression et, en même temps, perdu ses repères, ce qui a créé des contradictions qu'il faut assumer au lieu de les nier. Nous avons besoin de nous réconcilier avec nous-mêmes et d'assumer nos différences, d'accepter que l'on puisse fêter l'Aïd chacun à sa manière. C'est là que se manifeste le rôle de l'artiste aujourd'hui. Je pense qu'il doit tout simplement rappeler ce qu'étaient les valeurs du tunisien (entre liberté et respect) sans lui imposer des valeurs extérieures. J'aime traiter ce genre d'ironie ou de sarcasme avec humour car c'est le tempérament typiquement tunisien.

Cette diversité des supports et des techniques caractérise la série des nuits de Shéhérazade exposée très prochainement à la Maison de la Tunisie à Paris. Pour vous, un peintre doit-t-il continuellement être dans une recherche esthétique et plastique ?

Comme tout artiste, j'ai passé beaucoup de temps à me chercher, à me perdre dans différents matériaux et à toucher un peu à tout afin de maîtriser quelques techniques, comme le collage de divers matériaux de récupération mais aussi la peinture sur tout support et le dessin. En ce moment, je me trouve bien dans la broderie que j'emploie dans mes œuvres récentes (Les nuits de Shéhérazade), mais ma recherche sur les matériaux continue. Le rôle d'une œuvre d'art contemporaine est de remettre en question l'approche esthétique mais son rôle principal est plutôt didactique, à partir du moment où l’œuvre est lisible. 

 

Vous définiriez-vous plus comme un peintre de genre ? Au sens où vous scrutez votre pays natal pour en capter son essence.

Je n'aime pas m'approprier un genre, de crainte qu'on me colle une étiquette et que ça me limite. Je préfère rester un électron libre qui ne cesse d'apprendre et travaille en fonction de son imagination. Les personnes qui ont essayé de me ranger dans un genre m'ont appelé le « Warhol tunisien » ce que je trouve vraiment exagéré et ont parlé de « pop art à la harissa » ce que j'accepte mieux.

 

Votre œuvre tend à s’inscrire dans une veine “réaliste“, puisque vous allez jusqu’à extraire et utiliser des matériaux appartenant au paysage tunisien. En quoi cela est-il indispensable à votre démarche artistique ?

  • Dans ma deuxième exposition « Beylicat Style », j'ai tenu à ce que les matériaux soient réels. J'ai donc utilisé de vrais carreaux de céramique anciens, des morceaux de tissus traditionnels sur bois, et des matériaux locaux assez nobles et authentiques, chargés d'Histoire pour parler de la période beylicale en Tunisie.
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Vous proposez une véritable relecture de l’art tunisien en revisitant cet héritage culturel si particulier. Avec votre projet des 1001 nuits de Shéhérazade, vous vous attaquez à tout un imaginaire. Comment ce projet est-il né exactement ? y voyez-vous une consécration de toutes vos préoccupations artistiques ?

Il est tellement dur pour un artiste d'avoir un cumul d’angoisses sans avoir le temps ni l'espace pour en parler. Pendant et après la révolution, mon temps était consacré à la rue, ce qui m'a doté d'un vécu assez diversifié et m'a permis d'immerger et d'enrichir ma mémoire visuelle. Les 1001 nuits de Shéhérazade est une idée qui s'est imposée à moi naturellement. Je pense que, à travers 1001 tableaux à réaliser, je passerai de longues années à avoir des questions à poser, donc de longues années à vivre mon art. Je pense que le jour où nous aurons plus de réponses que de questions, notre vie n'aura plus de sens.


 

 

Quelle est votre vision de l’art tunisien en général ? et, selon vous, quel rôle joue-t-il dans la situation politique actuelle ?

Aujourd’hui, l'art tunisien joue un rôle très important dans la société tunisienne. On voit une nouvelle génération de jeunes artistes contemporains et avant-gardistes qui révolutionne le monde de l'art et s'exporte au-delà des frontières du pays pour se faire connaître dans le monde entier. Et vu comment la société et le gouvernement tunisiens négligent l'importance de l'Art dans le pays, permettez moi d'inverser votre question et de demander quel rôle jouent les politiciens dans la situation culturelle de notre pays ?

Je pense qu'il est temps de souffler la poussière qui recouvre l'Histoire de l'Art tunisien et de le mettre en valeur, car c'est notre identité, notre mémoire collective, et c'est à travers lui qu'on va enfin pouvoir avancer. Il est honteux d’investir des sommes d'argent astronomiques pour construire des mosquées quand on a un seul musée digne de ce nom, qui est le Musée National du Bardo. En attendant, l'artiste ne doit pas rester prisonnier des galeries d'art. Au contraire, il doit se déplacer vers les établissements éducatifs et, pourquoi pas, dans les prisons. Il faut aller vers les tunisiens qui ont de la curiosité.


 


L'artiste exposera à Tunis avec d'autres artistes et designers le 10 décembre dans un nouvel espace qui s'appelle NOA



Fondation de la Maison de Tunisie : du 7 au 30 décembre 2016

45A Bd Jourdan, 75014 Paris

                                                                        Nora Saieb