Interview de Mehdi Baccouche le co-fondateur de "Shanti".
Lancée depuis 2015, El Mensej est une initiative communautaire qui est née de la rencontre entre un groupe de femmes artisanes de Nefta et l’équipe «SHANTI ». El Mensej a pour vocation d’accompagner ces dernières à repenser leur produit, valoriser leur savoir-faire et accéder à une clientèle.
Tout d’abord parlez-nous de votre parcours. Comment avez-vous eu l’idée de créer ce concept ?
Je suis né et j’ai grandi en France, mon père vient de Nefta où j’y passé presque tous mes vacances d’été. En 2013 je suis venu en Tunisie afin de lancer un incubateur d’entreprises sociales au sein d’une ONG Française. Depuis un an j’ai co-fondé « SHANTI », une entreprise sociale qui travaille à la co-construction de solutions innovantes aux défis sociaux, économiques et culturels auxquels nous faisons face.
Si nous travaillons d’un côté sur la conception et la mise en place de programmes de formations et d’accompagnement pour les associations et les entrepreneurs sociaux, nous développons également nos propres initiatives sur le terrain. El Mensej à Nefta en fait partie. Les premières artisanes qui ont intégrées la dynamique sont des mères de familles maitrisant le savoir-faire du tissage, mais qui n’en vivaient pas faute de commandes et d’accès direct au marché. Les femmes « sortaient » leur métier à tisser (mensej) essentiellement à l’occasion des mariages pour le trousseau de la mariée. Les intermédiaires « classiques » offraient un prix d’achat qui ne leurs permettaient pas d’en vivre dignement, d’où une disparition progressive du savoir-faire.
Connaissant l’engouement qui existe aujourd’hui pour les produits de l’artisanat, en Tunisie comme à l’international, nous avons imaginé un dispositif permettant à ces femmes de s’orienter vers l’autonomie économique à travers les ressources disponibles à proximité.
El Mensej, veut revaloriser le savoir-faire populaire, en permettant aux artisanes d’avoir une juste place dans la chaine de valeur. La préservation de la tradition ne peut se faire qu’à travers une autre approche économique, où elles ont un meilleur accès au marché, une clientèle mieux sensibilisée et une perception valorisée au sein de leur communauté.
Quel est votre critère de sélection pour les produits que vous proposez ?
El Mensej propose klims et accessoires, issus du savoir-faire populaire et des ressources disponibles. La matière première vient principalement de la fripe. Cette habitude pleine de bon sens consiste à détricoter des pièces en laines récupérées ou achetées sur le marché hebdomadaire. Les pelotes reconfectionnées permettent ainsi de tisser à un moindre coût. De plus, le rendu est de très bonne qualité et l’entretien des pièces est beaucoup plus facile qu’avec de la laine « classique ». En faisant du recyclage et du savoir-faire populaire qui est la base de leur source de revenus. El Mensej met en évidence le fait d’améliorer sa situation personnelle à partir des ressources locales et peu onéreuses.
Comment définiriez-vous le style de produits et votre clientèle ?
Les produits d’El Mensej sont essentiellement à base de rayures ou de motifs géométriques. La première inspiration est la créativité et le potentiel des artisanes qui tissent. A partir de cela, nous proposons à nos clients de co-designer leurs produits, en choisissant les couleurs, la taille et les motifs. Cela permet donc aux ouvrières de découvrir les goûts d’une clientèle parfois très éloignées géographiquement, et ainsi d’améliorer leur perception du marché, sans bouger de Nefta. Le travail sur commande garanti également à ces dernières de vendre ce qu’elles produisent. Nos clients sont en grande partie en Tunisie, mais aussi à l’étranger, où grâce à internet les tapis de Nefta sont arrivés dans des foyers en Suède, à New York, à Montréal, à Singapour ou Paris… Nous tenons à ce que nos clients s’intéressent à notre démarche écologique et équitable. Il est important pour eux de savoir qu’El Mensej fonctionne comme une entreprise sociale dont la totalité des bénéfices de ventes revient aux artisanes qui est investie dans le développement du projet.
Nous avons également eu la chance récemment d’avoir des commandes de designers parisiens, pour qui nous réalisons des modèles, qui montrent que le savoir-faire et le concept intéressent aussi des créateurs renommés.
Quelles sont les prochaines perspectives d’avenir ?
Si la production est maitrisée, la vente des produits est un challenge permanent pour les artisanes (utilisation des réseaux sociaux, langues, mobilité…). SHANTI, à travers El Mensej, intervient comme un intermédiaire bienveillant, qui assure la valorisation et la communication des produits auprès des marchés potentiels à Tunis et dans une moindre mesure à l’international. L’enjeu aujourd’hui est de structurer et développer la chaine de valeur de la commercialisation des produits d’artisanat équitables en Tunisie. Il sera nécessaire pour cela de réunir d’autres initiatives comme la nôtre et de mettre en place le modèle qui permettra de sécuriser l’activité de nombreux artisans partout en Tunisie, tout en étant professionnel dans la commercialisation des produits ainsi que la valorisation des savoir-faire.
Où est ce que l'on pourrait vous joindre et acheter vos produits ?
Nous sommes joignables sur la page Facebook « El Mensej Nefta », et par e-mail elmensej@shanti.tn. Une partie du stock et des produits est disponible dans les locaux de SHANTI (9 rue Abou Bakr Essedik 1002 Tunis). Pour les commandes en Tunisie, les produits sont livrés aux clients et le paiement s’effectue à la livraison. Pour ceux et celles qui passent à Nefta, il est aussi possible d’organiser une visite auprès des artisanes et de s’initier au tissage.
Narjes Snoussi