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En exclusivité : Le photographe Jean Daniel Lorieux rend hommage à son amie Leila Menchari.

Leîla Menchari, la célèbre décoratrice en charge des vitrines de la maison de haute couture française Hermès, nous a quittés il y a quelques jours à l'âge de 93 ans des suites du covid-19. 

Longtemps directrice artistique de la célèbre maison de luxe Hermès, les photos de ses décors ont fait le tour du monde, et ont contribué au rayonnement de l'artisanat tunisien le plus raffiné et le plus authentique. Paix à son âme.

Afin de lui rendre hommage, nous avons discuté avec l'un de ses amis proches. Monsieur Jean Daniel Lorieux nous a accordé une interview et nous parle de sa rencontre et des débuts de la femme qui se cache derrière cette artiste exceptionnelle.

Jean-Daniel Lorieux est l’un des plus célèbres photographes de sa génération. Mythe de la photographie, maître dans l’art pictural, Jean-Daniel Lorieux est l'un des chef-de-file du paysage créatif international. Il collabore depuis plus de 20 ans avec les plus beaux magazines de mode en signant les plus belles campagnes publicitaires des plus grands couturiers (Paco Rabanne, Pierre Cardin, Céline, Dior, Lanvin…)

Comment avez-vous rencontré Madame Menchari ?

Avant toute chose, je souhaite souligner que j'ai toujours considéré Leila comme ma soeur. Cela remonte à l'année 1966, je commençais dans la photographie, j'avais à peine 28 ans et le couturier M. Pierre Balmain m'a demandé de réaliser des photos de mode masculine avec  notre ami Jean Claude Pascal, qui était un chanteur à succès à l'époque, comme mannequin. Leila, qui était elle même encore mannequin, était chargé d'habiller Jean Claude.

Le shooting s'est déroulé à New York. Nous avons donc embarqué, tous les 4, à bord d'un vol en destination des Etats-Unis et c'est ainsi que notre amitié a commencé.

Plus tard, nous avons connu le couturier Ezzedine Alaia, qui lui aussi faisait ses premiers pas dans le monde de la mode. Nous nous sommes rapidement liés d'amitié et nous nous sommes cette fois ci dirigés vers la Tunisie, pays natale de Leila et Ezzedine.

Nous nous sommes tous les 4 installés dans la ville de Hammamet, dont nous étions tombés sous le charme, Jean Claude et moi, dans le fort plus précisément, où nous avions décidé d'acheter une maison. Les fêtes que nous avions organisées à l'époque sont inoubliables et réunissaient plusieurs artistes, tels que le sculpteur français et ami, César.

Nous sommes aussi tous partis à la découvert de Tozeur, lors du Festival du film de Tunis, accompagné de notre amie et actrice Mireille Darc. Nous avions passé un séjour merveilleux en compagnie de l'équipe d'Hermès notamment. J'ai d'ailleurs réalisé plusieurs shooting dans le sud Tunisien, qui offre un cadre idyllique.

Comment la décririez-vous, elle qui a souvent été appelé la Reine Mage ?

Oh...Il faudrait tellement de qualificatifs ! Lorsqu'elle a commencé chez Hermès, elle était extraordinaire et humble. J'étais présent lors de ses débuts avec M.Jean Louis Dumas, en tant que stagiaire, elle assistait la personne en charge de la décoration des vitrines et elle a rapidement fait ses preuves et a su se tailler une place.

Leila en a fait rêver plus d'un avec ses créations. Elle fait partie de ces personnes que l'on ne rencontre pas tous les jours, nous entretenions une amitié rare et sincère.

Nous avons été un petit groupe d'amis très soudé. Leila, Ezzedine, Jean Claude et moi pendant plusieurs années.

C'est elle qui m'a fait découvrir la Tunisie et c'est grâce à elle que j'ai réalisé pendant 15 ans, toutes les campagnes de l'ONTT afin de montrer que c'était la Tunisie du coeur, la Tunisie de mon coeur puisqu'ensuite je me suis installé à l'île de Djerba.

Que pensez vous de son travail et de ses créations ?

Et bien, il n'y avait qu'elle qui avait ce regard, cette créativité complètement venue d'ailleurs. Elle avait entre autres réalisé un grand éléphant à partir de cartons et de fils de laine. Elle avait le don de faire des compositions multicolores incroyables. J'ai d'ailleurs reçu de la part d'Hermès et de Leila, au tout début de sa carrière, certaines de ses créations comme cadeau. Des souvenirs que je garde jusqu'à aujourd'hui.

Hermès lui a rendu hommage au Grand Palais à Paris, il y a 3 ans, à travers huit mini-saynètes, on replonge dans les univers enchantés de Leïla, on se laisse aller à la  rêverie et on admire avec quelle virtuosité elle rassemblait dans un mini-espace mode, accessoires, artisanat, art, mythologie et conte.

Quel souvenir gardez-vous de votre amitié ?

De 1966 à 2020, c'est le temps qu'a duré notre amitié..54 ans c'est vraiment longtemps. Mon meilleur souvenir date de l'époque où nous étions à Hammamet tous ensemble, quand nous partions aussi à la campagne avec Ezzedine Alaia. Nous faisions alors tous nos débuts dans le monde professionnel.

Elle m'a appris à avoir un regard optimiste sur le monde, où l'on voit le bonheur et la joie de vivre. Surtout en ces temps difficiles auxquelles nous faisons face, bien-sûr pencher la tête sur la douleur est normal, mais finir par se retourner toujours vers le soleil.  

C'est un message que j'essaye aussi de transmettre à travers mes photographies. Leila était une personne qui aimait la vie et qui illuminait chaque endroit qu'elle visitait. Sa présence ne passait pas inaperçue.

Le mot de la fin :

Je suis et resterais toujours fier de pouvoir dire que Leila était mon amie. La connaitre était un privilège. J'ai certes perdu une sœur mais le monde a perdu une vraie artiste qui a élevé la décoration au rang d'art.

Comme vous le savez je suis français et parisien mais mon coeur est resté en Tunisie. J'ai été tellement bien accueilli que mon retour en France n'était pas évident. J'ai eu la chance de revenir en Tunisie, grâce à vous, il y a quelques années et je vous le dis explicitement " Je suis plus tunisien que français ".


T.F