Zoom sur un événement

Exposition collective Au-delà des structures, organisée par Blue wind project

À propos du Blue Wind Project

Khadija Hamdi, docteur en histoire de l’art et curator indépendante, entreprend de mettre en place un cadre à la fois de travail et de réflexion à même de systématiser les efforts fournis pour rapprocher les deux rives de la Méditerranée artistique et par-là même, de vivre d’encore plus près sa passion pour la Tunisie et pour l’Espagne. Ainsi, est mis en place le Blue wind projet, le programme curatorial de la galerie le Violon Bleu, pour accompagner les artistes des deux bords de la Méditerranée, notamment de la péninsule ibérique et de la Tunisie, à travers des projets d’expositions, de conférences et d’échanges bipartites dans le domaine élargi de l’art. Entre la curatrice et la galerie, se situent les artistes qui ne demandent qu’à s’ouvrir à un public de connaisseurs en proposant des morceaux de mémoire, des bouts d’histoire, des bribes de représentations susceptibles de dire la chose artistique et de la magnifier.  

À propos de l’exposition

La présente exposition est une invitation à appréhender différemment notre regard sur l’art, sur nous-mêmes et sur ce tout qui nous entoure, une expérience à même de dépasser les simples normes esthétiques et d’aboutir à une réflexion nécessaire sur l’univers. Il convient, plus encore, de tenter de percer son mystère, un peu comme Tangy Viel dans l’analyse de Sleuth, où il incite le lecteur à utiliser l’œil en guise de caméra pour comprendre les réactions des acteurs sans passer par le dialogue. Enfin, nous avons affaire à ce genre d’exposition vécue comme une expérience personnelle, dans laquelle chacun se confronte et se retrouve avec ses propres émotions, et aussi comme une expérience collective, car si les toitures des maisons peuvent être si différentes, le soleil qui s’y reflète est le même pour tous.

Exposition du 22 Juin au 30 Juillet 2023 

Vernissage le 22 Juin à partir de 17h

 Adresse : 16 rue de la gare, 2026 Sidi Bou Said, Tunisie

 

Les artistes

 

Safa Attyaoui (Tunis, 1990)

Asma Ben Aissa (Bizerte, 1992)

Sara Bonache (Barcelone, 1991)

Chahrazed Fekih (Beklata, 1979)

Marc Herrrero (Barcelone, 1977)

Hela Lamine (Tunis, 1984)

Bruno Marrapodi (Milan,1982)

 

Texte Curatorial

  Au-delà des structures

 « On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. »

Antoine de Saint Exupéry

                En avoir eu plein les yeux de l’architecture moderniste catalane, qui donne à voir des piliers ressemblant à des trognes, des toits qui imitent la forme des feuilles et des arcs qui renvoient aux courbes des végétaux, a sûrement été un point de départ et un prétexte d’une exposition qui allie la nature à l’architecture, autour d’artistes ayant en commun la mer méditerranéenne et une obsession ardente à déceler les veines d’un arbre ou à observer l’éclosion d’un cocon en devenir[1].

  

              De prime abord, tout fait penser à une immersion dans un monde naturel et végétal, ponctué de structures architecturales, mais limiter l’exposition à un aplat de formes et de couleurs, reviendrait à  réduire les monuments de Gaudi à une copie du jardin labyrinthique de Horta, ou encore  le livre de Maeterlinck « La vie des abeilles » à un traité d’apiculture ou d’élevage d’abeilles[2]. Ce serait même penser que le Parfum de Patrick Süskind est un simple récit olfactif, alors qu’il s’agit d’accompagner le héros, dans sa folie meurtrière pour comprendre sa quête de  la construction d’un idéal[3]. 

 

                Plus encore, cette immersion dans un espace dominé par le végétal et qui nous domine à son tour  à la faveur de sujets ramenés à une échelle inhabituelle (les insectes de Chahrazad Fekih), confère l’impression d’une révolte de la peinture de la Renaissance italienne qui n’a cessé, dès ses débuts, de nous impressionner par le renouveau de la représentation de l’architecture.

 

 À mesure que l’œil capte les structures d’une forme architecturale, celles-ci tentent de disparaître sous la touffe d’herbes ou à tendre vers une pure forme abstraite. Comme les châteaux de Bruno Marrapodi, dont les édifices, à force d’obsession et de répétition, devenus écrins de ses émotions et refuges de son enfance, se transforment en rocher ou deviennent des espaces plats et géométriques, démunis d’une quelconque ouverture.  On eût dit une manière d’empêcher de pénétrer dans son monde émotionnel, en poussant par-là même, à faire face à nos propres émotions.

  

Rompre avec les structures et les dépasser, c’est oser sortir de sa zone de confort et retourner aux sources, à l’essentiel et par-dessus de tout à soi-même, jusqu’à accepter notre propre fragilité, si bien traduite par l’œuvre en dentelle de Safa Attyaoui qui s’acharne aux découpages, à la manière du dessin aux ciseaux, si cher à Matisse. Les méandres que parcourent les ciseaux sur  la surface d’une feuille, la fragilisent, mais finissent par ne garder que l’essentiel de ce qui devrait être vu et retenu après une quête et un cheminement.

