La Tunisie se rêve en grande « start-up nation » africaine. La diplomatie de la tech en Afrique prend de l’ampleur. Autant qu’elle souhaite la voir comme un booster de l’économie nationale, la Tunisie espère approfondir ses liens avec l’ensemble du continent par la technologie. Le Tunisia Digital Summit organisé fin mars avait pour objectif de montrer le savoir-faire tunisien en la matière. Skander Haddad, son fondateur, est optimiste sur l’avenir de la scène tech tunisienne. Forbes Afrique l’a rencontré.
Propos recueillis par RUDY CASBI.
F.A : Quelles conclusions peut-on tirer à l’issue du Tunisia Digital Summit ?
S.H : Cette édition est une réussite. 1 200 personnes ont répondu à l’appel avec une présence aussi forte que remarquée de la part du secteur public autant que du privé. Le gouvernement tunisien, par l’intermédiaire du Premier ministre Youssef Chahed, accompagné du ministre des Technologies de la communication et de l’Économie numérique Anouar Maarouf, a montré sa détermination politique à faire en sorte que la Tunisie devienne une véritable startup nation à l’échelle régionale puis continentale. À travers le Tunisia Digital Summit, nous voulions démontrer que le secteur des technologies représente des opportunités de croissance et d’emploi considérables pour la jeunesse tunisienne. Nous n’avons pas de pétrole en Tunisie, mais nous avons une jeunesse diplômée qui n’aspire qu’à trouver sa place sur le marché du travail. La création de start-up est un outil contre l’inactivité et une arme contre le chômage qui impacte en premier lieu les femmes et les jeunes.
À l’occasion du Tunisia Digital Summit, l’ensemble des activités de services opérant en Tunisie était représenté. Quelle était votre ligne directrice pour cette édition ?
S. H : Cette année, nous avions souhaité une présence multisectorielle. L’émergence de l’écosystème des start-up ne concerne pas uniquement un petit segment de l’économie tunisienne. Elle englobe tous les acteurs, car aucun n’échappera à la révolution technologique en cours. Le secteur bancaire, l’éducation, la santé, les sciences ou même le sport sont directement impactés par ces transformations technologiques. Notre rôle est d’accompagner les entreprises tunisiennes vers cette transformation en espérant qu’elle soit source d’emplois dans les prochaines années. C’est pour cette raison qu’il nous importait beaucoup de montrer la diversité des start-up tunisiennes. Actuellement, le pays en compte entre 500 et 600. Nous espérons voir ce chiffre augmenter significativement grâce aux actions de promotion que nous menons.
À travers ce sommet, on comprend la volonté du gouvernement tunisien. De votre côté, quel regard portez-vous sur la digitalisation du pays ? Où en est la Tunisie dans ce domaine ?
S. H : La Tunisie évolue progressivement dans ce secteur. Tout d’abord, nous allons bientôt réussir notre pari qui doit mener vers la digitalisation des administrations. Prochainement, les étudiants pourront s’inscrire en ligne et les Tunisiens pourront payer leurs soins de santé par l’intermédiaire d’une carte digitalisée directement auprès de leur praticien. L’utilisation du papier en Tunisie est toujours largement répandue et le passage au numérique nécessite encore un temps d’adaptation pour l’ensemble du pays. Mais je suis très optimiste, car les avancées sont réelles, notamment avec la loi « Start-up Act », qui va faciliter la création de jeunes pousses.
Comment ce nouveau dispositif juridique favorise-t-il l’émergence de l’écosystème tech ?
S. H : Cette loi facilite les démarches à plusieurs niveaux.Tout d’abord, les start-up tunisiennes pourront effectuer des achats à l’international avec des cartes bancaires nationales. Leur plafond a été instauré à 100 000 dinars [environ 30 000 euros, NDLR]. Mais ce dispositif juridique est avant tout emblématique parce qu’il libéralise la création d’entreprise. Il offre aux créateurs la possibilité de se mettre en congé pendant un an pour le développement de la start-up. Si le projet entrepreneurial échoue, les concepteurs du projet réintégreront leur ancien poste et pourront se relancer dans la création d’une autre entreprise s’ils le souhaitent à l’avenir.
Vos ambitions sont assez claires sur un plan national. Qu’en est-il au niveau continental ?
