Zoom sur un événement

Post-révolution, une dystopie sur scène

« Nous allons vous raconter une histoire, pensons ensemble, pour une heure de temps » : Un prologue surprenant accompli par des individus que le public prend pour des agents de sécurité au début, ou des hôtes de l’IFC, rôdant dans la salle sans dire un mot, avant de monter un à un sur scène, marquant l’ouverture de la pièce avant de nous plonger dans cette histoire, dont le bout du fil reste insaisissable.

On n’en sort pas indemne, ou indifférent, on n’en sort pas non plus triste, ou jovial… « Errhout » en dialecte Tunisien : « Les Charlatans, ou Exercices en Citoyenneté » si l’on ose traduire ainsi l’intitulé de cette pièce, est une performance qui nous scotche à nos sièges, tantôt retient notre souffle, tantôt étouffe notre éclat de rire, ou de sanglot. Puis, nous relâche, perplexe, livré à nous-même, dans un nuage de réflexions, sur une note mélodique de la Patrie, chantée dûment, mais autrement.

Ainsi on quitte la salle du Théâtre de Mad’art de Carthage, une bouffée d’air dans les cœurs et les âmes, prêts à se remettre à la besogne, à affronter avec un nouveau souffle le lendemain, est un autre jour.

Une interprétation ludique et chargée d’émotions, un jeu d’acteur passionné, où on effleure un brutalisme intellectuel, entre une gestualité linguistique et corporelle schizophrène et à la fois poétique. C’est avec une grande sensibilité et une subtilité hors pair que Imed May met en scène un réalisme dépressif dont souffre la Patrie, et tout ce qui la représente, ainsi que tous ceux qui la subissent.

C’est le théâtre « Post-Dramatique » que l’on découvre d’après Imed May, dans une hyperbole mettant en scène le « Souk » ou la « Nasba » de la réalité politico-économique, un hymne à la « citoyenneté universelle », où les acteurs prônent leur « appartenance légitime à la vie sur une terre propre à l’homme quelle que soit sa couleur, sa religion ou sa position ». « Retrouvons le respect les uns envers les autres, retrouvons notre propre respect, on retrouvera notre équilibre individuel et social, et le progrès triomphera ».


Ceci dit, depuis sa production en Décembre 2016, les interprétations convergent, divergent, remettent les pieds à terre, avant de décoller de nouveau. La pièce reste sujette à diverses lectures, d’où le génie de son texte, sa mise en scène, et surtout, les performances exceptionnelles de Walid Ben Abdesslam, AbdlKader Ben Said, Ali Ben Said, Ghassen Ghadhab, Mouna Telmoudi et Emna Kouki, des jeunes talents prometteurs, et vibrants d’énergie, qu’on espère voir et revoir.

Alerte Spoiler ! ...C’est pour rire, on se retient pour vous laisser le plaisir de la découvrir par vous-même, et peut-être, l’interpréter différemment, d’ailleurs c’est le but, selon Imed May, qui parle de la possibilité d’une adaptation cinématographique de la pièce. Une perspective alléchante pour les fans de la thématique distopique, une première en Tunisie.


Imed May, réalisateur, metteur en scène et enseignant de théâtre, dont l’affinité avec le domaine commence tôt au Lycée Pilote des Arts d’El Omrane, est un ressortissant de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique avec un mastère en Études Théâtrales ainsi qu’un mastère en Philosophie des lumières et modernités avec une excellente mention. Coréalisateur de la pièce « D-Sisyphe » avec Maher Aouachri qui a gagné le premier prix dans l’un des plus prestigieux Festivals internationaux de monodrame en 2012 au " Thespis Festival International de Monodrame " à Kiel, Allemagne.

Asma HADDOUK