Portraits d'artistes

SKNDR artiste hybride, précurseur de la vague électro en Tunisie.

© Feriel ADDADI

Skander Besbes, alias SKNDR, est un musicien, compositeur et producteur tunisien. Acteur et pionnier de la scène électronique depuis une vingtaine d’années, il s’investit plus récemment en tant que directeur artistique et accompagnateur d'artistes de la scène émergente, tels que Yuma.

En plus d’être l’un des initiateurs de la scène électro tunisienne, suite au succès phénoménal de l'E-Fest, Skander est aussi guitariste et machines operator de Speed Caravan -groupe instrumental mêlant rock, électro et musique arabo-andalouse-. Ce passionné, soucieux du détail et de l'esthétique du son, s'est confié sur son parcours et ses débuts dans l’électro.

© Feriel ADDADI

L'antithèse : du rock à l'électro

C'était en 1994 et à l'époque, ce rocker rebelle aux cheveux longs s'amusait avec son groupe de métal amateur à se prendre pour les Deep Purple. Sans trop se prendre au sérieux, il met cette passion entre parenthèses et prend un chemin classique: études, puis poste dans une boîte de production. Mais après un court passage dans l'audiovisuel, il décide en 2005 d'arrêter d'avoir un boulot "conventionnel" et de se consacrer entièrement à la musique, notamment quelque temps avec son groupe Skin Like Cream. Guitariste puis batteur de plusieurs groupes de rock locaux, il commence à faire de la musique électronique parce que tout d'abord, il ne trouvait pas de groupe et voulait donc se passer d’autres musiciens "Je cherchais à être indépendant " dit-il.

© Marie Poussy

La même année, le collectif HEXTRADECIMAL voit le jour, et c'est à partir de là que les choses commencent à bouger. "Pour gagner de l'argent il fallait rentrer dans un circuit professionnel  qui n'existait pas en Tunisie" confie Skander. Il décide alors de partir en France pour tenter sa chance vers d'autres horizons. Et ça marche, il fait son premier live en tant que SKNDR à Lyon, en mars 2006.

Dans cet élan, le jeune artiste compose son premier album Rituals  qui sort en 2008 sur le label BEE records. Ce tournant marque une étape décisive dans son parcours, " je produisais des morceaux puis le label m'as demandé d'en choisir une dizaine pour l'album. " nous dit-il.

Cet album lui permet de comprendre l'enjeu. Skander sent vite son engouement pour la musique. Artiste visionnaire et affranchi, rien ne l'arrête. En 2007, il participe à "Music Matbakh" (cuisine en arabe), une initiative du British Council regroupant des musiciens d'Afrique du Nord, du Proche-Orient et d'Angleterre pour une résidence d'artistes à Londres. Ce projet de fusion lui permet de faire le tour du Moyen-Orient, et aussi, de travailler avec des musiciens calés. L’année suivante, c’est le project "Pitchworks", avec entre autres, Mounir Troudi et Zied Hamrouni (alias Shinigami San) qu’il reprend la route. Puis  les projets s’enchaînent.

© Jawher Ouni

Des scènes du E-FEST à Tunis, en passant par celles des festivals Nuits Sonores à Lyon, Riddim collision, à l’Institut du Monde Arabe à Paris, ou encore avec le collectif Hextradécimal, Skander multiplie les performances et les formations. En 2014 avec Tarek   DVSN   Louati, il fonde le label de musique électronique indépendant Infinite Tapes, à qui on doit notamment la B.O. de The Last Of Us, le long-métrage du réalisateur tunisien Alaeddine Slim.

L' E-Fest : une aventure qui a tant à offrir

Dans cette démarche progressive de faire évoluer la culture électro, L’E-FEST surgit comme une promesse dès 2007. Créé par Afif Riahi, l’E-FEST a accueilli -en une dizaine d’années- des artistes tels qu’Oxmo Puccino, Levon Vincent, Zombie Zombie, Byetone, Alden Tyrell, Wax Tailor, Pantha du Prince et a définitivement contribué  à stimuler l’essor d’autres festivals tunisiens de musique électronique.

