Si l’on voulait définir l’audace, on n’arriverait jamais à trouver une définition aussi précise que celle de l’écrivain portugais Fernando Pessoa. Il écrivait dans son "Livre de l’intranquillité" : « L’audace c’est la confiance que l’on place dans ses propres initiatives. »
Abdesselem Nawali, alias Phénix, est sans doute un rappeur pas comme les autres. Ses débuts étaient avec le Dub-step, le rap métal et raga dans une perspective de fusion entre tous ces genres.
C’était en 1999 avec son premier groupe Africano, qu’il a produit ses quatre premiers titres, influencé à l’époque par l’Old School comme Afrika Bambaataa. Phénix a réussi à mélanger tout genre de musique urbaine ( dans des titres comme “Bebjdid connection” ou “Arrête ton cinéma” ).
En effet, il a réussi à attirer les regards avec la création de son propre style qui penche vers la raga et le dance hall et qui peut être considéré comme en une fusion entre les deux. Nawali sait très bien ce qu’il veut et il ne mâche pas ses mots, ce qui explique son attitude. Il critique et tire sur tout ce qui bouge. Son stylo est son arme. Les esprits critiques simplistes disent que le rap est juste une musique sur des paroles. Si on se concentre sur ses textes, on constate que Phénix y met du « feeling », une sorte d'énergie dégagée de ses paroles qui ne laissent pas l’auditeur indifférent. Il est l’un des rappeurs convaincus de l’importance du flow. D’ailleurs, l’intérêt pour la compatibilité entre le rythme et les paroles est peu commun chez les rappeurs tunisiens.
Nombreux sont ceux qui négligent cette étape et se concentrent sur l’écriture. De toute façon, Abdesselem Phénix ne fait pas partie de cette école qui considère que le plus important dans un morceau ce sont les paroles.
Parmi les titres les plus écoutés sur YouTube et Soundcloud on peut citer :
* Tounés khadhra : Dans ce morceau en collaboration avec Med Amine Hamzaoui, le "rappeur-guerrier" de Bab Jédid se concentre comme à son habitude sur l’esthétique de son travail (style et musique). Le flow est une priorité pour lui. En effet, ce titre produit par Habla Prod en octobre 2010 en est la preuve. l’intro de ce titre est une musique reggae un peu lente qui nous rappelle les titres du début des années 90 ( Kaaris, Lil flip ... ) mais en harmonie totale avec les rimes du rappeur. La vitesse de la musique dans ce morceau est une vraie démonstration afin de découvrir ce que donne la compatibilité entre le flow et le verbe, pour montrer que le rap ce ne sont pas seulement des paroles sur des rythmes.
* Why ? : Dans ce featuring avec Crazy K, réalisé par Zied Litayem, on est face à un slow beat avec une ligne de basse dansante qui nous prépare pour le show et l'ambiance thriller du clip. Sur le rythme d'une composition signé Dj Killer, Phénix dresse le portrait d'une société en déclin avec des personnages dépressifs et en détresse. Il faut noter également que le refrain (chanté par Crazy K) est un retour au dance hall, sous-genre musical issue du reggae.
*Jib twalék : Le rythme dans ce morceau est extrêmement rapide par rapport aux paroles, avec des moments où on remarque une légère montée en ce qui concerne la voix du rappeur. Et ceci donne un rapprochement entre les paroles et le rythme.
*Infelwenza : L'un des titres qui ont fait le succès de Nawali, il assimile flow et vitesse du débit. Le rappeur est ici en cadence avec le beat mais parfois il le dépasse. Ce flow rapide et un peu léger nous rappelle des featuring comme "I willI hurt you" de Busta Rhymes et Eminem.
*Bastardo : Ce morceau date de l'époque durant laquelle ce rappeur “babjdidien” a commencé à forger son propre style. Un style avec un flow lent, un beat lourd et des notes de clavier aiguës pour le début du morceau. Phénix est fidèle à ses habitudes, il essaie d'écrire en fonction du flow : des phrases courtes et des rimes monosyllabiques (clin d'œil à la légende 2Pac et son titre “Changes”).
*Chaab Sangour : Un titre qui se caractérise par son rythme monotone et lent, on dirait une sorte de combinaison entre le downtempo et le trip hop (genres de musique électroniques qui ont émergé au début des années 90). Ce morceau se base sur les paroles plus que la musique avec un titre épique et bien choisi. Les paroles se mélangent et se combinent avec cette monotonie du flow pour nous donner des rimes qui contribuent à la musicalité du titre.
Vive l’anarchie !
Ce rappeur-anarchiste est l’ennemi juré du pouvoir en général et de tous ceux qui représentent les institutions de l’Etat. Pour lui, une autorité est toujours une cible. Et, de ce fait, à travers ses chansons, il déclare une guerre sans fin contre le pouvoir en place. C’est à cause de ses prises de position qu’il a été emprisonné, sous prétexte de la fameuse loi 52. C’est pour cela d’ailleurs, qu’on n’arrive pas à trouver un titre qui n’évoque pas les conditions des jeunes dans les quartiers défavorisés. Influenza, Bastardo, Chaab Sangour sont des chansons qui nous qui nous plongent dans la Tunisie profonde, là où on trouve les oubliés de Dieu. Comme Abou Al Kacem Chebbi, Phénix est parfois indigné. Il conteste le silence du peuple et l’incite à se révolter contre l’oppression du pouvoir. Il était parmi les rappeurs tunisiens engagés. On le trouve toujours au premier rang, quand il s’agit de liberté d’expression. Il suffit de penser au fameux titre « Sayeb15 », lors de l’arrestation de Weld el 15.
Il est vrai que Phénix a quitté la Tunisie. Il vit en Suisse aujourd’hui, une nouvelle expérience qui permettra peut-être à ce Babjdidien de présenter de nouveaux titres avec un nouveau style et, pourquoi pas, l’internationalisation du rap tunisien.
Allez découvrir ses chansons sur YouTube !
Dhia BOUSELMI