La Tunisie fait face à une crise environnementale majeure. Selon l’indice mondial de pollution 2025 publié par Numbeo, la Tunisie se positionne 37ᵉ sur 113 pays, avec un score de 70,1. Par ailleurs, dans le classement Environmental Performance Index (EPI 2024), le pays est 88ᵉ mondial, avec un score de 48,1. Pollution industrielle, plastique et dégradation des ressources naturelles menacent la santé publique et les secteurs clés de l’économie. Cet article présente l’état des lieux, mesure le coût de l’inaction pour les secteurs clés de l’économie, et propose des pistes inspirées de modèles éprouvés, pour aider la Tunisie à avancer vers une économie plus circulaire et durable.

Le fardeau toxique : état des lieux des crises multiples de la pollution
La pollution en Tunisie est un phénomène multidimensionnel, caractérisé par des foyers de crise chroniques dans les zones industrielles et une contamination diffuse des écosystèmes marins et urbains par les déchets plastiques et les rejets hydriques.
Les plaies industrielles : géographie de la crise (Gabès et Sfax)
Gabès et Sfax concentrent les effets d’un héritage industriel lourd, lié notamment aux activités du Groupe Chimique Tunisien. Le rejet du phosphogypse dans le Golfe de Gabès continue d’endommager l’écosystème marin, affectant directement les pêcheurs et les herbiers.
L'héritage toxique et la paralysie décisionnelle
Malgré un financement dédié à la mise en terril contrôlé du phosphogypse, les avancées restent limitées et les sites sont régulièrement décrits comme des zones critiques. Les décisions politiques sont repoussées, freinées par les priorités économiques à court terme et une coordination administrative insuffisante. Tant que le coût réel de la pollution n’est pas intégré dans les modèles économiques, ces crises persistent.
La pollution atmosphérique chronique
La qualité de l’air demeure préoccupante dans plusieurs villes industrielles. Sfax, Bab Saadoun et Ben Arous enregistrent régulièrement des dépassements des normes de particules fines. Le problème ne vient pas du manque de lois, mais d’une application insuffisante. La Tunisie figure ainsi parmi les pays africains les plus exposés, avec des impacts santé clairement documentés.
L'assaut plastique et la pollution marine diffuse
La gestion des déchets, en particulier du plastique, représente un autre volet central de la crise environnementale.
Le cycle de vie du plastique et ses fuites
La Tunisie produit environ 3,5 millions de tonnes de déchets ménagers par an, mais n’en valorise qu’une faible part. La récupération du plastique a reculé, passant de 15 000 tonnes il y a dix ans à moins de 4 000 tonnes. Le recyclage est freiné par un marché désorganisé et par la compétitivité du plastique vierge importé.
L'Impact sur le littoral et les eaux

L’accumulation des déchets atteint les plages et les zones marines : les opérations de nettoyage montrent des volumes importants de mégots et de fragments plastiques. Les rejets hydriques urbains et industriels aggravent la pollution des cours d’eau, des nappes phréatiques et même des zones sensibles. Malgré les efforts de l’ONAS, les limites du système d’enfouissement et du traitement des eaux restent visibles.
Le Coût de l'Inaction : conséquences socio-économiques et sanitaires
La dégradation environnementale pèse directement sur l’économie tunisienne et sur la santé publique. Elle réduit la performance des secteurs clés et accroît les risques pour les citoyens.
Facture économique : menaces sur le PIB (agriculture, pêche, tourisme)
L’agriculture et la pêche, qui comptent pour près de 10 % du PIB, subissent les effets de la sécheresse, de la dégradation des sols et de la baisse des ressources en eau. Ces impacts pourraient entraîner des pertes allant jusqu’à 10 % du PIB sectoriel d’ici 2030.
La pêche est fragilisée : réchauffement de la mer, algues toxiques et pollution côtière réduisent les captures, affectant la pêche artisanale. La pénurie d’eau accentue les menaces sur la sécurité alimentaire.
Le Secteur Touristique en Péril

L’érosion du littoral et la pression sur les ressources naturelles fragilisent les infrastructures touristiques et diminuent l’attractivité des régions côtières.
Le bilan sanitaire et la question de l'indice de vie digne
À Gabès, les habitants signalent une augmentation des maladies respiratoires, cutanées et des cancers. Bien que les études officielles manquent, les alertes locales persistent. Le manque d’information régulière sur la qualité de l’air renforce les risques pour la santé publique.

Gouvernance et cadre légal : La tension entre textes et pratiques
La Tunisie dispose d’un cadre juridique solide, mais l’application reste limitée par un manque de coordination et de contrôle.
La Constitution de 2014 et plusieurs textes, dont le Code de l’environnement et le Décret-loi n°2022-21, posent un droit clair à un environnement sain.
Le Paradoxe du Contrôle et des Sanctions
L’État a renforcé les sanctions et le nombre d’études d’impact, mais le suivi reste faible. Les contrôles post-installation sont limités, et les sanctions réellement appliquées demeurent rares.
La Stratégie GIDMA 2020-2035 : l'ambitieux objectif de 40%
La stratégie nationale vise à transformer la gestion des déchets en renforçant les communes et en intégrant l’économie circulaire.
Axes et Objectifs
L’objectif principal : 40 % de valorisation des déchets d’ici 2035 (contre environ 4 % aujourd’hui). La Responsabilité Élargie du Producteur (REP) doit financer la filière et réduire la dépendance à l’enfouissement.
Le modèle nordique : inspiration pour une feuille de route circulaire
Pour atteindre les 40 % de valorisation, la Tunisie doit s’appuyer sur des mécanismes économiques solides.
Les piliers de la réussite scandinave : consigne et fiscalité

Le miracle de la consigne
En Norvège et en Suède, la consigne permet de récupérer plus de 90 % des bouteilles et canettes : un incitatif simple et efficace.
L’Incitation par le coût et la Fiscalité Verte
Le principe pollueur-payeur y est strictement appliqué. Une réforme fiscale similaire serait essentielle pour la Tunisie.
Transposition du modèle circulaire en Tunisie
Deux leviers clés :
- un système national de consigne pour sécuriser la collecte et relancer la filière plastique ;
- la valorisation énergétique des déchets, notamment via la méthanisation.
L'action citoyenne et le moteur local : vers une responsabilisation collective
En l’absence de politiques efficaces, la société civile et les collectivités locales jouent un rôle central.

La Société civile : gardienne et force de proposition
Des initiatives comme Clean Up Day, Tunisie Recyclage, Tounes Clean-Up, Tunisie écologie, ou Zero Waste Tunisia organisent des actions de nettoyage, de tri et de sensibilisation. Les mouvements Stop Pollution - Gabès Veut Vivre alertent sur les urgences sanitaires.

Le rôle crucial et contraint des collectivités locales
Depuis la décentralisation, les municipalités ont davantage de responsabilités, mais manquent de moyens. Pour atteindre les objectifs de la GIDMA 2035, leur autonomie financière doit être renforcée, notamment via la REP et la consigne.
La photo de couverture a été générée par l’IA.

