Musique

N3rdistan, Dyslexie et Helwess: de l’engagement vers l’exploration personnelle

17:00 : N3rdistan



La seconde journée des JMC démarre en trombe avec le show de N3rdistan prenant place sur la scène de l’avenue Habib Bourguiba par un dimanche après-midi maussade, et qui ironiquement correspond à la journée des martyrs du 9 avril 1938. Si la programmation de N3rdistan en ce jour de commémoration des martyrs de la liberté n’est due qu’au hasard, c’est une ironie qu’on se doit d’évoquer. En effet, le quartet issu du Maroc opte pour une musique politiquement engagée avec des paroles souvent issues de la poésie d’Ahmed Matar, Mahmoud Darwich et autres, résolument dérangeantes, difficiles à digérer, forçant la réflexion, sur un fond musical choisi avec soin pour transmettre un message chargé de signification. Le jeu du batteur Cyril Canerie et du multi-instrumentaliste Benjamin Cucciarra accompagne à la perfection les voix de Walid Ben Selim et de Widad Brocos qui, loin des prouesses vocales de l’opéra, préfèrent raconter une histoire, exhorter et éduquer le public.

N3rdistan, c’est également une excellente démonstration de showmanship. Le groupe déborde d’énergie, et cette énergie est contagieuse. Walid Ben Selim et Widad Brocos nous évoquent un Zack de la Rocha lors de ses prouesses musicales les plus intenses. Le public rassemblé aujourd’hui dans le froid à l’avenue Habib Bourguiba n’est pas un public de connaisseurs. C’est un rassemblement de badauds qui ont eu la bonne surprise de découvrir N3rdistan par le plus pur des hasards. En posant la question à divers spectateurs, il s’avère que très peu d’entre eux connaissent ou ont entendu parler du quartet. Cela ne les a pas empêchés de vibrer au rythme des superbes compositions du groupe et de réclamer des rappels à répétition. N3rdistan, que je qualifierais d’héritier spirituel des plus grands, tels que Rage Against the Machine, n’a pas déçu et au contraire, n’a engendré d’insatisfaction que par l’impossibilité de poursuivre le show au-delà du raisonnable. Cela, on ne peut le leur reprocher. 



19:00 : Mahmoud Turki, Nour Harkati et le collectif Aytma.

On abandonne la scène en plein air de l’avenue Habib Bourguiba pour rejoindre la compétition officielle des JMC, mettant ce soir en scène deux projets. Mahmoud Turki ouvre le bal avec son spectacle intitulé « Dyslexie ». Le groupe puise décidément son inspiration dans la musique orientale mais ne s’y limite pas. Outre le fait que cette 4ème édition des JMC arbore le slogan de l’éclectisme musical, il semblerait que chacun des projets mis en avant dans le contexte de la sélection officielle adopte ce même éclectisme dans son style. Il est évident que « Dyslexie » est le fruit d’un travail de recherche intensif. Ce n’est pas une musique facile à digérer. Ce n’est pas non plus une musique qui vise à déchaîner les foules, mais plutôt à provoquer leurs sens. On ne peut que regretter la présence du public amoindrie en comparaison avec la cérémonie d’ouverture. Ceux qui étaient présents, par contre, ont eu l’occasion d’apprécier la voix grave de Mahmoud Turki, en éternel contraste avec la douceur des mélodies jouées, de même que l’alternance d’instruments de l’oud à la guitare au banjo, ce même banjo qui donne à certaines phases de « Dyslexie » un air de country music oriental.

Un tonnerre d’applaudissements signale la fin de spectacle de Mahmoud Turki et après une courte pause, c’est au tour de Nour Harkati et du collectif Aytma de prendre les devants de la scène. D’ores et déjà, on se rend à l’évidence que le groupe jouit d’une certaine popularité auprès du public. Les applaudissements ainsi que les encouragements de fans retentissent fréquemment. Ces interactions positives du public sont largement méritées vu la qualité indisputable de « Helwess », le projet du groupe. Nour Harkati propose également une musique dont on doit se délecter, une musique extrêmement recherchée qui met en scène un jeu de piano somptueux accompagnant la voix inhabituelle du chanteur, le tout saupoudré d’une performance de guitare basse, batterie et guitare électrique qu’on ne peut qualifier que d’excellente. Le style de « Helwess », fidèle à la tradition naissante des JMC, présente un éclectisme saisissant entre une voix quasi-psychédélique, un piano poignant par moments, terrifiant par d’autres et un trio rythmique groovy.

Si on devait tirer une conclusion de la musique proposée aux JMC jusque-là, cela serait que l’industrie de la musique, tout comme celle de n’importe quel art en est au post-modernisme. D’un côté, le spectateur est confronté à un déluge d’« arts » commerciaux, clichés insipides et de l’autre, on trouve de temps en temps ces gemmes de la musique, de la littérature, du cinéma, véritable résistance de l’Art avec un grand A face aux « arts » imposteurs. C’est également cela les JMC, une porte d’accès vers une dimension où la musique présentée est le fruit d’une recherche méticuleuse, décomplexée. Ce qu’il en découle est un travail qui titille les sens et qui laisse réfléchir que l’instant M vous recommande vivement de découvrir.

                                                                                     Med Amine Sehli