Wael Marghni, jeune artiste, concentre son travail autour de la danse. Il s’est notamment fait remarquer avec ses créations et ses collaborations avec des artistes de renommée nationale et internationale. A seulement 26 ans, il a déjà une carrière professionnelle bien remplie. Lors de ses spectacles, il a une gestuelle singulière, fine et précise, et crée un univers plein de fantaisie, de sensualité et de couleurs. Rencontre.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Wael Marghni, je suis danseur, interprète, chorégraphe, directeur d’une compagnie de danse intitulée ‘Mouvma’ créée en 2013 et premier danseur au ballet de l’opéra de Tunis. Mais aussi, j’ai été footballeur : capitaine de l’espérance jusqu’au jour où je me suis converti à la danse.
Quel est votre parcours ?
J’ai commencé avec de jeunes artistes chorégraphes comme Hafedh Zellit, Karim Twayma jusqu’à ce que je rencontre Imed Jemaa avec qui j’ai travaillé sur plusieurs reprises de rôle comme ‘Nhar Rah, Hala, Sala ou encore Diari’. Entre temps, un projet prenait petit à petit forme : le centre chorégraphique méditerranéen où je faisais partie de la première promotion.
Depuis 5 ans, j’ai eu l’honneur de participer au festival triennal ‘ danse l’Afrique danse’ où j’ai gagné le prix du meilleur interprète.
J’ai aussi effectué une formation chorégraphique qui s’est étalée sur 2 ans et j’ai été par la suite intégré dans la compagnie en tant que danseur.
Avant 2012, je me suis concentré sur des essaies chorégraphiques jusqu’au jour où j’ai eu la chance d’être invité par la compagnie ‘échappé ballet’ à Lyon, j’y ai passé un an de formation en tant que danseur puis je suis revenu en Tunisie pour ma première grande création en solo : Kotherto.
J’ai aussi été le seul tunisien à avoir joué à Avignon dans une pièce commandée. Quand les responsables du projet ont remarqué le ‘working progress’ de ma pièce solo, ils ont tout de suite commandé la pièce.
Entre temps, j’ai passé une audition à Paris à Acts. J’étais parallèlement en formation libre : j’étais élève le matin et chorégraphe danseur l’après-midi.
J’ai aussi collaboré avec Nejibi Khalfallah et Marwen Rwin : C’était une expérience unique pour moi. J’ai animé une pièce qui cachait une expression corporelle très significative et offrait beaucoup de liberté au public qui pouvait interpréter la pièce comme son imagination le lui permettait.
Parlez-nous de vos premiers pas dans la danse.
En juin 2008, le hasard a voulu que la première pièce de danse contemporaine à laquelle j’ai assisté, fût la plus grande pièce de l’histoire de cette culture : le spectacle de Maguy Marin. Depuis ce jour, j’ai mis de côté le hip hop et me suis engagé dans la danse contemporaine.
L’aventure en tant qu’interprète chez les compagnies a commencé avec la compagnie Brumachon-Lamarch avec la reprise de la pièce ‘Folie’ : une pièce qui a été créée en 1989 et qui est toujours d’actualité. Par la suite, j’ai présenté deux pièces notamment ‘if you speak low speak love’ pour la compagnie belge de Wim Vandekeybus : C’était un rêve pour moi de faire partie de l’équipe parce que la première fois où j'ai été en Europe il y a 3 ans, c’était pour assister au spectacle de Wim.
Y a-t-il quelque chose en particulier que vous souhaitez transmettre à travers vos productions ?
J’aimerais transmettre aux gens que la danse est synonyme de liberté, car la manière de danser d’une personne révèle sa personnalité. Cette discipline nous connecte directement à nos émotions. Elle possède la faculté de nous ouvrir aux autres.
Quels sont les points positifs et négatifs de votre métier ?
C’est un métier qui donne beaucoup de satisfaction personnelle. Il permet d’évoluer sur le plan personnel, de rechercher, de voyager et d'être plus ouvert d’esprit…
Mais c’est aussi un métier qui demande un travail très dur, (je m’entraine 6h par jour.)
