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Entretien avec Sofiane Ouissi, co-fondateur de « Dream City »
L’association « L’Art Rue » tient d’une main de fer les rênes de « Dream City ». Ce festival pluridisciplinaire d’art dans la Cité est devenu en 10 ans une biennale incontournable car il se renouvelle et innove sans cesse accueillant des compétences artistiques venues de tous bords. Rencontre avec Sofiane Ouissi, co-fondateur de l’Association L’Art Rue et du projet Dream City, qui nous entraîne dans les coulisses de ce festival de création porté par une association pas comme les autres !
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Peut – on en savoir plus sur la genèse de « Dream City » ?
« Dream City » tient la cadence depuis 2007. Il faut savoir qu’au début, c’était une création chorégraphique. A cette époque ma sœur, Selma, et moi-même avions commencé à réfléchir à un événement créatif alternatif parce qu’on sentait une certaine saturation et une grande démission des artistes tunisiens. Parallèlement, nous travaillions sur « Stop Boom », une création sur les enfants de la guerre en Irak. On se devait de réagir à notre manière face à ce massacre ! À cette occasion, nous avons été invités à parler de notre spectacle sur RTCI. Selma a profité de cette émission pour appeler les artistes à une marche pacifique pour revendiquer un véritable statut. Elle a interpelé le chef du gouvernement et le ministre de la culture et ça a pris une dimension énorme : on a été censuré en live, l’animatrice radio a été suspendue de ses fonctions pendant plusieurs mois et on s’est dit qu’on allait nous jeter en prison ! Nous vivions entre la Tunisie, la Belgique et la France. On était loin de se douter qu’une simple proposition de marche pacifique allait prendre une tournure pareille ! On s’est alors rendu compte que l’espace public était complètement confisqué à la population, qu’il était un « espace-vitrine » qui appartenait exclusivement à l’Etat pour faire pression sur la société. En réponse à la censure, nous avons imaginé une chorégraphie urbaine, un dispositif permettant de rendre possible une marche pour les artistes et pour les citoyens : Dream City était né.
Nous avons réuni autour de nous des artistes de toutes disciplines et avons créé de petites formes artistiques qui ont ensemencées la Médina de Tunis, cœur historique de la ville. Nous sommes descendus sur l’espace public le 7 novembre 2007 et avons occupé les lieux durant 3 jours, nous emparant de la ville pour créer des espaces de liberté. Et le public qui a suivi s’est mis à marcher pour l’art. Les gens ont tellement aimé l’événement qu’ils en ont redemandé et c’est comme ça que « Dream City » est devenu une biennale !
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Pourquoi une « biennale » ?
Tout faire en un an, c’est impossible pour un festival qui affiche près de 90% de création In Situ ! Et nous sommes l’un des rares festivals au monde à proposer cela. Dream City est avant tout un processus qui demande un long temps de maturation car toutes les œuvres sont créées en Tunisie pour la Tunisie. Les artistes viennent de partout dans le monde plusieurs mois avant l’événement pour s’immerger dans le territoire, rencontrer ses habitants et ses experts, se frotter à la vie quotidienne. C’est à partir de ce contexte que naissent les œuvres qui seront créées pendant « Dream City ». On a choisi de travailler sur l’innovation, l’impact, l’expérience vécue pleinement sur terrain. Il ne s’agit pas d’un simple festival culturel, on parle d’un projet sociétal qui veut toucher toutes les populations : pas seulement les artistes et les participants venus de tout bord, pas seulement les médias et les intellectuels, mais toute la communauté, toute la cité…
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Envisagez – vous de décentraliser « Dream City » de la capitale?
Nous l’avons déjà fait en 2012 à Sfax et ce fut un succès. Mais à quel prix ! Ce n‘est pas aussi simple de décentraliser quand on travaille en profondeur sur un territoire. Chaque ville, chaque hameau commande une approche particulière. Chaque lieu est porteur de sa sociologie et de son contexte propre. Et cela demande du temps pour comprendre et appréhender en finesse celui-ci. Une fois sur place, il ne s’agit pas de faire de l’animation, il s’agit de travailler en profondeur sur tous les aspects de l’espace, des particularités de la région, des habitants... c’est un travail de longue haleine. Nous n’avons pas la logistique ou le potentiel humain pour être partout. A moins que l’équipe n’accepte de se délocaliser durant plusieurs années comme nous l’avons fait pour le projet avec les potières de Sejnane. On s’est installé là-bas pendant 3 ans pour développer une réflexion sur l’égalité, l’économie de la région, le potentiel des femmes avec lesquelles nous collaborions…. On est tunisois, on ne peut pas se vanter de tout connaitre et surtout pas la Tunisie avec ses régions plurielles et particulières ! La politique actuelle de décentralisation est défaillante car elle ne prend pas le temps nécessaire pour s’imprégner des spécificités régionales pour décentraliser sur de bonnes bases. Et ce n’est pas évident du tout! Ce pourquoi, nous ne comptons pas décentraliser Dream City car nous défendons la proximité, la construction de projets en lien direct avec un contexte précis - projets pointus mais engageant des liens profonds avec les autres, projets qui tentent de construire un avenir commun ou du moins de proposer des solutions à un territoire donné.
