Le lieu symbolique
Le parcours Mapping in Carthago instaurait une nouvelle dynamique dans la banlieue tunisoise, incitant les habitants, les étudiants et les familles à venir revoir ce lieu légendaire de l’histoire de Carthage qu’est la colline de Byrsa. Ce fameux site a été le témoin direct de la présence des diverses civilisations, cultures et religions qu’a connues Carthage : L’époque phénicienne, puis phénico-punique mais également romaine après la chute de l’empire carthaginois. Ce lieu occupa une place centrale pour l’époque punique, puisque les fouilles de la fin des années 1970 ont révélé qu’il constituait très probablement le site de l’ancienne acropole de la cité. Cet épisode historique est mis en avant dans « Mapping sculpture in Carthago » en dédiant toute une partie à ce qui constituait le village et le cimetière punique.
Par ailleurs, Byrsa est probablement le site de la fondation même de la Carthage primitive: selon une hypothèse, le mot « Byrsa » pourrait s’apparenter à un terme grec, βυρσα, signifiant « cuir » et qui rappelle la légende de la naissance de Carthage véhiculé notamment par Virgile où la reine Didon s’est vu octroyer par les indigènes une terre qui devait être aussi grande qu’une peau de bœuf. On le comprend bien, l’emplacement de cet événement n’est pas anodin ; à la fois de par sa charge historique et mythique non-négligeable, et parce qu’il rend visible une collection de sculptures antiques datant pour certaines de l’époque hellénistique.
Le mapping et son utilisation
A l’international, le mapping architectural rencontre un franc succès : c’est le cas à Montréal, sur la Tour des Convoyeurs du vieux port, à Lyon lors de la Fête des Lumières, sur le toit du Centre Pompidou, sur le site du château de Breda en Hongrie, dans la ville de Chartes, habillée de lumière grâce à cette technique. Dans cette même veine de revalorisation du patrimoine via les nouvelles technologies numériques, on peut noter une autre pratique très en vogue qui est celle de la réalité augmentée. Le site de l’abbaye de Cluny l’illustre de manière exemplaire.
Cet événement « Mapping sculpture in Carthago » mettait en lumière la richesse et l’importance du patrimoine archéologique tunisien à travers les diverses étapes du parcours. En créant l’événement autour de cette collection antique, il s’agissait de faire comprendre aux Tunisiens qu’elle leur était en premier lieu destinée. L’intention était donc de sensibiliser la population locale à son héritage culturel et à son histoire. Le public était invité à voir ces chefs d’œuvres de la statuaire antique avec un autre regard, en bouleversant la manière « traditionnelle » d’observer par le biais de la technique du mapping. Cette technique renvoie littéralement à l’idée d’une « Cartographie vidéo », également nommée « fresques lumineuses », qui transforme la perception que nous pouvons avoir d’un édifice ou d’une œuvre et agit comme une projection illusionniste grâce à une technologie multimédia. Cela constitue également un formidable outil de médiation culturelle qui permet de rajouter de l’information en restituant des fragments manquants en usant aussi de cartels (inscriptions, panneaux explicatifs).
L’histoire du mapping en Europe n’est pas récente, elle remonte déjà aux années 1990 mais l’explosion de son utilisation date plutôt des années 2000. Si son invention ne date pas d’hier, son utilisation massive dans le domaine des Beaux-Arts est plus innovante. En effet, le mapping est un moyen de mettre en lumière une œuvre d’art en trois dimensions et de la rendre, d’une certaine manière, plus accessible en la rendant mouvante, en la complétant et en jouant avec son relief. Il est possible de distinguer trois pratiques du mapping que l’on retrouve fréquemment dans un seul et même événement. En premier lieu, cette technique inédite agit comme un divertissement, car il y a une dimension de l’ordre du spectaculaire et peut donc être utilisée comme décor d’un espace scénique. Lorsque cette pratique est appliquée spécifiquement à l’art, elle insuffle un nouveau souffle à une muséographie un peu désuète. La manière d’exposer les œuvres se veut plus « vivante » qu’une muséographie dite classique. En ce sens, le mapping explore une nouvelle forme d’art, entre la vidéo, la scénographie, l’architecture et même l’installation. Quant à la visée scientifique du mapping, elle va de pair avec le mapping-art, puisqu’elle vient rétablir un contenu scientifique en donnant des renseignements spécifiques concernant l’iconographie, c’est-à-dire ce que représente une œuvre, ainsi qu’en en diffusant des informations plus recherchées.
Le projet de « Mapping sculpture in Carthago »
Ce projet, qui se tenait du 24 au 26 juin dernier, témoignait d’une envie de pallier un désintérêt général des sculptures du musée national de Carthage tout en les sortant du cadre froid et quelque peu austère du musée. En revalorisant les collections des musées nationaux, il s’agissait évidemment de redorer le blason de ces institutions culturelles.
La conception de ce projet est attribuée à Hatem Drissi, un historien de l’art, archéologue et muséologue qui s’est formé à l’école du Louvre. Quant à la réalisation, elle fut confiée au collectif de vidéastes et de développeurs d’outils numériques de DESIGN LAB. Cet événement résulte également d’un partenariat avec le Ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine, l’agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle (Amvppc), l’Institut national du patrimoine, l’Institut Français de Tunisie et Lazaâr Fondation.
Le parcours ne respectait pas une chronologie historique. En effet, le plan révélait qu’une sélection avait été faite : à l’entrée des photographies de fouilles archéologiques étaient projetés sur les ruines, des colonnes en arrière fond semblaient en mouvement, puis la statue du dernier empereur, le quartier punique, les neuf muses… En somme, ces treize étapes mettaient en exergue des œuvres magistrales de la statuaire antique et immergeait les spectateurs dans une ambiance singulière.
A l’inverse du mapping architectural qui projette un récit audiovisuel sur une surface monumentale, cet événement donnait à voir des habillages vidéo sur des surfaces moins importantes. De ce fait, le résultat n’était pas aussi spectaculaire même s’il demeure un événement encore inédit en Tunisie. Cette valorisation du patrimoine grâce au numérique avait déjà vu le jour lors du mapping de la façade du théâtre municipal de Tunis, en août 2013, qui retraçait les 3000 ans d’histoire de la Tunisie. Dans ce cas-ci, une narration était mise en place au moyen de cette technique, rendant un véritable hommage à une histoire si riche et diversifiée. Ici, le message se voulait également scientifique en restituant les couleurs et habits de l’époque, les attributs des figures… Toutefois, certains panneaux manquaient de rigueur dans leur manière de donner l’information. Il aurait été souhaitable d’avoir des renseignements plus concrets, comme la date hypothétique de l’œuvre, sa provenance, ou même une description davantage documentée. Néanmoins, ce bémol reste minoritaire puisque le véritable objectif était de « faire revivre » ces sculptures et de favoriser un échange entre les citoyens et le musée archéologique de Carthage.
En définitive, nous ne pouvons que saluer cette belle initiative qui promet des beaux jours pour l’art et le patrimoine archéologique Tunisien.
Nora Saïeb