Financièrement, le métier de danseur chorégraphe n’est pas très stable surtout que je n’aime pas la routine, j’aime bouger pour changer de cadre chaque fois.
La pièce qui vous a le plus marqué ?
En tant qu’interprète, c’est la pièce ‘Hala’ de ‘Imed Jemaa’ qui m’a le plus marqué : je n’ai jamais vu une pièce avec un tel niveau technique et un tel décor.
Il y a aussi la pièce emblématique ‘Folie’ du répertoire de Claude Brumachon qui met en scène 15 danseurs emportés dans l’excès et le sauvage.
L’œuvre célèbre à la fois l’ardeur des corps et l’exode d’un peuple dans sa vitalité et sa fureur lors de la révolution française. Le décor était assez lugubre comportant des balles, du sable..
On ne dansait presque pas mais on stressait énormément, on glissait sur le sol.. C’était une pièce qui a laissé des séquelles en moi, j’ai été malade pendant 6 mois et j’ai été très crispé après des mois du spectacle.
Comme chorégraphe, ‘Koferto’ a fait que je sois la personne que je suis aujourd’hui, c’est une pièce qui m’a offert la chance de préparer mes prochains spectacles et m’a permis de tisser des liens avec des gens qui m’ont énormément aidé.
Pour vous, c’est quoi la danse ?
La danse est par défaut un moyen d’expression. Il s’agit d’abord de partager une expérience avec un public, c’est être vraiment libre et en parfaite symbiose avec sa conscience. Il ne suffit pas de danser pour être danseur. Il faut sentir la liberté, c’est un peu philosophique mais la différence entre un danseur et être un danseur, c’est l’étape de l’extase ; là où la personne en question dépasse tout complexe et se livre à elle-même.
Y a-t-il des arts dont vous vous inspirez pour la danse ?
Ah, oui ! Le cinéma... D’ailleurs, il y a des pièces où je mets en scène des concepts comme le montage du cinéma, ce qui donne un subtil mélange entre la danse et les créations numériques.
Il y a le film ‘Yves Saint Laurent’ qui m’inspire beaucoup, je le regarde au moins une fois par semaine.
L’art plastique m’inspire également, je ne travaille pas avec des scénographes mais avec des plasticiens parce que je trouve que c’est un art vivant et qui ne se fane pas avec le temps.
Avec l’expérience, avez-vous encore le trac ? Que faites-vous avant d’aller sur scène pour vous déstresser ?
Je fume une cigarette quelques fois mais sinon, tout ceux avec qui je collabore le savent très bien ; avant le spectacle, je ne parle à personne. Je ne me concentre point sur le spectacle, je mets de la musique et j’essaie de m’évader. Il y a aussi la règle des 5 minutes : Ce qui m’importe le plus c’est de dépasser le trac des 5 premières minutes. J’ai essayé avant de me concentrer sur le spectacle, mais je me suis retrouvé après à faire des mouvements parce que je devais le faire. Mais l’idée est de me libérer en dansant. Chaque geste doit faire ressortir une émotion donc j’ai arrêté de le faire.
Et je dois avouer, que le meilleur moment c’est quand on m’applaudit à la fin… Ah, quelle satisfaction !
Comment vous choisissez le rythme musical de vos pièces ?
Notre patrimoine tunisien est très riche, j’essaie de m’en inspirer au maximum et d’y rajouter une touche de modernité.
Des conseils à donner aux jeunes désireux de se lancer dans une carrière de danse ?
Suivre ses envies, on ne peut qualifier une personne de chorégraphe qu’après 4 échecs et 10 essaies au minimum : pour pouvoir comprendre la philosophie et le message qu’elle veut délivrer : chacun a sa manière de traiter le corps ! Il faut prendre son temps et être vraiment convaincu de ce que l’on fait.
Souhé Jelassi
Crédits photos : KAMEL BEN OTHMAN / THIBAULT GREGOIRE