Startup/Leadership

La tech peut-elle remettre de l’ordre dans le secteur tunisien de la location de voiture ?

Louer une voiture ne devrait pas être compliqué.

Et pourtant, chaque été en Tunisie, des milliers de personnes, qu’elles soient touristes, Tunisiens de la diaspora ou simplement résidents en quête de mobilité, se heurtent à la même réalité : un service encore désorganisé, entre appels sans réponse, réservations incertaines et informations souvent incomplètes.

Dans un pays jeune, connecté et habitué aux usages numériques, cette friction étonne.

Réserver un logement, un vol ou un repas se fait en quelques clics. Pourquoi pas une voiture ?

Ce décalage entre les attentes des usagers et les pratiques encore artisanales du secteur pose une vraie question : comment structurer une expérience essentielle à la mobilité touristique, sans perdre la richesse du tissu local ?

Une expérience de location encore trop compliquée

À l’arrivée à Tunis-Carthage, Djerba ou Enfidha, le scénario est souvent le même. Qu’il s’agisse de voyageurs venus passer leurs vacances ou de Tunisiens souhaitant se déplacer dans le pays, la recherche d’un véhicule se transforme rapidement en suite d’essais, d’attentes et d’incertitudes.

Trouver une offre fiable peut prendre des heures : appels sans réponse, messages laissés sur Facebook ou WhatsApp restés sans suite, et recours à un proche pour “trouver un plan”.

Et même quand une voiture semble disponible, les conditions de location restent floues. On ne sait pas toujours si le modèle demandé est réellement proposé, si le prix annoncé est à jour ou si des frais supplémentaires s’ajouteront à la dernière minute.

Dans un pays où la voiture reste souvent la seule option pour explorer les régions ou rejoindre sa famille, cette étape devrait être simple. Mais elle reste, pour beaucoup, confuse, chronophage et peu rassurante.

Un secteur fragmenté entre officiel et informel

Louer une voiture en Tunisie, ce n’est pas juste choisir entre deux modèles et cliquer sur “réserver”. C’est naviguer dans un marché divisé en deux mondes : celui des agences officielles, et celui d’un réseau informel beaucoup plus vaste, mais difficile à cerner.

D’un côté, on compte environ 790 agences agréées, réparties sur tout le pays, avec un total estimé à 27 000 véhicules. Ces loueurs travaillent dans les règles, mais manquent souvent d’outils numériques pour gagner en visibilité. Beaucoup n’ont pas de site web ou utilisent des interfaces vieillissantes. Ils dépendent alors des appels, des messages ou de publications sur les réseaux sociaux pour trouver des clients.

De l’autre côté, il y a un marché parallèle estimé à plus de 60 000 voitures, souvent louées via des connaissances ou des groupes Facebook. Aucun contrat clair, pas de garantie sur le véhicule, ni sur les conditions de location. Pour le voyageur, c’est souvent un coup de poker : on réserve sans vraiment savoir ce qu’on va recevoir.

Cette cohabitation entre les deux systèmes crée une grande confusion. Les agences professionnelles n’arrivent pas à se différencier, faute d’outils. Les clients, eux, ne savent pas où chercher, ni à qui faire confiance. On est loin d’un écosystème structuré : aucune base de données centrale, pas de plateforme de comparaison fiable, et presque aucun standard sur les conditions de location.

Des voyageurs souvent perdus face au système local

Les Tunisiens de la diaspora et les touristes étrangers sont habitués à un tout autre fonctionnement : réserver une voiture en quelques clics, comparer les modèles, lire des avis clients, tout faire en ligne de façon simple et transparente. En Tunisie, ils se retrouvent face à un système où rien n’est centralisé, où la plupart des démarches passent encore par des appels, des messages, ou des groupes informels.

À distance, c’est presque mission impossible : on ne sait pas si la voiture est vraiment disponible, on ne connaît pas le vrai prix, et les conditions de location sont rarement claires. Par manque de confiance, beaucoup préfèrent se rabattre sur les grandes agences internationales, même si les prix sont souvent bien plus élevés. L’offre locale, pourtant plus abordable, reste difficile à atteindre.

