©Ahmed EZZEDINE

L’Instant M : De quoi est né Yuma?

Yuma : Yuma est né d’une rencontre entre deux personnes, Ramy et Sabrine, qui ont fait connaissance dans le contexte d’une collaboration avec Benjemy (projet électro-blues) dans le cadre du festival éphémère. De là, ce qu’on peut remarquer c’est qu’il y’avait beaucoup de complicité sur le plan musical. On partageait les mêmes goûts musicaux. On a décidé de se revoir puisqu’on avait évoqué l’éventualité de collaborer pour un projet musical. Ça a commencé par le concept de Mash-Up, à savoir soit la combinaison de plusieurs chansons dans un même titre ou une mixture orientale/occidentale. On a par la suite décidé spontanément d’une charte graphique pour nos vidéos, à savoir se tenir de profil dans un huit clos. On a choisi des titres qui nous tenaient à cœur et de là est née une vidéo, non pas de Yuma en tant qu’entité mais de deux individus ; Chupee Do et Ramy Z reprenant un classique de la musique pour le fun, vidéo qui a été postée sur le profil Facebook de Ramy et qui est devenue virale du jour au lendemain, avec 90 000 vues en 24h. C’est là qu’on a commencé de faire des Mash-Up en prenant en compte les suggestions des internautes, internautes qui étaient fidèles au rendez-vous chaque semaine. Après quelques Mash-Up, on a décidé de se lancer dans la création de nos propres compositions. De là est née la notion de Yuma, qui signifie d’ailleurs « alliés » en amérindien.

L’Instant M : Comment voyez-vous le métier de musicien ?

Yuma : Notre rencontre marque la rencontre de deux personnes amoureuses de la musique mais en continuelle agonie vis-à-vis de l’exercice de la dite musique en Tunisie. Trop souvent, on remarque que les aspirations mélomanes des jeunes se retrouvent limitées par les possibilités concrètes qui leur sont offertes. Il est en effet beaucoup plus facile d’endosser la casquette d’animateur de bar ou de salle de fêtes que celle de musicien, artiste créateur en soi. Nos aspirations personnelles quant à nous prennent place dans un contexte de contribution à la culture et pourquoi pas remaniement et (re)création d’une musique tunisienne inédite dans un cadre contemporain ou alternatif.

L’Instant M : Donc pour Yuma, faire de l’animation de bar est hors de question ?

Yuma : L’animation en soi est un métier à ne pas dénigrer. Nous-mêmes, après avoir uploadé notre 1^ère vidéo, avons reçu une proposition pour animer un restaurant, proposition que nous n’avons décliné qu’après mûre réflexion. Nous n’avons jamais eu cette idée en tête de refuser catégoriquement toute proposition. Nous n’avons pas de prétention underground. Tout le monde aspire à la reconnaissance de ses talents, mais en ce qui nous concerne, si nous devions atteindre un statut où nous sommes connus, nous préférerions que cela soit pour notre musique plutôt que par notre capacité à divertir les gens le temps d’un diner. Ce n’est pas l’empreinte que nous voulons laisser de Yuma. Ça ne veut pas dire que nous faisons de la musique pour la musique sans contrepartie. Il ne faut pas oublier que nous vivons de la musique et qu’en conséquent, nous avons trouvé un compromis entre création et métier. Nous montons sur scène dans les centres culturels tels que les salles de cinéma et les radios et cela se reflète par le public qui se présente à nos spectacles. D’après YouTube, 60 % de notre public se situe dans la tranche d’âge 14-25 ans, et en quelque sorte, la typologie de nos spectateurs dicte la direction de notre projet.

L’Instant M : Parlez-moi de l’identité musicale de Yuma :

Yuma : Notre style de musique nous reflète nous en tant qu’individus et reflète les influences musicales qui nous ont le plus marqué. Pour Chupee Do, on parle de trip-hop et de musique psychédélique, pour Ramy, c’est le rock/blues mélancolique. Notre musique donne donc cette aura spirituelle à la limite de l’atmosphérique.

L’Instant M : Pourquoi faire de la musique minimaliste ?

Chupee Do : Nous ne voyons pas vraiment l’utilité d’entasser les instruments et les pistes les uns sur les autres, rien que pour faire dans la sophistication. Nous préférons que chaque aspect de notre musique soit la continuation logique du précédent. Nous insistons sur ce concept de simplicité, qui encore une fois, nous fait écho en tant que personnes. Chaque note, chaque sonorité doit être naturelle. Nous ne faisons pas de remplissage parce que si notre musique était destinée à combler le silence, elle n’aurait pas lieu d’être du tout.

