À l'occasion de la projection de son second film "Dans la peau" au Festival International des Films pour l'Enfance et la Jeunesse (FIFEJ) de Sousse, nous avons réalisé une interview téléphonique avec le cinéaste français Pascal Tessaud. À travers cet échange, il nous a partagé son parcours et sa vision de l'art comme réponse aux fractures sociales.
Découvrez son portrait, celui d'un homme qui, de la banlieue parisienne aux festivals internationaux, met en lumière ceux qui sont souvent invisibles.
De la banlieue parisienne aux festivals internationaux
Né dans un milieu ouvrier en banlieue parisienne, Pascal Tessaud n'était pas destiné à embrasser une carrière dans le septième art. Fils d'un ouvrier de la Régie-Renault, petit-fils d'ouvriers d'usine, il grandit dans les départements du 91 et du 78, au sein d'une famille où personne n'avait le bac. Pourtant, c'est avec passion et détermination qu'il s'impose comme réalisateur, scénariste et producteur de films documentaires et de fiction.La découverte du rap français des années 90, avec des artistes comme IAM, Ministère Amer, Mc Solaar ou NTM le sensibilise au pouvoir des mots et de la langue. En découvrant leurs références littéraires, il se tourne vers la lecture, puis s'inscrit en lettres modernes à l'Université Paris X Nanterre. Là, il croise la route du cinéma d'auteur international : Bergman, Godard, Rossellini, Resnais, Pasolini, Orson Welles, Robert Bresson… C'est un choc artistique. Il comprend alors que le cinéma n'est pas qu'un divertissement, mais aussi un art, un outil de pensée, un langage politique.
Un parcours de terrain, autodidacte et volontaire
Sans le moindre réseau dans le milieu du cinéma, Pascal Tessaud se forme sur le tas. Il échoue à deux reprises au concours de la Femis au premier tour et les écoles privées sont hors de portée financière. Alors, il apprend sur le terrain. Sur les plateaux de tournage de courts-métrages, il est tour à tour régisseur, machiniste, électro, scénariste, perchman, caméraman, comédien... Il enchaîne les petits boulots sur Paris – serveur, livreur, ouvreur de Théâtre, apprenti maçon, vendeur de thé – pour survivre et libérer du temps d’écriture pour créer.
C'est à Saint-Denis, au sein de l'association Altermédia, qu'il fait ses premières armes en réalisant des courts-métrages produits par Didier Soubrier : Noctambules avec la comédienne palestinienne Hiam Abbass et L’été de Noura avec Farida Rahouadj. Cette expérience décisive lui permet de passer de la théorie universitaire à la pratique artistique sur le terrain et d’enchaîner les sélections en festivals.
Montrer l'invisible : un cinéma social et humain
Tessaud revendique un cinéma de l'intérieur, un cinéma qui donne la parole à celles et ceux qu'on ne montre pas. "Le cinéma français est dominé par une vision bourgeoise. Moi, je ne me reconnaissais pas dans ces histoires." Son inspiration, il la puise plutôt dans le cinéma italien, afroaméricain ou anglais qui filment avec complexité le peuple, la réalité sociale des invisibles.
Son premier long-métrage, Brooklyn (2014), tourné à Saint-Denis, est sélectionné à l'ACID au Festival de Cannes. C'est une chronique chaleureuse d'une association musicale où des jeunes cherchent à créer. Le film sera diffusé sur Arte et sélectionné dans une centaine de festivals à travers le monde. Un contrepoint direct aux médias qui réduisent les quartiers à la ligne médiatique de la violence ou de la délinquance.
Dans la peau : un film sur le Krump et la résilience
Son deuxième long-métrage, Dans la peau, est tourné dans les quartiers nord de Marseille. Il met en scène Kaleem, un jeune danseur de Krump en quête de reconstruction. Le rôle principal est joué par Wilfried Blé, alias Wolf, actuel champion du monde de Krump français.
Après cinq années de travail avec l'association marseillaise Ph’art et Balises dirigée par Yasmina Er Rafass, le film est le résultat d'une aventure participative : Casting interne, ateliers d'acting, réécriture du scénario avec les comédiens, immersion dans les réalités culturelles de la communauté comorienne. Dans la peau est à la fois une fresque sociale, un cri artistique, un manifeste poétique contre l'invisibilisation.
Projeté au Brooklyn International Film Festival (où il remporte le Spirit Award du meilleur long métrage), primé au Berlin Urban film festival, Sao Jorge Cinefest au Brésil, Londres Frames film festival et sélectionné aux Fid Marseille, Fespaco, Hip Hop Cinefest de Rome, Festilag d’Abidjan ou encore Miami etc. le film est à l'affiche du Festival International des Films pour l'Enfance et la Jeunesse de Sousse (FIFEJ) en Tunisie.
"Les jeunes ne sont pas le problème. Ils sont l'avenir. Mais quand ils sont abandonnés, sans repères, livrés à eux-mêmes, la frustration peut faire déraper. L'art peut être un levier d'émancipation."
L'art comme révélation
Pascal Tessaud est convaincu que la culture est un outil de transformation. "L'écriture, le breakdance, le rap, le slam, le cinéma... peuvent sauver des vies. Une passion, une rencontre peuvent changer un destin." Il plaide pour plus de soutien aux ateliers de création artistique dans les quartiers populaires."Si on abandonne les jeunes, ils se tournent vers la colère. Si on leur offre un espace pour créer, on leur ouvre un chemin de libération vers la lumière."
Prochain projet : Beauregard, le film le plus intime
Son prochain long-métrage, Beauregard, est en développement. Il s'agit d'un coming-of-age movie très personnel, centré sur des ados de banlieue passionnés de skate, inspiré de sa propre adolescence.
Produit par House on Fire qui a produit les icônes du cinéma mondial Wang Bing Jeunesse en compétition officielle à Cannes, Abderrahmane Sissako Black Tea en compétition officielle à la Berlinale ou Tsai Ming Liang La saveur de la pastèque, I don’t want to sleep alone, Les Chiens errants (multiprimé à Cannes, Venise et Berlin), le film de Pascal Tessaud, co-écrit avec Dorothée Sebbagh, promet de poursuivre la même ligne : donner une voix à ceux qu'on entend peu, dans un langage sensible, esthétique, enraciné.
Portrait réalisé par L'Instant M