Portraits d'artistes

Immersion avec Mohammed Akacha : « mes pinceaux maquillent la réalité »

Crédit Photo : Amira Karaoud

Mohammed Akacha est un jeune artiste-peintre tunisien bourré de talent, et doté de qualités humaines remarquables. Connu pour son univers ultra-coloré et très « pop-art », il nous accorde de son temps précieux entre deux expos, dont l’une se déroule actuellement à Sidi Bou Said à la galerie Ghaya Gallery (expo collective qui porte le nom de "Place de la Gare"), et une autre prévue pour les mois de Novembre-Décembre 2016 à Miami dans le cadre du « Art Basel », pour nous parler de son travail hors du commun !

  • Raconte-nous tes débuts de dessinateur-peintre 

  • Quand j’étais gamin, en classe j’attendais que le professeur quitte la salle pour monter au tableau et dessiner toutes sortes de caricatures : celle du prof, ou des camarades de classe. En fait, c’était une sorte d’amusement au départ. Après, c’est devenu une habitude puis une passion. J’ai grandi dans un quartier populaire de l’Ariana, et je passais le plus clair de mon temps sur le toit des immeubles à dessiner. Je n’avais aucune notion artistique, ni la connaissance de l’acrylique, d’ailleurs j’ai commencé avec de la peinture bon marché achetée de la quincaillerie du coin, et des cartons d’emballage. Après un bac en économie-gestion, mes parents m’ont encouragé à me lancer dans les arts plastiques. J’ai passé une année à l’Institut des Beaux-arts de Tunis, sans grande conviction ni ambition, puis je me suis envolé pour l’Italie aux Beaux-Arts de l’Aquila où j’étais comme un poisson dans l’eau, étant imprégné depuis tout petit de la culture RaiUno ! J’ai poursuivi mon chemin de construction artistique avec un passage d’une année en France, puis retour à Tunis où je me suis inscrit à la Direction Artistique de Communication et de Publicité de Tunis pour avoir mon diplôme.

  •  
  • Quelles sont tes inspirations...tes influences ?

  • La base de mon inspiration, c’est la rue. Les moyens de transports publics, la fripe, le marché, les administrations, les chauffeurs de taxi, les cafés, les médias,mais aussi les pays que je visite et leur culture. Je me suis rendu compte qu’en rentrant chez moi, ma peinture était inspirée de mon vécu de la journée. Je m’adapte à mon environnement, et ma peinture change d’un endroit à un autre. Le métro parisien m’évoquera les musiciens, une population multiethnique, mais aussi le rythme effréné parisien ! A Tunis je peindrai plutôt un contrôleur de guichet grincheux et mal sapé (rires).

  • Bien que tu utilises des couleurs très vives et décalées de la réalité, en regardant de plus près, on remarque que certains de tes tableaux reflètent les problèmes sociaux ou l’inhumanité de notre monde actuel, peux-tu nous éclairer là-dessus ?

  • Oui effectivement, c’est pour rassurer le spectateur dans sa vision de la misère. Parce qu’on attend souvent de l’exotisme, de la joie lorsqu’on regarde une peinture. C’est comme maquiller une femme laide, mes pinceaux maquillent la réalité (rires). J’essaye de contribuer à rendre les choses plus belles, et plus joyeuses qu’elles ne le sont, je peux parler de choses tragiques en les rendant comiques, c’est ça l’optimisme.

  • En plus de l’acrylique, tu travailles également avec l’encre de chine, où on ressent la complexité du travail que tu accomplis, raconte-nous 

  • Le noir et blanc, c’est la base dans le dessin, c’est ma vocation en fait. Une peinture à l’encre de chine est un travail titanesque qui requiert beaucoup de technicité. D’ailleurs, j’ai l’impression à chaque fois d’entrer dans un labyrinthe, c’est pour cela qu’il me faut beaucoup de sérénité pour m’y mettre.
  • Je peins, par ailleurs, beaucoup des personnages inspirés de rencontres, ou de connaissances, comme dans le tableau intitulé « El bayra » (vieille fille), où on peut voir une fille aux cheveux très longs, et semblables à des tentacules de pieuvre, et qui porte une belle robe de mariée toute prête… Dans d’autres tableaux, je parle des filles qui rêvent de l’amour, je parle de la belle-mère, du coup de foudre, et dans un autre registre du premier jour des soldes aux Etats-Unis « Black Friday », ou du capitalisme...

    • Comment définirais-tu tes tableaux ?

    • C’est des livres qui pourraient être aussi bien des contes pour enfants, que des histoires que nous raconteraient nos grands-mères (khorafette), ou des livres d’histoire…Et comme je vous l’ai expliqué plus tôt, je dépeins ce que je vois et ce que je vis, ce qui me marque !Lors de mon séjour à Louisville aux Etats-Unis, dans la rue j’ai croisé bon nombre de personnes SDF, de victimes de racisme ou exposées à la violence, mon tableau intitulé « St Patrick’s Day » raconte l’histoire de l’une d’elles. C’est la rencontre d’un gars sans abri et plutôt sympathique, le jour de la fête Saint Patrick (Saint Patron de l’Irlande), et qui me raconte comment cette fête religieuse s’est transformée en une fête de tous les excès, où les gens boivent des quantités astronomiques de bière, et font n’importe quoi. Il me raconta comment autrefois il était très riche, il possédait une écurie de chevaux de grande valeur, et du jour au lendemain il fit faillite. On a dû lui reprendre (racheter) tous ses biens... Depuis, il va parcourir des kilomètres pour aller rendre visite à ses chevaux et les caresser. C’est une histoire à la fois drôle et émouvante, qui valait la peine d’être peinte.

    • Tu fais également de la peinture sur d’autres supports que des toiles (objets, wok, vinyle…), comment les choisis-tu ?

    • Quand je vois un support, il doit me parler, m’évoquer quelque chose, je n’ai pas d’idée au départ, mais il m’arrive de voir des objets qui m’interpellent et qui m’envoient en pleine gueule le message que je veux transmettre.




      • Quelle musique écoute Mohamed Akacha?

      • Beaucoup de rétro, le funk, le Rythm and Blues, la Soul music, le rap US old school, la musique italienne, je kiffe des artistes tels que Womack and Womack, The Pointer Sisters, Chaka Khan, Diana Ross, Tiken Jah Fakoly, Bob marley, BB King etc.

      • Des projets en vue ?

      • Continuer à faire ce que j’aime ; j’expose prochainement aux Etats-Unis et pendant deux mois au « Art Basel Miami », qui est une des plus importantes manifestations annuelles d’art contemporain du monde. Parallèlement, je travaille sur un éventuel projet sur Paris...

    • Feyza Bellamine