Musique

DEBO : le "Voltron" musical!

A quelques pas du barbelé assiégeant le ministère de l'intérieur, en plein cœur de la petite capitale, nous sommes parti à l'encontre de Trappa et ses frangins, dans leur petit appartement/studio : DEBO.

Rentré en 2012 d'un trip entre les scènes underground New-Yorkaises et Françaises qui a duré toute une décennie, Mohamed SeddikKekli (aka Trappa) a cofondé ce collectif, transformé postérieurement en association dont le local est doté d'un studio.

Trappa : "Cet espace est une urne de stockage, un vrai dépôt d'expressions artistiques et d'influences dont chacun d'entre nous à le droit de tirer ce qu'il en a besoin pour sa création. Une fois l'œuvre prête, elle rejoint la database afin de servir à d'autres aventures" C'est de cette façon que Trappa nous a définit son concept, une spatialité "rizhomorphe" dont les champs de niches n'ont pas de limites.

DEBO est un espace qui pense, ici le territoire n'est pas centralisé, c'est plutôt un réseau, un filet réticulaire qui ne cesse jamais de s'étendre grâce à la diversité culturelle de ses "disciples".

"Notre local vous parait petit, mais si vous passez ici une journée entière, vous allez comprendre que ce n'est pas du tout le cas. L'énergie du collectif fait disparaitre les murs."

Massi :"Le train a été pris en marche par plusieurs acteurs de la scène artistique locale. Je cite Zied Litayem le jeune réalisateur qui a fait ses preuves, l'association ART SOLUTION qui a contribué à quelques créations... Ce mouvement de "va et vient" a fait de DEBO une vraie machine qui ne connait pas de limites, l'ensemble n'est jamais défini. L'intérêt ici est de partir d'une multiplicité, vers la constitution d'une unité solide où les arts urbains et le Hip Hop s'associent aux arts visuels, aux expressions artistiques contemporaines et à l'académisme musical de Jihed Khemiri- qui n'arrête pas d'enrichir notre répertoire musical... Ce patchwork a déduit un ensemble de projets que DEBO dirige simultanément, dont notre show EL BANDA"

EL BANDA

© Hamza Bennour

Le projet phare du collectif, El BANDA est un vrai rush d'adrénaline et de mouvance qui vient comme un virage dans la route de la scène hip hop nationale.

Loin de YouTube et de Facebook, EL BANDA nous rappelle que le rappeur est avant tout un MC (master of ceremony) et que l'un des principes fondateurs de la culture HIPHOP est l'union.

Belhassan EMPIRE : "Le problème le plus remarquable sur la scène Hip Hop nationale est qu'il n'y a plus d'entente entre les rappeurs, chose qui est entrain d'alimenter la haine entre les fans des différents clans. Les quelques featuring ou collaborations qui ont fait le buzz sur la toile sont pour la plupart le fruit des consignes des producteurs, afin d'augmenter le nombre de vues sur les réseaux sociaux. EL BANDA n'est pas du tout dans cette logique, nous sommes des vrais amis, une crew depuis notre jeune âge, et nous sommes entrain d'investir tous nos atouts pour un seul intérêt commun : la constitution d'une unité de styles qui marie nos influences à notre héritage".

En partant de l'engagement et des "gimmick scéniques" du duo EMPIRE (Belhassen et Marwen KEKLI), en passant par WMD (Mahdi Monastiri) et sa maitrise parfaite de la langue anglaise qui nous rappelle les 90's et le "golden âge" du rap "oldschool", en s'arrêtant sur les "punchlines" en dialecte très prononcé de Massi (Mahdi Chammem), pour arriver au mimiques, grimaces et jeux de mots de Vipa (KaisKekli); ce show est une mosaïque effervescente qui nous offre une scène radicalement nomade.

WMD : "Les fans tombent parfois dans l'erreur de la comparaison entre les styles des membres de la Banda. A mon avis, ce que nous devons tous kiffer, c'est-ce Voltron qu'on a créé ensemble. Chaque piste lancée par l'un d'entre nous est rapidement attrapée par un autre. Ce genre de reflexe représente le vrai moteur de notre "folie scénique". Ca instaure une ambiance plurielle où l'improvisation est omniprésente. C'est-ce qui fait qu'aucun concert ne ressemble à un autre : chaque show est le résultat de son contexte, notre alliance vise à impliquer les amateurs de rap de tous les âges et à attirer le public des autres scènes."

Sous la direction de Trappa à la console, le show d'el Banda ne s'arrête pas là. Le voyage entre les styles de ces rappeurs nous transporte sur un fond imagé, orné par les graffitis digitaux de Sim

Vand'art (Issmat) et les artworks du VJ GODZY. La mise en scène propose d’expérimenter de nouveaux jeux et d’aller chercher l’interaction avec le public lors de chaque concert.

Vipa : " La mission d'EL BANDA est d'exploser une bombe d'ondes positives lors de chaque rendez-vous avec la foule, sans se détacher de l'actualité et de notre engagement. Nous sommes capable de traiter les problèmes et les enjeux de notre société tout en gardant une ambiance festive et pleine d'espoir qui tranche avec le style mélancolique dominant sur le rap Tunisien."

