Théâtre/danse/littérature

Amélie Nothomb et Perrault sur une page blanche


Amélie Nothomb nous a habitués, depuis quelques années, à revisiter les contes de Perrault. Après l’excellente réécriture de Barbe Bleue, conte dans lequel on suit les aventures rocambolesques d’une Saturnine, un esprit aussi « hurluberlu » que sa « créatrice », on retrouve non sans déplaisir Riquet à la Houppe (ou à la « huppe ») projeté au XXIème siècle.

Le Riquet à la Houppe d’Amélie Nothomb vit certes dans notre époque et s’appelle Déodat, un « bossu » exceptionnellement « intelligent ». La princesse, monstrueusement belle, à qui on a « farci la tête » de Perrault, devient Trémière chez Nothomb. Bizarrerie onomastique ? Pas vraiment parce que chez Nothomb, tous les personnages sont affublés de noms « hors-normes ». La "norme" et a fortiori "l'anti-norme" est justement au cœur de ce « conte moderne », qui à défaut de troquer la magie des contes du XVIIème siècle au profit d'un XXIème siècle "mécanique", l’accentue et la pousse à son paroxysme, surtout avec « l’adjuvant » de la princesse, sa « mère-grand », Passerose (qui est l'autre nom de la Rose Trémière). Ce personnage, qui prend l’allure d’une fée, est presque évanescent. Mi-humaine, mi-extraordinaire, Passerose, qui signifie Rose Trémière, semble éternelle voire immortelle, à l’image des fées et des marraines de notre enfance. Les bijoux accentuent aussi son aura, la faisant ainsi passer du statut « de simple mortelle » à celui « d’ange », de « spectre vivant », ou de « belle gisante ».  Toutefois, Riquet à la Houppe dépasse le carcan du conte pour devenir un essai, mi-tragique, mi-fantaisiste sur la norme et en creux, sur l’identité. Ainsi, face à deux extrêmes : le superbement laid et le monstrueusement beau, tous deux rejetés, mis au ban de la société, on peut postuler que l’autre, c’est-à-dire le différent, l’exceptionnel, fait peur. Autrement dit, être trop beau ou trop laid reviendrait à dire : être différent et stipuler la notion d’identité. Le conformiste devient de ce fait la norme voire la définition de l’identité. Est seulement accepté celui qui me ressemble. Aujourd’hui, et c'est en cela que ce conte devient moderne puisqu'il épouse l'une des problématiques majeures de notre époque, l’identité est universalisée et non plus personnelle, individuelle. L’individu ne peut exister que par rapport à l’autre et ce, à condition qu’il soit comme lui. Voici notre tragédie ou notre « condition humaine». Face à cette identité conditionnée, Nothomb nous confronte avec une espèce beaucoup plus supérieure que la nôtre, celle des oiseaux. En effet, notre Déodat, ou Riquet des temps modernes est ornithologue, c’est-à-dire, spécialiste des oiseaux, de ces « êtres » éternellement libres, quoique leur liberté soit limitée et temporelle. Mais c’est cette liberté « courte » voire éphémère qui leur permet de vivre pleinement, de jouir de la "fureur" de vivre. Voler, voici où réside la liberté des oiseaux alors que notre espèce est « clouée au sol » et est fatalement condamnée, comme Sisyphe à répéter les mêmes gestes sans jamais connaître la jouissance de la transcendance (qui émanerait de l’action de voler). L’homme, claquemuré dans son ostracisme, jalouserait donc secrètement, selon la "réflexion" de Nothomb, cette espèce qui vit en groupe, chose que l’humain a perdu, et surtout, vit librement. Déodat s’isole ainsi de son plein gré du groupe, et lève les yeux au ciel pour « retrouver ses vrais amis, les oiseaux » (après être rejeté, puis accepté). Trémière, quant à elle, se complaît sans sa solitude et dans une contemplation quasi mystique à un tel point qu’elle  «(...) darda sur lui ses yeux et se concentra. Au bout d’une dizaine de minutes se produisit la magie : la boîte devint translucide et laissa transparaître l’étoffe phosphorescente des mouchoirs, une dentelle arachnéenne comparable aux merveilles de Bruges et de Calais. »

Ces deux personnages auraient pu avoir un destin abominable mais comme dans chaque conte, l’histoire se termine bien. Un deus ex machina ou si vous préférez un rebondissement va tout faire basculer et réunir nos « jolis monstres ». Comment ? Quand ? Déodat et Trémière ont évolué en parallèle et ce, jusqu’aux dernières « notes » du « livre », jusqu’à ce qu’un drôle de philtre, breuvage sublime et très prisé de nos jours s’en mêle (je ne vous en dirais pas plus!). La flèche de Cupidon s’est teintée d’or et ce, pour notre plus grand plaisir !

 Léger, frais, malicieusement enfantin, adulte ? Si l’on veut mais pas trop, Riquet à la Houppe version Amélie Nothomb ne risque pas de vous tomber des mains, mieux encore, il vous incitera à la réflexion sans même vous en rendre compte. A lire sans plus tarder ! 

Riquet à la Houppe d’Amélie Nothomb, aux Editions Albin Michel, 198 pages. Disponible à la librairie El Kitab de l’avenue Habib Bourguiba.


Fatma Souiri Gharbi