Le musicologue maltais Andrew Alamango présentera son projet ‘’Magna Zmien’’ dans le cadre de la commémoration de l’archive de Malte. Une interview a été accordée à L’instant m pour parler essentiellement de sa musique ancrée dans l’héritage maltais.
Si vous pouvez vous présenter au public tunisien?
Je suis un musicien et chercheur dans la musique traditionnelle maltaise dont une partie a été enregistrée en Tunisie dans les années 30.
J’ai travaillé à Malte pendant les 20 dernières années sur la recherche de la musique traditionnelle notamment populaire plus précisément les instruments folkloriques y compris les enregistrements du répertoire ancien. Je travaille, également, sur un type de musique folklorique qui s’appelle Ghana, le mot vient de l’arabe ‘Tghani’ essentiellement.
Cela a commencé en 2001 quand on a travaillé sur des enregistrements avec mon groupe ‘’etnika’’ très connu à Malte et a été fortement présent sur la scène internationale à travers des tournées. Avec ‘’etnika’’ nous travaillons avec des instruments traditionnels pour en faire une matière moderne avec un nouvel esprit. 8 ans après j’ai commencé à travailler sur des anciens disques maltais produits en 1931 et 1932.
A cette époque là les chanteurs et compositeurs maltais étaient envoyés à Milan pour enregistrer de la musique maltaise chez ‘His master’ voice’ et dans les studios Pathé, Polyphon et Odeon record en Tunisie.
Par exemple, il y avait un monsieur très connu chez nous nommé Fortunato Habib juif de la valette, marié à une Tunisienne qui envoyait des musiciens maltais en Tunisie par manque de structures d’enregistrement en Tunisie.
Il est à noter qu’il y avait une très grande communauté maltaise en Tunisie qui comptait à peu près 22.000 personnes dispersées entre Bab El Khadhra à Tunis, Djerba, Sfax et Sousse.
Il y avait aussi la possibilité de revendre la musique maltaise et les enregistrements à la communauté maltaise de Tunisie, à la diaspora en Alexandrie et même en Australie (où une grande communauté réside jusqu’à aujourd’hui et qui compte à peu près 1 million de personnes). Bien que le marché local de la musique maltaise soit très petit ; l’idée était de ne pas se limiter au paysage local mais de toucher aussi la diaspora.
Le projet est axé sur la numérisation ainsi que la préservation et la publication des enregistrements pour faciliter l’accès au public local.
Aujourd’hui je publie mes enregistrements à travers ma propre maison de disque qui s’appelle ‘Filfla records’ une idée originale locale visant à préserver ce patrimoine culturel immatériel afin de faciliter l’accès aux gens pour qu’ils aient des références à l’avenir.
Certains disques se trouvent essentiellement dans des magasins de commerçants juifs tunisiens.
Cet enregistrement est une vitrine intéressante qui reflète ce que les gens écoutaient à cette époque-là.
A l’époque, les gens écoutaient leurs propres voix par le biais du gramophone à Malte et un peu partout dans le monde où les gens écoutaient leurs propres musiques.
En effet, jusqu’au 20ème siècle les sociétés d’enregistrement commençaient à enregistrer toutes les musiques du monde entier car ils voyaient le potentiel de produire des disques pour promouvoir la vente du gramophone à travers le monde.
C’est pour cela qu’il y a des références importantes qui m’inspirent pour les transformer en musique plus revisitée. Avec mes collaborateurs, notre travail de recherche est basé essentiellement sur la transformation en représentation théâtrale et contemporaine de nos œuvres locales.
Il y a deux ans j’ai commencé à travailler sur une production qui s’appelle ‘Lehnek Mitlufa ‘ qui veut dire ta voix perdue qui vient du même projet ‘Malta’s Lost Voices’ pour la numérisation des enregistrements maltais.
Le fait d’écouter ces enregistrements m’a été d’une grande utilité car je me suis rendu compte qu’il y avait une caractéristique dans les années 20 et 30 d’articulation de voix pas seulement à Malte mais aussi en Tunisie, en Sicile et en Grèce. Même si les traditions méditerranéennes sont différentes certains pays de la région ont perdu aujourd’hui leur deuxième qualité ce qui me permet de parler d’une sorte de crise identitaire dans la région de la Méditerranée de l’après-guerre d’où notre rupture avec nos voisins.
Mis à part le commerce et la diplomatie peu de choses actuellement lient les pays de la Méditerranée ( Malte, Sicile, et la Tunisie) ; étant donné que les méditerranéens ont perdu leurs atouts puisqu’ils sont isolés l’un des autres.
Par exemple à Malte et jusqu’ aux années 80, il y avait une vague d’immigration vers d’autres pays ce qui a créé un détachement de la terre natale (en termes de traditions et culture).
La production théâtrale est pratiquement basée sur les enregistrements que j’ai digitalisés ; ces enregistrements sont ceux des anciens chanteurs des années 30 et tirés des archives de la radio autour de gens et anthropologistes qui portent sur le genre musical ‘Ghana’ et les traditions qui s’y rattachent.