C'est-ce qui fait que le public de cette bande est de plus en plus diversifié. Durant les shows, il y a de toutes les classes sociales et de tous les âges. C'est une atmosphère très particulière, ici on respire l'underground!

Trappa : "Comprendre l’unité d’El Banda c’est comprendre sa diversité. On part du multiple pour atteindre une interactivité absolue qui fait du public la dynamo de notre mécanisme. Notre public est très exigent et fidèle. Il y a des têtes que j'ai repérées durant l'intégralité de nos prestations. A la fin de chaque concert, des dizaines de gens viennent nous booster avec des critiques, des remarques et des messages d'encouragement! On ne se destine plus à des fans mais plutôt à des supporters, tout comme les équipes de foot! Ca ne fait que renouveler le souffle et donner plus de "good vibes" à toute la bande."

Grace à cette "mouvma", la foule est entrain de s'élargir autour de ce projet qui n'a commencé que depuis sept mois. Lasortie de l'album studio de cette alliance typique marquera une déviation dans l'histoire de la scène underground nationale.

En continuant notre interview, nous avons remarqué que depuis notre arrivé, Trappa ne s’est pas assis. Quelques câbles, un rouleau de toile isolante et un tournevis dans ses mains, il bricole un engin hybride qui a provoqué notre curiosité : la TAHAMATA.

TAHAMATA

Un concept original qui nous jette dans la même logique que El BANDA : le partage, l'union, la multiplicité et le nomadisme musical. Ce tri-cycle muni d'un sound system circule dans la street afin de laisser résonner les voix des talents et de permettre à chaque artiste d'être indépendant.

Trappa : " TAHAMATA a une mission simple et très claire : vulgariser l'art et faire de l'espace en commun un podium continu et permanent! Il est temps de concilier le citoyen et l'artiste. Dans la jungle de la ville, on doit créer des points de fuite et inventer de nouvelles perspectives, pour que nous devenions conscient que l'art est une vraie nécessité!"

Avec son autonomie de 7h, TAHAMATA diffuse un son clean partout où il passe et s'adapte à toutes les occasions et circonstances climatiques.

Cette machine dont le design est conçu par SIM Vand'art est une preuve incontournable de la bravoure et du sens de citoyenneté très développé du collectif DEBO.

Trappa : " Contrairement à ce que les gens pensent, DEBO n'est pas une simple association qui fait la promotion de la culture HipHop. Depuis la création de notre collectif, la motivation nous a toujours poussés à lancer beaucoup de projets à portée citoyenne et "art-iviste".

D'ailleurs, même au niveau de la production musicale, DEBO a ouvert des fenêtres sur des expérimentations musicales nouvelles, autres que le HipHop - le projet de Jihed Khemiri, THEOSOPHIE par exemple."

THEOSOPHIE


Dans la marmite de Jihedil y a de tout : du Massive Attack, de la Hadhra, du gospel, du Mjared... Théosophie est un projet d'électro-rock psychédélique, qui nous envoie très loin, dans les hautes sphères mystiques, tout en se lançant dans les sons électroniques et spaces...

Jihed :" Je passe quotidiennement des heures entières collé à la station du DEBO à expérimenter des nouvelles sonorités et fouiller dans des répertoires des quatre coins du monde... Le DEBO est un espace magique à la limite de l'onirisme, la simplicité de ses soldats et leur sensibilité m'a encouragé à entamer mon premier projet personnel ici, dans l'indépendance absolue et loin des circuits conventionnels et des subventions ministérielles... C'est vrai que nous n'avons pas vraiment les moyens pour réaliser des grands projets, mais l'énergie du DEBO et l'ambition collective avec nos atouts et nos facultés sont le vrai carburant de notre machine artistique."

Malgré son académisme et sa contribution dans plusieurs projets musicaux professionnels, en tant que compositeur ou percussionniste, Jihed a trouvé dans le DEBO la vraie échappatoire pour entamer son premier projet musical expérimental.

Jihed : "Théosophie est une recherche musicale mystique unique, basée essentiellement sur l'improvisation. C'est à partir des textes d'Abou Hassan Al Chadhli et des chants de la cathédrale Saint-Augustin en Afrique du Sud que les deux chanteurs Mohamed Ali Chebil et Mahmoud Turki se lancent dans une trance de dictions. Ainsi, chaque musicien, par son instrument et sa virtuosité se laisse transporter par ce tourbillon spirituel pour construire une performance collective nomade dans le temps et dans l'espace."

Sur scène, Jihed assure la percussion et le synthé, accompagné par Trappa aux machines, Zied Bagga et Ayoub Rekik à la guitare. Cette formation est une quête d'une euphorie musicale qui se veut à la fois innovante et bien enracinée dans les cultures du monde.

Tant que le concept est bien assimilé par le collectif, et tant que l'ambition, l'engagement et la foi de tous les DEBO's bouillonnent avec ardeur, DEBO marquera surement ses quatre lettres dans l'histoire de la scène underground nationale et même mondiale.

Bonne chance et bon courage à tous les artistes tunisiens porteurs de projets, vive la jeune Tunisie artistiquement plurielle!

Maher Ben Khalifa