Zoom sur un événement

DOC à TUNIS 2017 Sous le signe de l’Humain

Tunis a vibré au rythme des projections, programmées par l’équipe organisatrice du «Doc à Tunis »

Une programmation étoffée, triée sur le volet, qui a drainé un nombre considérable de spectateurs, curieux férus de documentaires à l’Institut Français de Tunisie et à la salle du 4ème art.  

Pour son édition de 2017, les responsables de cette manifestation culturelle, désormais très attendue, chaque année, n’a pas lésiné sur les moyens afin de mettre la main sur des films-documentaires tunisiens et étrangers de qualité, liés par une seule thématique commune et récurrente qui est « l’humain », prônée par les créateurs des œuvres choisies.

Les festivités ont été inaugurées sur les chapeaux de roue, lors de l’ouverture de cette 11ème édition des rencontres internationales du film documentaire au 4ème art avec la projection du film « Contre- pouvoirs» réalisé par l’Algérien Malek Ben Ismail. Un film, datant de 2016, qui célèbre 20 ans de combat et de résistance pour une presse indépendante algérienne, au pays où le 4ème pouvoir est toujours aussi scellé. Ce doc ficelé, traité avec un zeste d’humour et de piques a reçu l’accueil escompté.  

Le journaliste entraîne les spectateurs dans les coulisses du journal algérien indépendant « Al Watan » et de sa rédaction, essayant de déjouer la censure et ré-esquissant une autre image, peu connue, de la société algérienne.

Un coup d’envoi fortement marqué par un hommage rendu à l’iconique Raja ben Ammar, une sommité du théâtre tunisien, décédée brutalement, la veille. 

Syhem Belkhodja, organisatrice de cette manifestation et Imed Jemâa ont exprimé leur douleur, suite à la perte de cette grande dame, qui s’est beaucoup consacré à la scène culturelle tunisienne et qui encourageait sans cesse les jeunes artistes tunisiens à percer. Syhem, qui au fur à mesure des rencontres valorisait la portée des films prévus cette année. Des rencontres, où projections mais surtout débats, suivent après afin d’entretenir la réflexion. Les spectateurs n’ont pas eu seulement à consommer l’œuvre !  La décortiquer compte également pour des séances constructives et enrichissantes.

La programmation a été minutieusement établie par Aicha Khenissi (chargée de coordination) et Elyes Bessrour (directeur artistique).Ce duo a veillé à ce que la programmation soit d’actualité, porteuse d’espoir. Des films qui traitent des problèmes qui rongent le monde actuellement et où la lutte atteint son apogée en Iran, comme en Algérie, en passant par le Cambodge, ou la Syrie… Etc Une succession de films éclectiques,  issus des quatre coins du monde. 

Un aperçu du quotidien fastidieux des princes du Qatar a été dévoilé dans le doc « Challenge » de Yuri Ancanari (qui a raflé le prix spécial du jury – Locarno). Lumière sur l’éducation au Cambodge dans « les Pépites ». 

« Doc à Tunis » est parti également sur les traces des réfugiés palestiniens  dans les « Chebabs de Yarmouk » pris dans l’enfer du bourbier syrien. Marion Poizeau dans « Into the sea »,  a transporté le public au Balutchistan afin de relater le combat de trois Iraniennes, déterminées à défendre leur droit de pratiquer librement le surf. 

Une vingtaine de films en tout, parmi lesquels des docs récents et d’autres qui le sont moins, ont défilé. Mais « Doc à Tunis » n’a pas accordé de l’importance qu’aux films-documentaire : un volet de la manifestation a été consacré aux rencontres artistiques, intellectuelles et philosophiques, dirigées par des invités d’honneur. 

Parmi eux, Michel Onfray et son collectif de l’Université Populaire de Caen. Ces derniers ont fait le déplacement jusqu’à Tunis pour des interventions programmées sur pas moins de deux jours, durant deux après-midis successifs. 

Ils étaient tous dans le partage des idées et s’y sont adonné  face à un public fort nombreux et réceptif, venu les accueillir.

Onfray, qui n’en est pas à sa première participation à « Doc à Tunis », a soulevé une thématique baptisée « Le temps de la laïcité », juste après avoir permis à ses camarades, issus de l’Université Populaire, de s’emparer de la scène du 4ème art. 


Première intervenante Myriam Illouz, psychanalyste. Lors d’une intervention de près d’1 h, cette dernière a hypnotisé la salle à travers la portée du sujet traité. « La perversion narcissique », cette pathologie, très répandue de nos jours, et dont sont victimes un bon nombre de personnes a été finement analysée. Elle a également évoqué « les bouleversements psychopathologiques de l’hyper-modernité » et par conséquent « le déclin de l’humain ». 

On n’irait pas jusqu’à dire que c’était une séance de psychanalyse collective fortement intense, mais, si l’intervenante en question n’était pas limitée par une durée bien déterminée, la rencontre aurait pu prendre une tout autre tournure.

De la psychanalyse à l’art … Illouz a cédé la scène à Gérard Poulouin et Marina Hicker, un duo d’invités qui s’est focalisé sur l’art de « Paul Klee en Tunisie ». Poulouin a traité de « la décolonisation de la langue française » vers la fin, consacrée à la linguistique. 

Le masterclass de  Kaouther Ben Henia  (lauréate du Tanit d’Or en 2016 lors des Journées Cinématographique de Carthage pour son film « Zeïneb n’aime la neige ») a été une réussite. La réalisatrice a transmis au public son savoir et des astuces  tirées de son expérience professionnelle. 


Autant de thématiques discutées en peu de temps ont permis à un nombre considérable de personnes présentes d’intervenir, de demander conseil, d’émettre des avis ou qu’on permette tout simplement qu’on les éclaircisse sur certains points. Des rencontres prisées certes, mais tellement regrettées par un nombre considérable de spectateurs qui n’ont pas pu y assister, faute de temps. 

Des étudiants ont néanmoins critiqué  le fait de les faire payer afin de pouvoir assister à ces rencontres, alors qu’initialement tout le festival était basé sur la gratuité. 

Revisiter le monde, le scruter, aiguiser son sens de l’analyse, « gratuitement » étaient à la portée du 5 au 9 avril 2017 mais pas qu’à Tunis… La décentralisation a, en effet, été de mise. La manifestation s’est étalée jusqu’au Kef, à Menzel Bourguiba, à Kairouan et Sidi Bouzid, sillonnant ainsi les régions et privilégiant la qualité des projections plutôt que la quantité, ce qui justifierait le nombre réduit de films programmés cette année. 

Des bénévoles issus de l’EDAC (l’Ecole des Arts et du Cinéma) ont contribué bénévolement à l’organisation du festival. 

« Ness el Fen » ont tenu les rênes d’une manifestation globalement réussie et nous donne rendez-vous dans quelques semaines, avec « Tunis, capitale de la danse » et « Design et mode de Carthage », deux évènements d’envergure, afin de clôturer en beauté l’année 2017.

Haithem Haouel