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Attention, cela ne signifie pas que nous sommes contre la décentralisation, bien au contraire ! Mais nous souhaitons le faire d’une autre manière. Nous pouvons former des jeunes des régions à la méthodologie Dream City pour qu’ils l’adaptent aux besoins de leur territoire. Nous travaillons aussi à l’écriture de protocoles qui seront transmis à d’autres organisations et associations partout ailleurs en Tunisie pour permettre à ces dernières de répliquer les actions en y insérant les compétences et les spécificités dénichées dans leurs régions. C’est le cas de « Change ta classe », projet pour faire entrer l’art dans les écoles primaires développé par l’Association L’Art Rue et qui sera accessible à tous dès 2018.
Les tunisois ne doivent pas se proclamer « Dieu de la culture » en tentant d’être partout. Il faut céder le flambeau !
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Comment sélectionnez-vous les artistes « Dream City » ?
La dernière sélection s’est déroulée sur deux ans. Depuis 2015 il n’y a plus d’appel à projet, nous partons nous-mêmes à la chasse aux artistes en étudiant leur méthodologie et leur manière d’aborder l’espace public. C’est pourquoi nous avons fait appel à Jan Goossens en tant que curateur invité sur l’édition 2015 et directeur artistique pour Dream City 2017. Jan a fait le tour du monde à la recherche de nouveaux talents. Et il en a un très large panel ! Tous trois (Selma, Jan et moi) proposons des artistes développant à la fois un véritable travail de terrain et une vision esthétique : des artistes engagés, ouverts et suffisamment généreux pour déplacer leurs pratiques et adapter leur méthodologie au territoire tunisien. On les invite, on leur explique le concept et l’artiste commence son immersion dans la médina de Tunis. On délocalise ainsi l’artiste et on le familiarise avec son nouvel espace, encadré par des assistants-médiateurs. Il passera ainsi plusieurs mois dans la médina de la gestation à la création de son œuvre.
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Comment les habitants de la médina perçoivent-ils « Dream City » ?
C’est un événement fédérateur. Pour les habitants de la médina, nous portons plus l’identité « Dream City » qu’association L’Art Rue ! Les gens nous demandent sans cesse : « À quand la prochaine édition ? ». Les commerçants trouvent que ça booste énormément leurs commerces et pour nous c’est une fierté. Pendant la période de crise, en 2012, « Dream City » leur a permis de sortir et d’écouler leurs stocks. Les habitants de la médina se sont, de fait, approprier le festival : les jeunes des quartiers assurent la sécurité des artistes et le gardiennage des œuvres, les femmes préparent des pâtisseries maison qu’elles vendent sur les parcours, des commerçants annoncent des tarifs préférentiels Dream City, d’autres détournent les flèches du festival vers leur boutique, sans parler du marché noir autour de la vente de nos bracelets! C’est tout cela Dream City et toute cette vie en marge du festival est aussi importante que les œuvres elles-mêmes.
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Le jour où on n’aura plus de rôle à jouer dans la société, on arrêtera. C’est cela s’investir réellement. On adore créer avec les gens à partir des urgences, on ne cherche pas à gagner de l’argent mais on cherche à apporter des solutions sociales, économiques, politiques… On cherche à interroger, à déplacer et à construire ensemble en prenant en compte les urgences et les défis de notre société. Pour l’Art Rue comme pour « Dream City », la question fondamentale qu’on se pose à chaque instant est : que faire pour que l’art soit une des réponses à nos défis d’aujourd’hui?
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Qu’est-ce qui différencie l’Association l’Art Rue de Dream City ?
L’Association L’Art Rue existe et travaille à l’année dans la médina de Tunis. Elle porte 2 grands projets : Dream City et la Fabrique d’espaces artistiques qui elle-même se décline en 3 programmes distincts
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Un volet résidences artistiques où la structure accompagne à l’année des jeunes artistes pluridisciplinaires. Suite à un appel à projet ouvert à tous, les artistes sont sélectionnés sur la pertinence du rapport entre le projet artistique, la ville et les populations. L’équipe est là pour donner les moyens financier et humain et suivre ces jeunes artistes depuis la réflexion jusqu’à la concrétisation et la diffusion de l’œuvre.