S. H : Pour cette édition du Tunisia Digital Summit, nous avions convié une quarantaine d’étudiants algériens pour un hackaton sur l’intelligence artificielle. L’objectif était de concevoir des solutions technologiques pour lutter contre les fraudes dans le secteur des assurances. Les gagnants bénéficient d’un accompagnement de l’assureur STAR et d’un chèque de 10 000 dinars tunisiens [3 000 euros, NDLR]. Mais à plus large échelle, nous comptons créer des synergies avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème à l’échelle continentale. Les 24 et 25 septembre prochains, nous organiserons Afric’Up à Tunis, où seront invitées 300 start-up du continent. Avec Afric’Up, souhaitez vous devenir un maillon fort consolidant la place de la Tunisie sur l’échiquier continental ? S. H. : La Tunisie doit réaffirmer avec force son identité africaine. Nous sommes africains et nous devons permettre aux générations futures de s’approprier leur identité africaine. Il faut qu’elles en soient fières, car c’est un héritage que nous partageons. Le panafricanisme technologique n’a pas de frontières. C’est celui que nous promouvons actuellement. Et la valeur idéologique même du panafricanisme est née de l’impulsion de trois anciens chefs d’État : l’Égyptien Nasser, le Ghanéen Kwame Nkrumah et Habib Bourguiba, le père fondateur de l’indépendance tunisienne. Nous devons perpétuer cette histoire avec le reste de l’Afrique. La Tunisie en a besoin et le continent sera assurément à l’écoute des initiatives mises en place par notre pays. Le partage des compétences entre Africains est un élément clé de l’émergence de toute l’Afrique.
Borhène Dhaouadi Et la Tunisie trouva son bâtisseur…
La Tunisie rêve d’exporter ses nombreux savoir-faire sur le reste du continent. Dans le secteur de l’urbanisme, les entreprises tunisiennes ne cachent pas leurs ambitions. Borhène Dhaouadi, architecte et fondateur de la société Groupement DTA, espère faire rayonner son expertise au-delà des frontières de son pays. Un pari qui est déjà partiellement réussi.
Cet architecte tunisien ne manque pas d’ambition pour la Tunisie et le reste du continent. Dans le secteur de l’urbanisme, Borhène Dhaouadi est l’un des rares à porter des projets autant pour son pays que pour le reste du continent. «Il faut imaginer collectivement la ville africaine du futur. Pour Tunis, nous conceptualisons un quartier connecté près du lac. Et dans le même temps, nous portons aussi une vision panafricaine, car nous sommes impliqués dans des constructions au Sénégal», affirme-t-il.
À la tête de Groupement DTA, un cabinet d’architectes d’une vingtaine de collaborateurs, Borhène Dhaouadi, 39 ans, ne se fixe aucune limite. «L’an dernier, Borhène voulait organiser un congrès sur la smart city de Bizerte en un temps limité. Il n’a pas compté ses heures. C’est un fonceur», raconte Marwen, l’un de ses anciens employés avec qui il collabore encore ponctuellement. Borhène Dhaouadi tient ce tempérament de son enfance : «Je suis ? ls d’entrepreneur. Je suis admiratif de mon père qui travaillait durement. Il m’a inspiré», explique celui qui espère réaliser un chiff re d’aff aires de 5 millions d’euros d’ici à cinq ans.
UNE VISION PANAFRICAINE
Situé à Zarzouna, une localité du nord de la Tunisie, près de Bizerte, Groupement DTA affi che l’Afrique en grand sur ses murs. «Quand nous avons créé notre entreprise en 2008, notre premier projet n’était pas pour la Tunisie, mais au Sénégal. Nous avons conçu l’Autoroute de l’avenir à Dakar avec des partenaires comme Eiff age», raconte ? èrement Borhène Dhaouadi. Puis il ajoute : «Ce lien qui nous unit avec le Sénégal n’a cessé de s’accroître, car c’est notre entreprise qui est chargée de concevoir le train express régional de Dakar.» Actuellement, ce sont 10 personnes qui travaillent sur ce projet, dont cinq basées dans la capitale sénégalaise «Notre force réside dans notre capacité à attirer des talents locaux vers la réalisation de leurs infrastructures», poursuit Borhène Dhaouadi. Après ce premier succès sur l’Autoroute de l’avenir au Sénégal, d’autres pays n’ont pas hésité à recourir aux services de Groupement DTA. «Le Gabon nous a aussi contactés. Nous avons complètement conçu l’aéroport de Port-Gentil, avec un pavillon présidentiel intégré», détaille-t-il. Il espère convaincre prochainement d’autres États de lui con? er des projets structurants. Borhène Dhaouadi n’a jamais caché ses ambitions panafricaines. Son continent, comme il aime à le dire, est une terre d’opportunités pour les architectes. «En Tunisie, une prise de conscience a été nécessaire pour nous rappeler à nous-mêmes que nous sommes africains. Dans mon entreprise, nous avons souvent des débats intergénérationnels sur la vision que nous avons de notre Afrique, explique-t-il. Les plus âgés font la distinction entre l’Afrique du Nord et le reste du continent, alors que les plus jeunes voient le Sénégal ou la Côte d’Ivoire comme étant des terres d’opportunités où il fait bon vivre. C’est important de travailler sur les consciences, car les entreprises tunisiennes, dont la nôtre, ont beaucoup à partager en terme d’expertise vers le reste du continent africain, autant que nous devons apprendre d’autres États ou entreprises.»