Ramy : Nous nous sommes mis d’accord dès le départ sur une musique spirituelle. On a essayé avec les moyens du bord et on a remarqué que ma guitare en tandem avec la voix de Sabrine et quelques interventions de la mienne donnent quelque chose de très appréciable. Sachant qu’on écrit les paroles de nos titres nous-mêmes, il y a cette émotion et ce feeling qu’on comprend parfaitement sans avoir besoin d’en parler et qui seraient difficiles à transmettre à d’autres. Il faut comprendre que le duo Yuma est intrinsèquement fusionnel et que c’est difficile de recréer notre alchimie musicale si on devait introduire une pléthore d’autres instruments.

©Ahmed EZZEDINE

L’Instant M : Peut-on parler de Yuma comme musique purement esthétique ou est ce qu’on peut parler d’un engagement envers une cause qui transcende la musique ?

Yuma : Quand on prend le temps d’apprécier les textes de musique d’aujourd’hui, on remarque qu’il y a deux écoles de pensée. Soit on fait dans la contestation politique en s’appuyant sur des textes issus de la poésie engagée, soit on surfe sur la vague Hip-Hop et Rap. En ce qui nous concerne, on a remarqué qu’aujourd’hui, nous sommes une génération de mal-aimés, de frustrés, à la limite hypocrites. On remarque un énorme effort inconscient pour voiler ses sentiments et paraitre fort. Nous avons autant besoin de contestation politique que d’amour et de passion. On pense que la musique de Yuma dit les choses telles qu’elles sont au moyen d’une expression d’amour sans concessions. En ce qui concerne notre second album, dont un extrait sera bientôt disponible à la distribution, nous traitons de divers sujets tels que la situation de la femme en Tunisie, voire du machisme. Donc Yuma, c’est effectivement une musique engagée mais qui prend un chemin différent de ce qu’on a tendance à associer traditionnellement avec l’engagement.

En tant qu’artistes indépendants, comment décririez-vous le volet production/promotion/vente de votre musique ?

Il est difficile de produire un album quand on fait partie de la scène indépendante. « Chura » a été enregistré dans des conditions difficiles, dans un temps record, et n’aurait certainement pas vu le jour sans l’aide inestimable de notre Ami Ahmed Galai qu’on remercie énormément pour nous avoir accueilli et enregistré sans contrepartie. Sinon, la production de l’album a reposé entièrement sur nos épaules, ce qui est concrètement un travail colossal, chose qui ne nous laisse que très peu de temps pour la création de la musique en soi. Mis à part le volet production en soi, nous avons également été amenés à négocier tous les détails  de nos spectacles par nous-mêmes. Il faut savoir que nous avons été invités à nous produire, entre autres, dans le contexte du festival SiccaJazz et du festival de Hammamet et que la négociation de notre cachet et tout ce qui fait partie du volet organisationnel nous est retombée sur les épaules, chose qui est vraiment épuisante. Nous avons finalement décidé de déléguer tout ce travail à une personne compétente et c’est désormais Meriem Zghidi qui s’occupe de l’aspect management de notre brand. Nous avons également signé avec une production basée en France sachant que nous avons insisté à préserver notre identité musicale que ce soit au niveau de la langue de nos interprétations que dans la direction de nos textes, et depuis, Hamdoullah (rires).

Où est ce que vous voyez Yuma à l’avenir ?

Il est important de savoir qui on est pour décider où l'on va. Nous participons à un mouvement de l’évolution de la musique tunisienne loin des catégorisations classiques qui font que le tunisien se doit d’être du Maalouf ou du Mezwed. Pour nous, la musique n’a pas d’ethnicité, ce qui fait que l’utilisation d’une guitare ne fait pas de nous une musique occidentale. Nous sommes donc dans la tendance de revitalisation de la musique tunisienne, sachant que c’est une tendance qui a été débutée par d’autres artistes tels qu’Amel Mathlouthi, Gultrah Sound System, Barbaroots… Aujourd’hui, il y a des groupes comme Mashrou’ Leila qui se produisent sur l’échelle internationale, qui sont devenus représentatifs de leur culture. C’est éventuellement le chemin que Yuma veut suivre. Au final, avec Yuma on espère surfer sur la vague du changement musical et du remaniement de l’identité artistique tunisienne car il ne faut pas oublier que le cycle de vie d’un artiste repose sur un éternel de travail de questionnement de soi et des alentours. On ne peut pas se permettre de stagner, ce qui induit logiquement une dynamique d’évolution continue.

Venez découvrir et apprécier Yuma Jeudi 13 avril à 19:00 au palais des congrès de Tunis.

Med Amine Sehli