Portraits d'artistes

Portrait de Selma CHEKILI : Quand la psychologie rencontre l'Art...

Dans cette interview exclusive, nous avons le plaisir de rencontrer Selma Chekili, une artiste aux multiples talents qui incarne la richesse de la culture tunisienne. Psychologue clinicienne de formation, Selma a su allier ses compétences en psychologie à sa passion pour la musique et le cinéma. Avec plus de vingt ans d'expérience en tant que musicienne, elle s'est notamment fait connaître sur la scène jazz et bossa nova, enregistrant son premier album « Jazz Standards » en 2008.

Son amour pour le cinéma l'a poussée à explorer ce domaine, où elle a fait ses débuts en tant qu'actrice et réalisatrice. Son premier court-métrage, « Un thé sans pignons», est le fruit d'un travail acharné et d'une profonde introspection. Selma est déterminée à poursuivre ses explorations artistiques, souhaitant continuer à créer des œuvres qui allient musique, psychologie et cinéma.

Parlez-nous de votre parcours. Comment votre formation en psychologie a-t-elle influencé votre approche de la musique et du cinéma ?

Je suis psychologue spécialisée en psychologie clinique et psychopathologie.

J'exerce depuis une quinzaine d'années.

Je suis également, musicienne professionnelle depuis une vingtaine d'années.

Je baigne dans la musique, particulièrement le jazz, depuis que je suis née. Mon père est musicien/compositeur de Jazz, et ma mère m'encourageait à me former à la musique, la danse et à toute activité artistique participant à l'éveil d'un enfant.

Enfant, j'ai bénéficié de formations au conservatoire national de Tunis, et de cours de piano dans le privé.

J'ai approché la scène très tôt, à l'âge de 7/8 ans y interprétant des standards tels que "But not for me" ou "Lullaby of Birdland".

Après mes études universitaires, j'ai décidé de me consacrer pleinement à la musique, et plus particulièrement le jazz. J’ai bénéficié d'une formation intensive, principalement avec mon père, et de l’expérience de la scène, ayant l’opportunité de me produire, sur la scène locale et parfois à l'étranger.

J'ai enregistré mon premier album "Jazz Standards" en 2008.

Parallèlement à ce parcours, j'ai pu réaliser un rêve, qui est celui d'approcher le monde du cinéma. Je me forme en acting, réalisation et écriture de scénario, depuis 4 ans, j'ai joué dans quelques court-métrages, et j'ai pu écrire, réaliser et produire mon propre court-métrage "Un thé Sans Pignons' en 2023.

Concernant l’apport de la psychologie dans mon approche de la musique et du cinéma, j'ai toujours considéré mon métier de psychologue clinicienne et de musicienne de manière dissociée.

En psychologie, il y a une méthodologie, des théories, un mode d'analyse, l'emploi d'outils bien spécifiques. En musique c'est également une approche méthodologique, technique, harmonique, mais qui est différente, et qui n'est pas influencée par mon approche de la psychologie.

En revanche, dans mon approche du cinéma, ma spécialisation en psychologie s'avère utile pour la cohérence de la construction d'un scénario ou encore la description des personnages. Ce n'est pas pour rien que les plus grands réalisateurs s’entourent de psychologues pour la réalisation de leurs films, et que les acteurs sollicitent les psychologues pour une meilleure compréhension des personnages qu'ils incarnent. C’est certainement le cas de Monsieur Scorsese concernant le" Shutter Island".

Vous avez commencé votre carrière musicale au conservatoire. Quelles compétences ou expériences clés avez-vous acquises pendant cette période qui vous ont aidé dans votre parcours artistique ?

Le conservatoire et les formations au piano m'ont aidé à acquérir les bases des connaissances théoriques : solfège, technique, rythme etc., et la rigueur également.

Mais c'est plus tard, lorsque j'ai repris la musique très sérieusement et grâce à mon père, que j'ai pu développer mon "oreille", une meilleure compréhension de l'harmonie jazz ainsi qu'une compréhension de codes en lien avec l'histoire et l'esprit de l'interprétation des standards.

 

Votre premier album « Jazz Standards » est sorti en 2008. Quelles leçons avez-vous tirées de cette expérience et comment avez-vous évolué depuis ?

Les leçons que j’en ai tiré, c’est que mon niveau d’exigence ne doit pas freiner l’action, parfois quand on est très exigeant, on a du mal à se dire « je vais enregistrer ». Ça ne sera jamais parfait, mais il faut le faire parce que ça marque une époque, et finalement avec du recul, je me dis que j’ai bien fait.

Ça m’a également appris que quand on saute le pas, on progresse inévitablement, et qu’il faut tout de suite enchainer avec d’autres projets.

Après l’enregistrement de l’album, nous avons poursuivi nos concerts notamment dans le cadre du projet en septet, de mon père Fawzi Chekili « The secret of Taqassim », un projet auquel j’ai adoré participer.

Entretemps en 2011, la situation politique, qui a bouleversé le pays n’a pas rendu la tâche facile aux musiciens durant plusieurs années. Rester motivé et maintenir le niveau était un challenge que nous nous efforcions de relever, en nous réunissant souvent pour répéter par exemple.


Vous avez fait le saut vers le cinéma en suivant des formations. Qu'est-ce qui vous a motivé à explorer cette passion et comment avez-vous trouvé votre place dans ce domaine ?

