© Mûsîqât
Le festival Musiqat est de retour avec sa 12ème édition qui s’est déroulée au palais de l’étoile du Nord (Le palais du Baron d’Erlanger) à Sidi Bou Said du 6 au
21 octobre 2017 !
« Un monde sans peur » par Nasseer Shamma
La soirée inaugurale fut présentée par Naseer Shamma, le luthiste irakien le plus notable du monde arabe. Il est vrai que dépeindre son portrait ne relève pas de
l’évidence, car sa notabilité puise ses racines dans ses multiples facettes et talents : Musicien, compositeur, et fondateur de la Maison du Oud au Caire, Abu
Dhabi, Abidjan et bientôt à Berlin, soldat dans la première guerre de l’Irak, opposant politique détenu pour ses opinions et ses critiques contre Saddam Hussein,
humaniste, nommé artiste de l’UNESCO pour la paix, militant, et engagé pour la cause des enfants rescapés de guerre (association AHLOUNA), et la liste est
encore longue…Dans ce dédale de qualités, il dispose d’une arme unique en son genre : répondre à la guerre par un appel musical à la paix transmis à toute
l’Humanité grâce à un instrument allégorique de la richesse du monde arabo-musulman.
« Un monde sans peur » s’annonce comme un voyage dans le temps et dans l’espace : aux temps de la Mésopotamie source de l’écriture, aux chants
méditatifs des temples du Babylone, aux festivités du Roi Hammourabi où le Oud festif a résonné et laissé ses premières empreintes, aux « Maisons de la
sagesse » bâties dans l’âge d’or de la période Abbasside, jusqu’aux influences des mélodies de la Grèce antique, la Turquie, et la Perse…
Le spectacle a inclut sa composition « La danse du cheval », une reprise de « Alf lila w lila » de Om kalthoum jouée à la manière de Abu Nasr El Farabi dans
son manuscrit qui date du IX siècle, (avec une seule main), une chanson dédiée à la Tunisie intitulée « Khamsa w Khmis » (la Tunisie où il a enseigné le Oud à
l’Institut Supérieur de la Musique de Tunis), une reprise de « Lamouni li Gharou meni », en plus de deux compositions dédiées à deux grands hommes du
théâtre tunisien pour qui il a composé : Mohamed Ali Louati, et le regretté Ezz Eddine Ganoun.
© Mûsîqât
Il s’en suit une soirée traditionnelle célébrée par Les frères Gharbi (Béchir au luth et Mohamed au violon) : « Tourments ».
Béchir et Mohamed nous ont proposé un retour aux sources, au patrimoine musical tunisien archivé dans son berceau initial Errachidia, acculturé avec un riche
registre musical de « maqamat », de notes andalouses et maghrébines aussi. Mais, leur originalité réside dans leur puisement dans le Malouf qui signifie en
arabe « Fidèle à la tradition », qui demeure la première source d’inspiration pour les jumeaux. Grâce à leurs compositions, ils visent la réalisation d’une alliance
entre les différentes cultures musicales provenant du bassin méditerranéen.
Mohamed Gharbi est connu pour sa collaboration en tant que violoniste avec Saber Rebai dans « Sayd El Rym », la chanson du générique du feuilleton
ramadanesque portant le même titre. Les jumeaux ont collaboré également avec le musicien Turc Goske Baktagir au festival de Sousse grâce à leur album
Khawater (Feeling), ils sont devenus un symbole de la sauvegarde de la culture musicale du pays, à côté des grands notables du Malouf tunisien. D’ailleurs
leurs efforts ont été couronnés par une participation majeure à la cérémonie de la remise du Prix Nobel pour la paix attribué au quartet du dialogue national fêté
à Naples en 2015. Les jumeaux se sont lancés l’objectif de relancer la musique tunisienne. Leur style se présente comme un contre courant pour le goût musical
actuel, insignifiant et incertain selon eux.
Les frères Gharbi nous ont offert un agréable moment mélodieux, une ode à l’identité tunisienne et à la culture musicale du pays. Au menu, de la créativité
inouïe qui a fait jaillir « Les tourments » de l’âme, une quête de la paix dans une région en pleine gestation. Grâce au dialogue entre l’Oud le seigneur des
instruments, et la résonnance sensationnelle du son du violon, les frères Gharbi ont parvenu à exprimer la peine et l’espoir d’une jeunesse brimée. A travers un
va et vient instrumental et une maitrise technique implicite, les frères Gharbi ont réussi à nous transporter dans l’âge d’or de la musique tunisienne.
© Mûsîqât
Au programme également on trouve le funk, le jazz, et la Gnaoua présentés par l’ex membre du groupe « Gnawa fusion », le chanteur
instrumentaliste « Farid Ghannam » du Maroc.
