Coup de cœur

Al-Madina d'Intissar Belaid... Magique... androgyne!

Rien qu'en faisant quelques pas dans le hall de la galerie, un surprenant mélange d'errance et d'intimité nous prend : l'artiste est entrain de réinventer la ville...

On parle ici de la splendide Intissar Belaid, venue hanter la galerie A.Gorgi de son exposition pluridisciplinaire intitulée "Al-Madina".

Les oeuvres sont installées comme des grand-mères un jour de fête : sublimes, assises les mains sur les genoux, dans une ambiance mystique et majestueuse... mais, dans leurs regards rayonnants, il y a un empire de sens qui traverse et perturbe les âmes. Sommes-nous les cobayes d'une nouvelle expérience artistique? Sont-ce les œuvres nous regardent et non plus  l'inverse?

La ville d'Intissar a fini par se transformer en une personne. Elle s'est dénudée de son béton afin de laisser la place à des cloisons translucides, voire transparentes et perforées. Elle est plongée dans l'odeur de la Bukha tout en appelant à la prière, disciple d'une secte de voyeuristes,capricieuse,  jeune et antédiluvienne à la fois.


"Manipuleuse" et provocatrice, cette ville nous lance dans un chemin évocateur de souvenirs, catalyseur de sentiments, coquin, où le métissage des techniques, de la broderie à l'art vidéo, en passant par la photo et le collage, est au service de la "nomadité"… de la trance!

Par une radieuse journée de printemps, sur la colline de Sidi Bou Saïd, on est frappé par les dents d'un pitbull enragé qui a trouvé dans l'assiette de la ville son aliment préféré, frappé par les murs délaissés mais trop bavards. On est aussi froidement accueilli par des cafés populaires que traversèrent des bourgeois élégants, à pieds ou dans des voitures flambant neuves, on était sous l'hypnose d'un "Allahou akbar" géant en néon qui orne les murs d'une petite mosquée...


À la fin de ce labyrinthe, loin des yeux, cette ville s'est appliquée à dépoussiérer un rituel qui se niche autant dans les plis de la mémoire collective que dans une documentation historique et iconographique... 

On se sent à l'égard d'une pratique à la limite de la magie noire, d'un sacrifice au Dieu de la luxure et du plaisir.

La démarche de notre plasticienne a ainsi pris la forme d’une archéologie dont le champ des fouilles n’est pas confiné dans des frontières balisées et figées, mais qui s’élargit à plusieurs champs de savoir où se croisent la technicité et le raffinement, l’anthropologie et la sémiologie.

Cette ville a tous les traits d’un androgyne :

Ici s’entasse la misère de grandes masses, ici se cache les crimes sociaux d'une modernité monstrueusement sédentaire, sur un petit peuple qui porte une âme radicalement nomade... vivante!

Le projet d'Intissar Belaid est une reconstitution d'un pan important et riche de notre mémoire collective urbaine, mais aussi vers l'atteinte d'une tunisianité, artistiquement contemporaine!


Maher Ben Khalifa