Portraits d'artistes

Portrait d'artiste : Wadi Mhiri, l’art comme espace de transmission

Dans l’univers de Wadi Mhiri, chaque geste, chaque matière, chaque espace devient un territoire de création. Artiste pluridisciplinaire tunisien, il développe depuis plusieurs années une œuvre sensible et engagée, nourrie par la mémoire, le corps et les territoires. Photographie, installation, vidéo, mode, land art ou scénographie : son travail dépasse les disciplines pour laisser surgir des formes qui interrogent et relient.

C’est dans l’atelier familial que tout commence. Très jeune, Wadi découvre la liberté de créer avec ce qui l’entoure. "Après l’école, je passais des heures à bricoler avec des morceaux de tissu, des boutons, des fermetures... Je jouais, j’assemblais, je composais sans but précis. Mon père, paix à son âme, m’a appris que l’erreur faisait partie du processus." Cette première expérience, tactile et joyeuse, fonde son rapport à l’art : un espace d’expérimentation et de liberté, où le geste est porteur de sens.

Refusant de s’enfermer dans une discipline, Wadi explore de multiples médiums selon l’idée, le lieu ou l’énergie du moment. Il travaille aussi bien la céramique que le textile, le film ou le corps en mouvement. "Chaque médium devient un langage possible", dit-il, insistant sur l’importance de l’intuition et du dialogue avec le contexte. Ce qui relie ces pratiques disparates ? Une attention fine aux matériaux, aux gestes, aux récits silencieux qui habitent les objets et les lieux.

La mémoire, l’identité et l’intime sont au cœur de sa recherche. Mais ces notions ne sont jamais illustrées de manière frontale. "Ce sont des strates qui me traversent, des transmissions, des gestes — souvent discrets, mais essentiels." Qu’il s’agisse de tissus anciens, de gestes appris dans l’atelier de son père ou d’objets récupérés, la charge émotionnelle de la matière est toujours présente. Elle est le point de départ d’un dialogue plus large, collectif, universel.

Parmi les projets qui l’ont marqué, il évoque une œuvre monumentale flottante sur le fleuve Niger, au Mali : "Ce projet m’a permis de penser l’œuvre comme un passage, une traversée, un geste vivant et collectif, et non comme un objet figé." Ce lien fort avec les territoires irrigue toute sa démarche, qu’il s’agisse d’interventions dans des espaces naturels, d’installations contextuelles ou de scénographies sensibles en Tunisie, au Pérou, en Allemagne ou bientôt au Bénin.

Car Wadi est aussi scénographe. Dans cette discipline, il conçoit des dispositifs où les corps circulent, perçoivent, ressentent autrement. Il aime concevoir des espaces qui ne s’imposent pas, mais qui proposent : "Des espaces sensibles, lisibles, mais jamais figés."

Aujourd’hui, Wadi travaille sur un projet de défilé intitulé Là où naissent les souvenirs, soutenu par le Fonds Elyssa. Cette collection textile devient un hommage à la mémoire familiale, aux racines, aux gestes d’amour du quotidien. "Chaque vêtement y devient une île, un souvenir, une voix chuchotée à travers le tissu et le temps."

Engagé dans la transmission, il considère qu’à ce stade de son parcours, partager est une nécessité. "Pas dans une posture d’autorité, mais comme un geste naturel : partager une expérience, des outils, des intuitions." Pour lui, la transmission fait partie intégrante de l’œuvre. Elle prolonge le geste créatif dans le lien, dans l’échange, dans la réactivation de savoirs parfois oubliés.

Son prochain voyage au Bénin marquera une nouvelle étape de cette exploration vivante. "Ce que je cherche, ce n’est pas seulement une nouvelle forme artistique, mais une forme de vérité. Quelque chose de plus simple, de plus sincère... L’essentiel invisible, celui qui se transmet par un geste, une voix, une étoffe, un regard."

Wadi Mhiri trace ainsi un chemin singulier dans le paysage artistique tunisien. Un chemin fait de matières, de mémoires, d’engagements doux mais profonds. 

Un art du lien et du temps long, qui continue de se construire, loin des artifices, au plus proche de l’humain.