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Un volet Art et Education car l’avenir de ce pays c’est les écoles primaires, les élèves, les enfants. On se doit d’être là. C’est le programme le plus lourd avec une partie réalisée dans les écoles : « Change ta classe », qui transforme des lieux scolaires en espace dédiés à l’art et des implantations d’ateliers artistiques en collaboration avec les universités d’art (ce programme donnera lieu à un protocole qui sera adapté à l’échelle nationale en collaboration avec le Ministère de l’éducation) ; et une partie réalisée à Dar Bach Hamba, siège de notre association : ateliers artistiques et culturels, ateliers civiques autour des droits de l’enfant et du soutien scolaire.
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Un volet Formation / Débat / Réflexion avec des conférences, tables rondes, discussions et formations qui rassemblent spécialistes et citoyens lambdas. Sans oublier la revue annuelle ZAT (Zone artistique temporaire) pour laisser des traces écrites de tous ces palabres.
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Art et Education est un volet qui prend de l’ampleur ! Parlons – en !
Ce volet nous permet de nous immiscer depuis 2012, dans les écoles primaires, là où la relation enseignant / élève est totalement biaisée. C’est devenu une relation de violence au quotidien. Notre rôle n’est pas de critiquer mais de faire prendre conscience à l’instituteur de son rôle fondateur dans l’éducation de l’enfant et faire comprendre à l’enfant la valeur éducative de son professeur. En résumé, notre rôle est de rétablir la relation en lançant un projet ludique et fondateur. On arrive au sein de l’établissement, et on s’adresse au corps enseignant en leur demandant de choisir un espace qui sera dédié à la pratique artistique, une classe qui deviendra une salle de rêve, polyvalente, pluridisciplinaire, de musique, de cinéma, de théâtre etc.. Ces salles sont transformées par des spécialistes, architectes, designers mais aussi étudiants des beaux- arts, de l’ESSTED ou de l’ENAU. Une convention est ensuite signée avec le Ministère de l’Education stipulant que cette classe restera dédiée à la pratique artistique et on y organise des ateliers à l’année grâce à l’appui des établissements universitaires. Ce sont les étudiants de théâtre, de musique ou des Beaux-Arts en fin de cursus universitaire qui viennent faire leur stage dans les écoles, devenant à leur tour formateur. C’est un programme qui démontre la force des alliances et qui met en avant le potentiel des jeunes.
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Quels sont les liens entre la fabrique artistique et « Dream City » ?
Les deux portent une même philosophie, une même réflexion ancrée dans le territoire. La Fabrique travaille plus avec des structures nationales et Dream City s’ouvre plus à l’international mais la frontière est poreuse et les échanges multiples. Quand des artistes étrangers se joignent à nous, ils demandent à être en contact avec les dirigeants de structures publiques ou privées du pays, d’où notre présence dans les ministères, les palais de justice, les prisons, les écoles, les hôpitaux, les refuges pour enfants en détresse etc … C’est le travail à l’année de la Fabrique qui nourrit les artistes de « Dream city », c’est ce travail de fond qui nous permet de ne pas être juste un festival de diffusion, mais un véritable festival de création qui répond aux attentes et urgences du territoire. Nous ne faisons pas dans l’art de vitrine ! Et c’est aux médias de changer cette idée récurrente.
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Peut-on avoir un aperçu de ce que nous réserve la prochaine édition de « Dream City » ?
On ne va pas tout vous dévoiler ! Suspense oblige. Mais Dream City sera présent de 10h à minuit avec, en matinée, Les ateliers de la ville rêvée et en après-midi, de 13h à 18h, Les parcours-créations avec 15 créations d’artistes tunisiens, africains, du Moyen-Orient ou d’Europe qui interrogent le rôle de l’artiste, aujourd’hui, dans la cité. Les night-shifts (de 18h à 22h) qui réuniront les festivaliers autour de 3 créations et enfin Les gratuits de la nuit avec du cinéma, de la performance et des concerts dans des places publiques, où tout le monde pourra assister gratuitement à cette grande fête de l’Art dans la cité. Et, nouveauté cette année, Les Dream Guests avec des artistes de renommée internationale proposant une œuvre phare ou une re-création pour Dream City : Anne Teresa de Keersmaeker (Bruxelles), Rimini Protokoll (Berlin) ou Nacera Belaza (Médéa, Paris). On ne vous en dira pas plus ! Restez aux aguets.
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Haithem Haouel