   

            Le retour à soi et à l’essentiel est traduit également par le travail de la poétesse de l’art du textile, Asma Ben Aissa, qui réduit l’architecture à de simples formes géométriques cousues au fil, qu’elle pose délicatement sur un fond en teinte verte. C’est encore un univers où la nature confine aux structures architecturales. Les considérer comme des lignes simples, c’est, aux dires de l’artiste, inviter le spectateur à se connecter à son propre espace intérieur et à réfléchir à  sa relation avec l'espace qui l’entoure. C’est comme fermer les yeux dans l’obscurité pour atteindre à une autre dimension intemporelle de l’imaginaire poétique.

  

Faire abstraction des structures géométriques, images de notre rational, pour nous obliger à nous connecter  à l’irrationnel et à l’émotionnel, est le fort des artistes Hela Lamine et Marc Herrero, qui  perçoivent le monde à leur image : Hela se projette déjà dans une métamorphose  kafkaïenne, où elle se voit  se muer  en  arbre, et n’hésite pas à faire jaillir des feuillages, des fleurs et des racines,  à même le corps humain. En tout état de cause,  c’est sa manière de revenir à l’essentiel et à la nature, en la faisant affleurer de nos propres veines, comme une connexion évidente et un corps à corps entre l’homme et la nature. 


De l’autre rive de la Méditerranée, Marc nous tient par une main épineuse (Human-cactus), pour nous ramener dans son univers surréaliste aux structures paradoxalement rationnelles, dont l’alliance de la nature et de l’architecture fait toujours merveille, et se transcende le regard strictement quotidien, comme l’arbre renversé (Equilibrum) qui tente de trouver son équilibre entre deux toitures de maisons : aberrant mais pourtant possible, dans la mirada de Marc[4].

  

Enfin, le face à face des travaux de Sara Bonache et de Chahrazad Fekih , semble être une invitation disproportionnée à la pollinisation par les insectes.  Le souci apporté aux détails « nous pousse à apprendre à voir et à changer notre manière de regarder, pour voir le monde autour de nous se métamorphoser, depuis un paysage-décor vide, en une assemblée de points de vue et de cohabitants »[5]. Tout un programme…

  

S’il est impossible à l’abeille de Fekih de polliniser les fleurs de Sara, celles-ci deviennent une invitation à restreindre l’échelle du corps d’humain pour mieux pénétrer celui des fleurs, qui fait surgir une des scènes les plus bouleversantes du film d’Almodovar, ce petit homme qui se promène sur le corps d’une femme. Surprenante et romantique, cette situation pour le moins inattendue devient un besoin de dépasser la limite de ce que notre corps peut saisir et notre œil est en mesure de capter[6]. Et de rappeler que la barrière entre la nature et l’humain est devenue poreuse formant les vases communicants de nos propres émotions.

  

La présente exposition est une invitation à appréhender différemment notre regard sur l’art, sur nous-mêmes et sur ce tout qui nous entoure, une expérience à même de dépasser les simples normes esthétiques et d’aboutir à une réflexion nécessaire sur l’univers. Il convient, plus encore, de tenter de percer son mystère, un peu comme Tangy Viel dans l’analyse de Sleuth[7], où il incite le lecteur à utiliser l’œil en guise de caméra pour comprendre les réactions des acteurs sans passer par le dialogue[8].

  

Enfin, nous avons affaire à ce genre d’exposition vécue comme une expérience personnelle, dans laquelle chacun se confronte et se retrouve avec ses propres émotions, et aussi comme une expérience collective, car si les toitures des maisons peuvent être si différentes, le soleil qui s’y reflète est le même pour tous.

  

Texte par Khadija Hamdi curator

  

Contact

 Pour plus d’informations à propos de l’exposition : 


contact@leviolonbleugallery.com

info@bluewindproject.com

   WhatsApp : +34 623565723

Adresse : 16 rue de la gare, 2026 Sidi Bou Said, Tunisie

www.leviolonbleugallery.com

www.bluewindproject.com


[1] Le nom de ce mouvement change selon les pays, qualifié d’Art Nouveau en France, Liberty en Italie, Modern Style en Angleterre, en Espagne on parle de Modernismo. Malgré ses différentes appellations, les caractéristiques de ce mouvement sont similaires dans chaque pays, principalement en ce qui concerne l’utilisation du thème de la nature. 

[2] M. Maeterlinck, La vie des abeilles, Bibliothèque Charpentier/Eugène Fasquelle, 1907.

[3] P. Süskind, Le parfum, Zurich, 1985.

    [4] La mirada c’est le regard en espagnol, que je me permets ici d’utiliser dans la langue de l’artiste Marc Herrero, pour insister sur cette notion d’observer le monde comme une nécessité, un point qui ne cesse de ressortir de mes échanges avec l’artiste.

 [5] Propos de Chahrazad Fekih, dans Insectum, Merveilles et Émerveillements, 2022, p. 4

[6] Je fais référence au film, Parle avec elle, De Pedro Almadovar, 2002.

   [7] Le Limier (Sleuth) est un film britannique réalisé par Joseph L. Mankiewicz adapté de la pièce Sleuth D’Antony Shafer (aussi scénariste du film), sorti en 1972. 

   [8] T. Viel, Cinéma, Paris, les Éditions de Minuit, 1999.