BIZERTE 2050
Malgré ses ambitions panafricaines, Borhène Dhaouadi n’oublie pas son pays. «Nous travaillons sur la construction d’un écoquartier intelligent dans la zone proche du lac de Tunis. Nous espérons voir ce projet se conclure d’ici à 2025. Actuellement, nous devons conceptualiser ce futur quartier auprès de la Société de promotion du lac de Tunis», dit-il. Au total, ce sont un million de mètres carrés qui seront construits pour un montant avoisinant un milliard d’euros. «Ce genre de projet structurant est une vitrine de notre savoir-faire qui peut s’exporter au-delà de Tunis», ajoute Borhène Dhaouadi. Et il compte bien s’appuyer sur cette future réussite pour conceptualiser complètement les villes tunisiennes. «Nous avons fondé une association nommée “Bizerte 2050”. Notre objectif est de transformer Bizerte en créant la première smart city tunisienne. Nous voulons faire en sorte que la transformation de la ville appartienne à la société civile, à celles et ceux qui vivent à Bizerte», explique-t-il. C’est dans cet esprit que l’association a souhaité créer une impulsion positive autour du projet, en partenariat avec le gouvernement tunisien. «L’an dernier, nous avions invité des scienti? ques, chercheurs et architectes pour concevoir ensemble la ville du futur à Bizerte. L’objectif est de créer la cité du XXIe siècle en Tunisie. Plusieurs milliers d’emplois peuvent être créés», développe Borhène Dhaouadi. Puis il conclut : «Bizerte 2050 est un projet qui intéresse nombre d’investisseurs. Lors de notre conférence organisée l’an dernier, nous avions attiré sur l’ensemble des trois jours près de 12000 participants, dont 2000 entreprises. Cela démontre bien que le secteur privé s’est saisi des enjeux liés à la création de la smart city de Bizerte.» Dans le cadre de Bizerte 2050, ce sont près de 10 chantiers majeurs qui sont au programme, dont la création d’un technoparc. Ce centre abritera les chercheurs qui travailleront à l’amélioration de la qualité de vie à Bizerte.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Robert Kassous à été le responsable Tourisme à l’Obs pendant près de 20 ans.Photographe, reporter, il a créé et dirigé le Magazine Week-end du Nouvel Observateur. Après un passage d’un an chez Challenges et Sciences et Avenir, il se consacre désormais à son site Infotravel.fr dont il assure le développement grâce à sa formation à Sciences PO Paris Master 2 en Management des Médias et du Numérique. Il collabore à différents magazines print ou web comme Historia, Tourmag, A/R, Cuba Magazine. Passionné de Voyages et de rencontres, il a créé et animé les déjeuners Tourisme de l'Obs pendant 10 ans. Il est également l’invité de grands médias français pour son expertise sur le tourisme, LCI, Soir3, Europe 1, AFP etc. Administrateur du PressClub depuis 2011, il organise avec Isabelle Bourdet, la directrice générale du PressClub de France, des déjeuners afin de connaître toutes l'actualité des Offices de Tourisme, Tours Opérateurs, Compagnies Aériennes, ainsi que toutes les institutions représentatives des professions liées au Tourisme. Avec le Sociologue Guillaume Demuth, il anime des conférences en entreprise ou sur des salons comme le Salon Mondial du Tourisme, Top Résa etc . L'idée étant de comprendre et anticiper les différents changements de comportement des touristes, connaître l’impact des nouvelles technologies, leurs applications et implications dans le monde du Tourisme. Robert est membre de l’Association des Journalistes de Tourisme (AJT).
Source : Forbes Afrique, article rédigé par Robert Kassous