Une digitalisation timide face à des usages ancrés

Alors que les Tunisiens ont massivement adopté les usages numériques dans leur quotidien, commande de repas, paiement mobile, réservation d’hôtels ou même de soins, la location de voiture reste l’un des rares services encore largement déconnectés.

De plus, le paiement en ligne gagne du terrain : en 2024, 163 millions d’opérations bancaires ont été effectuées via cartes bancaires pour un total de 27,8?milliards de dinars, en hausse de plus de 10?% par rapport à 2023. Le paiement mobile a lui atteint 5,1?millions d’opérations, représentant 1,394?milliard de dinars. Ce contexte numérique favorable rend d’autant plus criant le décalage avec un secteur de la location qui reste souvent artisanal. L’écart entre les usages modernes et l’absence de plateforme structurée est chaque jour plus visible.

Quelques agences font des efforts : elles publient des annonces sur leur site, Instagram ou TikTok, et commencent à montrer leurs conditions (tarifs clairs, kilométrage, dépôt). Mais ces initiatives restent isolées, limitées à la haute saison, et sans outils pour gérer automatiquement les demandes ou les réservations.

La marketplace, un modèle qui a fait ses preuves

Dans beaucoup de secteurs, la solution à la désorganisation est venue d’un principe simple : rassembler des offres dispersées dans un espace structuré et transparent. C’est le rôle des marketplaces.

Des plateformes comme Airbnb pour l’hébergement entre particuliers, ou Yassir pour la mobilité urbaine en Afrique du Nord, ont montré qu’il est possible de structurer un marché fragmenté tout en gardant une vraie souplesse pour les prestataires.

Appliqué à la location de voiture en Tunisie, ce modèle a tout son sens. Il permettrait de regrouper les offres locales, des plus petites agences aux plus visibles, dans un cadre clair : conditions de location affichées, disponibilités réelles, réservation centralisée, et une expérience plus fiable pour le client.

Structurer sans standardiser : l'approche Caria

Face à ce secteur morcelé, certaines initiatives locales commencent à émerger pour structurer l’expérience. C’est le cas de Caria.tn, une plateforme tunisienne qui tente d’appliquer au marché de la location de voiture un principe désormais bien connu : centraliser pour mieux clarifier.

L’idée : regrouper en un seul endroit les offres d’agences locales disposant de leurs propres flottes, avec des conditions de location clairement affichées (kilométrage, dépôt de garantie, politique carburant…), des prix à jour, et la possibilité de réserver directement en ligne, sans passer par dix canaux différents.

Côté utilisateur, Caria permet de comparer facilement, en quelques clics, des centaines d’offres de location de voiture dans différentes villes de Tunisie, sans sauter entre appels, groupes Facebook ou sites obsolètes.

Côté agence, l’enjeu est tout aussi important : disposer d’un outil unique pour gérer leurs offres, modifier leurs disponibilités, suivre leurs réservations, sans avoir besoin d’une équipe dédiée ou d’une infrastructure complexe. Caria s’appuie également sur des règles strictes, garantissant que les véhicules et les conditions affichés sont bien ceux reçus par les clients, afin de restaurer une confiance souvent fragilisée.

Encore en phase de test avec un groupe restreint d’agences et d’utilisateurs, la plateforme de location de voiture prévoit un lancement public courant juillet. D’ici là, les retours terrain permettent d’ajuster l’outil et d’aboutir à une solution adaptée aux deux parties : voyageurs comme loueurs.

Conclusion : vers une mobilité touristique fluide

La location de voiture en Tunisie souffre aujourd’hui d’un manque d’organisation et de visibilité, malgré un fort potentiel local. En structurant le marché via des outils numériques adaptés et en fédérant les acteurs autour d’une vision commune, la digitalisation peut transformer cette expérience chronophage et opaque en un service fluide, transparent et accessible à tous.

Article rédigé par Caria.tn avec la relecture de l'équipe rédactionnelle de L'Instant M