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Hédi, Un semblant de miroir de la société tunisienne

L'avant-première du film « Hédi, un vent de liberté » s'est déroulée à Toulouse en décembre 2016. Nous avons pu assister à une projection suivie d'un débat en présence du réalisateur Mohamed Ben Attia. Le film a suscité énormément de questions auprès des spectateurs tunisiens et ceux  étrangers à la société tunisienne. Nous avons grandi avec un cinéma où la femme est souvent mise en valeur, nous sommes habitués aux scènes de hammams, à ce corps oriental,  au mal-être social,  à cette société qui reste néanmoins conservatrice et cette pression sociale que subit la gente féminine. Hédi a été le déclic et peut être un point départ ! Nous sommes face à un phénomène social, peut-être pas général, mais une situation présente encore aujourd'hui : l'homme tunisien mis à nu.  Les personnes étrangères à la société tunisienne, restent figées devant le pouvoir, et surtout la force intérieure  de la mère, ainsi que face à  cette société qui trace des vies à la naissance sans leur laisser le libre-arbitre.


Interview de Majd Mastoura, acteur principal du film « Hédi »

1) Est-ce que vous pensez que la situation de Hédi  est juste un stéréotype, ou reflète-t-elle la (triste) réalité ?

Je pense que cette situation représente une partie de la réalité tunisienne, il existe énormément de Hédi à Tunis. La « famille tunisienne »  a encore son mot à dire que ce soit dans le choix de vie, les études, le boulot, la femme/homme qu’on va épouser. Certes, on ne peut tirer une conclusion sur toute une société à partir d’un film qui dure 1h 30 minutes, mais je pense que c'est assez représentatif.

2) Vous avez le rôle du personnage principal, rôle  qui est très important dans le film, vous êtes présent dans la plus part des scènes, c’est un paradoxe parce que,  en même temps, vous donnez l’impression d’être effacé et passif. Est-ce difficile d’être dans la peau d’un personnage de la sorte ?

Oui, personnellement c’était assez compliqué au début, car  dans la  vie je ne suis pas du tout  comme ça, je suis quelqu'un d’assez expressif, je défends mes propos, même physiquement, je n’ai pas du tout la même allure. Au début, c’était pas du tout une partie de plaisir pour incarner la peau du personnage, j’y suis arrivé grâce à de nombreuses recherches avec le réalisateur, et beaucoup de travail sur soi. On a passé deux mois de répétitions à l’hôtel, à Mehdia (lieu du tournage), je me suis familiarisé avec les lieux, et l’hôtel,  qui était en réalité, quasi désert, avec pratiquement  aucun touriste. Le fait d’avoir passé deux mois de suite dans cet endroit, cela te rend automatiquement « vide »,  tu ne fais plus rien, l’ambiance de  l’hôtel y a contribué, mais c'est surtout avec énormément de travail et de recherche.

3) En France,  les spectateurs (étrangers à la société tunisienne) se posent des questions sur la mère tunisienne, et se demandent pourquoi ne pas lui avoir tenu tête dès le début ?  

Je pense qu'on n’a pas  toujours le choix, car justement dans le film, Hédi dépend énormément de sa mère, financièrement parlant ce n’est pas quelqu'un d’indépendant, et je doute qu’on puisse dire non si on dépend encore de ses parents. D’autant plus qu'on ne sait pas si le mariage est forcé dans le film, c’est plutôt un mariage « banal », deux jeunes qui se sont peut-être connus au lycée, et après l’obtention de leur diplôme, décident de se marier. Ils ne se posent aucune  question, par rapport à leur avenir, ils suivent la « logique » des choses.

4) Ce rôle me fait énormément penser au personnage fictif de Meursault dans l’ouvrage d’Albert Camus  « L’étranger ». Tout au long du film, on vous sent « étranger » à cette société, à votre  mariage, à votre propre vie.

On m’a déjà fait la remarque  à ce sujet, et  d’ailleurs, lorsqu'on a préparé le film on n’y a pas du tout pensé, mais avec du recul, je remarque la ressemblance, c’est vrai !!

5) Dans un débat qui a eu lieu en décembre à Toulouse pour l’avant-première du film en présence du réalisateur Mohamed Ben Attia, certains spectateurs se sont attardés sur une question principalement : Pourquoi  le mariage avec Rim et pas avec Khédija ? Avec Khédija, il aurait été heureux « méthéni », comme on dit ?

Le mot « méthéni » est un phénomène social de nos jours, vous pensez que vous auriez pu être comblé avec Khédija ?

C’est justement la question centrale et fondamentale du film, à savoir, qu’est-ce que le bonheur ? Le fait de se caser avec celle qu’on croit connaître, et être heureux  (méthénnine), c’est une sorte de bonheur que propose, finalement, la société. Dans le film justement, Hédi se pose la question est-ce vraiment le bonheur ? Est-ce que je  souhaite vivre de la sorte ? Je pense que Hédi a réussi à répondre à cette question, pour lui, sa situation ne représente pas ou ne définit pas le bonheur. Personnellement, je pense que les personnes qui  tiennent ce genre de propos (méthénnine), ont une vision qui coïncide avec celle de Hédi  avant qu’il ne se révolte, pour rester dans la philosophie de Camus, et qu’il  prenne son envol   de sa famille. Vers la fin du film, le personnage a commencé à goûter à ce « bonheur » de l’envol, à cette liberté, de prendre des décisions, de faire des « choix » sans qu’ils soient  faits, ou pire, imposés par la société, d’où  le titre Hédi, un vent de liberté, qui veut tout dire.

6) De nos jours, vous pensez que l’homme tunisien, opterait plus pour une femme comme Khédija ou Rim ?

Personnellement, je pense que la majorité des hommes tunisiens opteraient plus pour une femme comme Khédija, qui représente la sécurité. La plupart des hommes tunisiens se voient encore dans laconfiguration d’un mariage traditionnel et vivent encore, hélas, le fantasme d’un mariage qui pourrait faire « apparaître » le bonheur, alors que c’est faux. Je pense que ce phénomène existe aussi en Occident, beaucoup moins,  certes. De manière générale, l’Homme cherche surtout la sécurité, quelque chose de simple, avec peu de risque. En revanche, les femmes cherchent plus une version masculine de Khédija. Actuellement, l'homme tunisien subit des pressions, le fait de devoir tout gérer, tout maîtriser, cela suscite des angoisses et des craintes, et du coup,  il préfère une relation plutôt facile à gérer, sans risque. 

Safia Ounaies