Farid Ghannem a fait ses preuves dans la scène artistique arabe grâce à l’émission The Voice version arabe. Sa culture est imbibée par la musicalité et l’art : il
est issu d’une famille de musiciens, sa mère est pianiste, son père est accordéoniste, et son oncle est batteur. Influencé par la musique Gnawa, et attiré par un
instrument exotique et original El Gambri (instrument confectionné de la peau de chèvre, spécifique de la Guinée, Mali, Soudan et de l’Afrique occidentale).
Farid Ghannam souhaite diffuser à travers le monde la culture subsaharienne spécifique de la région « Essaouira » du Maroc, à la manière du Jazz et le blues
qui ont émergé aux Etats Unis au cours du 19ème siècle. Son objectif est d’abroger les frontières par la musique, et de rendre ce genre transcontinental.
Pendant la soirée il a été accompagné de son oncle sur la batterie, un guitariste, deux gnawas typiquement marocains avec des djellabas et « chachia gnawi »
traditonnels. Les gnawis étaient également les stars de la soirée. Ils ont mis l’ambiance avec leurs « Qaraqab », leurs corps tournoyants et leur danse atypique à
la fois enthousiaste et amusante. En revanche, les chants de Farid Ghannam, étaient pour la plupart en langue berbère mélangée avec un zeste exquis de jazz
et de blues induit par le Gambri et la basse. Mais tout cela n’a pas suffit pour qu’il joue guichet fermé au Festival Musiquât. Malgré le fait que l’organisation a
beaucoup misé sur cette soirée pour réaliser un spectacle d’ampleur, c’était le compositeur espagnol Alfonso Linares qui a volé la vedette en jouant dans une
salle comble face à un public avide pour une passion d’une nuit !
© Mûsîqât
Des nuits romantiques et sensationnelles arabo-andalouses parsemées de flamenco sont garanties par le compositeur et guitariste espagnol Alfonso
Linares.
Guitariste et spécialiste de la guitare Flamenco, il allie tradition andalouse et modernité. Alfonso Linares a présenté dans cette session de Musiqât Alma ausente
: « un chant de louange à la musique flamenco à travers les textes de grands poètes espagnols comme Federico García Lorca, Juan de la Cruz et Teresa de
Jesús. » Dans ce spectacle, le public a eu sa dose d’a cappella aux rythmes andalous, de « palmas » (claquements des mains au flamenco), de « zapateado »
(percussion avec les pieds), dont l’ensemble accompagnent la guitare flamenca.
Le gipsy, le slave, le celtique et la musique asiatique sont aussi au rendez vous grâce au groupe autrichien Cobario, qui nous propose les rythmes
les plus exotiques !
Le trio instrumental primé Cobario de Vienne a déjà fait le tour de la moitié du globe en enchantant son public avec deux guitares et un violon : Herwigos (Violon,
alto, piano), El Coba et Giorgio Rovere les deux à la guitare. Cobario a ravi son public par des compositions enthousiastes issues d’un mélange éclectique de
mélodies rêveuses et mélancoliques et des installations sonores énergiques. Le trio a rapidement développé le style de musique largement influencé par la
grande variété d’inspirations qu’ils ont gagné en parcourant le monde en tant que musiciens de rue.
© Mûsîqât
Une soirée poétique s’annonce par Cuca Roseta qui chantera la chanson populaire portugaise dénommée le Fado, où mélancolie, joie de vivre et
authenticité ont été bien servis !
Musiquât s’est enchainé par un spectacle dédié au Fado, orchestré par la fadista « Cuca Roseta ». C’est une chanteuse de la nouvelle génération de ce genre
musical qu’elle a renouvelé avec des textes plus joyeux. Cuca a donné de la splendeur au Fado, grâce à ses interprétations théâtrales qui transcendent les
paroles et les expriment à travers l’affect qui apparait sur son visage, la gestuelle de ses mains et de son corps qui vacillent avec le rythme de ses chansons.
Cuca Roseta, a opté aussi à une mise en scène remarquable, elle a changé deux robes pendant une seule soirée, une robe rouge et une rose derrière l’oreille
pour l’inauguration de son « show », et une deuxième robe noire pailletée pour entamer la deuxième moitié de son spectacle où chants romantiques et
mélancoliques ont été fredonnés par sa douce voix, si féminine. Enfin, Cuca Roseta n’a pas ravi son public uniquement par la tendresse du timbre de sa voix
mais aussi par sa présence scénique et son aura exceptionnelle.
Et enfin, une clôture maghrébine par l’accordéoniste tunisien Zouheir Gouja et son groupe Yinna, qui nous ont transporté dans une tournée auditive entre «
Stambeli », « Rboukh », « jerbien », « populaire », mixés avec le style latino-américain, notamment cubain et mexicain.
Emna BHIRA