Cinéma/Série/Geek

Les Ardennes

La diversité culturelle profondément ancrée dans la société belge, bien que motrice de certaines tensions communautaires, nous livre de plus en plus de merveilles cinématographiques ces dernières années.

Cette dualité culturelle qui existe entre la Wallonie et les Flandres est ce qui est arrivé de mieux au cinéma belge. On connait déjà les artisans du succès wallon (les frères Dardenne, Jaco Van Dormael…) mais beaucoup moins la nouvelle vague flamande qui ne cesse de se démarquer par un cinéma intense et percutant. 

Pour son premier long métrage, Robin Pront nous offre un énorme choc visuel, de l’adrénaline à en ressusciter les morts, et un twist des plus réussis cette année : Les Ardennes .

Le film est produit par Savage Film,  la boite de production à l’origine du désormais grand classique qu’est Bullhead auquel on ne peut ne pas penser tant le style et la forme sont voisins ; Cette ressemblance entre les deux œuvres n’est pas un simple copier-colleresthético-scénaristique, mais plutôt une approche de normalisation de toute une écriture. On y retrouve comme la marque déposée d’un cinéma en pleine effervescence ; un cinéma qui gueule fort, un cinéma qui se fait à coups d’injections de testostérones et de débandades technoïdes, le temps d’une virée nocturne.

Après un cambriolage qui a mal tourné, Dave s’enfuit et laisse derrière lui son frère Kenneth. Ce dernier écope d’une lourde peine de prison.Il en sort 4 ans plus tard, bien motivé à reprendre sa vie d’avant et bien déterminé à reconquérir sa petite amie Sylvie. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’entre-temps, elle a trouvé en son frère Dave un compagnon de substitution.

Drame social, film noir,polar et bien plus à la fois : c’est le tour de force des Ardennes qui débute par une histoire de famille banale,  le rapport qu’entretiennent deux frères suite à une rude épreuve. Il traite ensuite de l’évolution de ce rapport en le recadrant continuellement tout au long du film. Les thèmes vont du malaise social dépeint à travers une famille qui fonctionne mal , dans une cité déprimante, avec une atmosphère grisâtre et inquiétante  ; puis la destruction psychologique progressive et totale des personnages,pour arriver enfin à un dénouement des moins probables et des plus pessimistes,  aux frontières d’un nihilisme rarement si bien écrit.

L’actrice Veerle Baetens (récent Magritte, équivalent du César de la meilleure actrice en Belgique, découverte dans Alabama Monroe) est une véritable bénédiction pour le film!  Elle y apporte une nuance dans le jeu qui place le film sur différents niveaux d’interprétations. Ce jeu d’actrice se retrouve solidifié par le duo masculin formé par Jeroen Perceval,écrivain de la pièce D’Ardennen dont le film est une adaptation, et Kevin Janssens .

Le film est bourré de références, revendiquées et non revendiquées : il nous renvoie directement au cynisme des frères Coen et à leur savoir-faire en termes de film noir ; mais aussi au cinéma de Jacques Audiard et à sa fascination pour les anti-héros (voir Sur mes lèvres, De battre mon cœur s’est arrêté). Le film nous rappelle aussi, dans sa manière ingénieuse de filmer la violence, la trilogie Pusherde Nicolas WindingRefn qui fut aussi le premier film de son premier volet. 

Les Ardennes, ce lieu associé à de beaux souvenirs d’enfance, est finalement choisi pour être le théâtre d’une confrontation inattendue. C’est le rêve et le cauchemar, l’apaisement et l’exacerbation et c’est toujours dans cette dualité que le trio amoureux évoluera tout au long du film.

Soyez les témoins de l’éclosion de bien plus qu’un jeune réalisateur prometteur, mais aussi celle d’un cinéma flamand si peu connu et souvent inaccessible, qui va au-delà des barrières linguistiques pour nous offrir une  belle proposition de cinéma ; singulière et poignante.

Issam Jemaa