Skander s’engage dès le début aux côtés de l’équipe pour contribuer à son développement. Il vibre au rythme du FEST, chaque rendez-vous est une occasion pour lui de se réaliser davantage "c’est un des rares festivals dont la programmation reste encore aujourd’hui vraiment éclectique, en accord avec ce que je recherche. Je me réjouis de voir l’émergence de nouveaux festivals chaque année, mais pour moi, l’E-FEST restera toujours un peu spécial.. ça doit être sentimental" affirme-t-il.

 © Marie Poussy

© Marie Poussy

Read The Manual

De Pharell Williams  à Brian Eno, Georges Martin (producteur ingénieur son des Beatles), ou  Alan Parson, ces producteurs ont été, plus que des influences, de grandes sources d’inspiration  pour ce féru de son ! Skander nous explique que ces artistes  sont de grands faiseurs de disques, des alchimistes, qui ont développé leurs propres recettes. Parallèlement à la musique, il décide de se former en lisant les manuels d’utilisation des divers instruments et autres équipements de studio qu’il utilise, et il étudie la technique, afin de comprendre les mécanismes psycho-acoustiques et les bases physiques qui régissent l’immatériel sonore. Cet éclectique va jusqu'au bout, il raconte qu'il s'est beaucoup documenté, à un moment, sur ces processus, et qu'il en a principalement retenu  qu'il faut un mélange d'expérimentation et de prises de décisions arbitraires, pour développer un son original plutôt que de dérouler un processus copié-collé, et de penser qu'il existe "une bonne manière de faire. Aujourd'hui- soit 10 ans plus tard- il confie être heureux de pouvoir partager son savoir avec les autres " comme ce que je fais pour le disque de Yuma en ce moment par exemple".

© Marie Poussy

Zoom sur la scène électro en Tunisie

SKNDR a choisi de s'assumer en tant que musicien. Il est important de souligner qu'être musicien est un vrai métier qui demande beaucoup de travail et de sacrifices qui ne sont peut-être pas perceptibles au premier abord, du fait que  le public va voir des musiciens dans des contextes de fêtes, ou de sorties culturelles. Il faut rappeler que le respect de la création est une notion qui n'est pas encore bien établie en Tunisie. En une vingtaine d’années de carrière, Skander nous confie avec un peu de recul que, d'une part, les gens ne mesurent pas la richesse potentielle de ce secteur, du fait du retard pris par nos institutions à intégrer les musiques actuelles comme partie des industries culturelles. D'autre part, que la réalité est que lorsqu'un musicien fait bien son travail, et qu'il donne un concert, ce sont des prestataires de services sono, lumière, techniciens, journalistes, patrons de salles de clubs, et leurs employés, imprimeurs pour les affiches, éventuellement scénographes, promoteurs, etc qui sont censés gagner leur vie."C'est uniquement en comprenant ça, qu'on est disposé à créer un contexte favorable au développement d'une scène originale créative et active. Le résultat, c’est qu’on dépense des fortunes en devises pour amener des artistes étrangers chaque année dans nos festivals et nos clubs, mais qu’on n'exporte pas -ou trop peu- d’artistes tunisiens. La culture sera une source de richesses et de stabilité dans la Tunisie de demain.»

© Marie Poussy

SKNDR, en perspective

Skander revient s'installer en Tunisie pour notre plus grand bonheur. Actuellement en tournée avec le groupe Speed Caravan, il travaille en parallèle sur le nouvel album de Yuma qui sortira en novembre 2017. Il prépare également une série de sorties sur le label Infinite Tapes pour cette fin d’année. Sans oublier  la prochaine édition de l'E-Fest, qui aura lieu fin novembre / début décembre, un rendez-vous incontournable. Parallèlement, il nous annonce qu'il boucle la programmation des résidences artistiques pour Dar Eyquem -institution culturelle dédiée à la collaboration entre artiste étrangers et tunisiens et au renforcement des capacités des artistes et techniciens de l'art- jusqu'à fin 2017 et qu'il travaille déjà sur le programme de 2018.

Vous l'aurez compris, Skander est revenu, et il ne compte pas du tout chômer !

Balkis Afifa BOUSSETTA

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