A l’ère actuelle, nous avons hérité ici est le mot ‘El Kelma’ mais aussi une formule culturelle qui se caractérise par une alternance entre l’octosyllabe ( vers de 8 syllabes) et l’heptasyllabe (vers de è syllabes) pour en constituer la rime, c’est ce qui caractérise notre rime traditionnelle.
Si vous venez ici vous allez rencontrer des gens qui vous improviseront un exemple de rime et ils peuvent même converser de cette façon car nous avons cette facilité d’improvisation. A noter aussi que nous trouvons également en Tunisie cette capacité d’improvisation avec les mots qui est très contemporaine et nouvelle , où l’on trouve des jeunes d’aujourd’hui qui le font sous une forme semblable au Rap ou au Hip Hop.
D’une part, le ‘’Ghana’’ garde la trace de l’héritage culturel ainsi que du vécu tragique ( citons comme exemple l’immigration des Maltais vers l’Australie, l’Alexandrie, Tunis, New-York et le Canada) et des histoires d’amour qui se sont déroulées. D’une autre part, c’est un genre qui chante la beauté.
Par rapport à ma visite en Tunisie, je présenterai un projet que j’ai commencé l’année dernière quand Malte était la capitale européenne de culture où j’ai eu l’opportunité de travailler sur un projet qui s’appelle ‘Magna Zmien" qui veut dire la machine du temps. Ce projet a été amorcé en 2018 avec une action très simple où nous avons demandé aux publics d’apporter les collections de photos de leurs familles, des films avec une caméra Super 8 et des cassettes. Nous avons commencé à chercher, à collecter et à offrir aux gens cette possibilité ce qui nous a permis de mettre en place un studio de numérisation pour convertir 5 formats et on a offert aux publics, également, un service gratuit de numérisation.
Le Magna Zmien foundation est maintenant un projet co-national, qui fait référence au passé et nous donne accès à notre présent et nous aide à concevoir notre avenir.
Cette alternative est aussi importante par sa manière de raconter l’Histoire d’une manière différente et nouvelle.
Ce projet a réussi où dans la mesure où nous avons pu collecter quelques centaines d’heures d’enregistrements et de films ainsi que des milliers de photos et d’images.
Avant l’ère numérique, la diaspora maltaise devait faire des enregistrements où les familles se réunissent et font des enregistrements pendant plus d’une heure pour envoyer des messages à leurs proches pour rester en contact.
Y a-t-il un moyen d’écouter vos enregistrements ?
Oui. Les enregistrements sont disponibles en ligne : Spotify par exemple
Donc dans votre musique vous essayez de revisiter la musique folklorique maltaise. y a-t-il d’autres influences externes sur cette musique ?
Oui, certainement il y a en a. Nous avons utilisé beaucoup d’instruments comme celui de la canne de flûte appelé en Tunisie ‘Zommara’ et le ‘mezoued’. Ces derniers ont un son très particulier qui est utilisé à côté des sons de la guitare, oud et contrebasse, et chacun de nous essaye d’apporter sa propre touche pour aboutir à quelque chose de contemporain.
Musicalement nous avons fait de l’expérimentation sur plusieurs niveaux de sons, essayant de créer un genre pour rendre la musique plus intéressante aussi bien pour nous que pour les autres au cœur de la scène artistique locale.
Vos attentes du public tunisien ?
Je pense que La Tunisie et la Sicile sont tous les deux nos voisins les plus proches sur le plan culturel. Certes, nous parlons des langues différentes mais il y a beaucoup de similitudes dans la façon avec laquelle nous parlons. C’est dans ce cadre que nous collaborons avec la Sicile pour une tournée avec la production théâtrale et aussi avec le groupe ‘’etnika’’. J’estime qu’il serait formidable de venir en Tunisie et de jouer avec Etnika ou même dans le cadre Festival International ou également à Ennejma Ezzahra avec la production théâtrale.
Vous êtes pour l’idée d’une collaboration avec un artiste ou un groupe musical tunisien ?
Absolument, nous sommes très enchantés par cette idée et c’est ce qui nous a été proposé à Palerme.
Parmi les personnes qui m’ont invité à jouer le Ghana en Tunisie, est Hatem Bouriel qui s’est dit prêt à écrire un poème autour de quelques chansons pour une collaboration linguistique.
La Tunisie m’a toujours inspiré à travers ses artistes visuels, musiciens, ainsi que les gens du théâtre. De plus, il y a beaucoup de gens créatifs et talentueux qui font des choses formidables.
Pour écouter des morceaux sur le site-web de Filfla records : Cliquez ici
Pour regarder une vidéo de Etnika: Cliquez ici
Pour découvrir plus de videos de Magna Zmien : Cliquez ici
Rédaction et traduction : Oussema Ben Mahmoud
Interview accordée à : Oussema Ben Mahmoud & Abir El Fahem
Correctrice : Yasmine Bouanani