Le cinéma a toujours été une passion.

Ce qui me motive c’est vraiment l’amour du cinéma, l’amour des plateaux de tournage, même si ça peut être très fatigant. J’aime cette intensité !

Ce qui me motive c’est également les films que je regarde depuis toute petite. Il faut savoir que je suis capable de visionner le même film des centaines de fois, donc je fais le découpage, je connais les séquences, plan par plan, le choix de la musique etc.

Comment est-ce que j’ai trouvé ma place ? je suis de ceux qui pensent que tout le monde a sa place !

Je pense qu’il faut savoir s’entourer d’une bonne équipe, j’ai eu la chance d’avoir une super équipe autour de moi pour le court-métrage, impliqués et professionnels.

Je pense que ce qui compte c’est l’œuvre, et qu’au bout d’un moment c’est ton travail qui parle de lui-même.

Parlez-nous de votre expérience en tant qu'actrice dans le court métrage de 2021. Quels défis avez-vous rencontrés et comment les avez-vous surmontés ?

Mon expérience en tant qu’actrice en 2021, était dans le cadre d’un court-métrage d’un projet de fin d’étude d’une étudiante en cinéma. Je devais incarner le rôle d’une psychologue qui n’était pas très équilibrée...

Je venais de débuter mes cours d’acting, et c’était une sacrée expérience, parce que ça m’a permis d’acquérir davantage d’expérience sur le terrain. J’ai pris beaucoup de plaisir à incarner ce rôle.

Lorsque j’ai visionné le court-métrage, certains aspects de mon jeu m’ont plu, d’autres étaient à perfectionner.


Votre scénario « Un thé sans pignons » a été un projet de longue durée. Quelles ont été vos principales inspirations et défis lors de l'écriture et de la réalisation ?

L’écriture du scénario n’était pas très longue, ça m’a pris environ 1 an et ce qui me parait correct, parce que finalement ce que tu écris au départ, tu peux totalement le modifier au fil du travail d’écriture. Personnellement, j’ai vécu l’écriture du scénario comme quelque chose avec laquelle je fusionnais et donc, ça a activé en moi beaucoup de remise en question. Je fusionnais avec tous les personnages, je les voyais, je les ressentais, je les aimais, j’étais dans leur tête.

Mes principales inspirations sont mon vécu, certainement mes connaissances en psychologie, mais c’est aussi des évènements qui arrivent dans la vie, c’est le fait de regarder des films qui t’inspirent, et puis c’est surtout mon imaginaire, mon imagination qui est ma principale inspiration, les choses se forment sans qu’on sache comment, pourquoi et elles évoluent.

Un des défis de ce court-métrage, c’est que je n’ai pas choisi d’écrire une histoire autour de 3/ 4 personnages au total, nous étions 14 personnages, indépendamment du pré-générique dans lequel nous étions une dizaine je pense, et ce en 2 jours de tournage.

Je suis vraiment reconnaissante, d’avoir pu être entourée d’acteurs et d’une équipe technique impliquée et professionnelle.


Comment conciliez-vous vos différentes passions — la psychologie, la musique et le cinéma — dans votre vie quotidienne ?

C’est une question de priorité et d’organisation.

C’est en fonction de ce qui va se présenter sur le moment, je vais parfois prioriser un domaine au dépend d’un autre, et puis essayer de me rattraper ensuite.

Mais le mot d’ordre c’est de garder une constance, et de maintenir la passion à travers les formations et les rencontres notamment.

Quels sont vos projets futurs dans le domaine du cinéma et de la musique ? Y a-t-il des collaborations ou des thèmes particuliers que vous aimeriez explorer ?

Dans l’immédiat, j’aimerais enregistrer des compositions, pas uniquement les miennes, mais j’aimerais collaborer avec plusieurs musiciens, et que l’on immortalise cette période, parce qu’il y a des choses à faire.

J’aimerais accompagner ce projet, d’images, et de collaborer avec des artistes du monde de la danse et de la peinture.

Sur le plan cinématographique, j’ai un projet qui est très ambitieux. Pour l’instant, il est totalement morcelé dans ma tête, ça vient sous forme d’idées, ça s’impose à moi. Indépendamment de la réalisation et de l’écriture, j’aimerais être davantage dans l’acting, que l’on fasse appel à moi pour interpréter des rôles. C’est-à-dire que si l’on me demande aujourd’hui de me consacrer corps et âme pour un rôle, je le ferai.

Dites-nous-en quoi la culture en général est-elle importante dans notre société ?

« Et si la culture n’existait pas dans notre société, et dans le monde entier, qu’est-ce que cela donnerait ? »...
Je pense que la culture est une « nourriture » de l’esprit et de l’âme ; cela permet à un enfant, par exemple, de construire son identité, de découvrir ses dons, ses centres d’intérêts.

La culture est une forme d’exutoire, elle est accessible à tous.

C’est un moyen de s’occuper sainement.

La culture permet d’acquérir une rigueur, une méthodologie.

La culture permet de lutter contre l’étroitesse d’esprit.

Et puis il y a un aspect ludique, il y a une notion de plaisir, de partage et d’amour.

La culture c’est ce qui mène les gens vers le haut.

La culture c’est l’ouverture.

Je finirai sur cette citation de Voltaire dans Candide : « il faut cultiver son jardin » ...à méditer.


Découvrez son court-métrage "Un Thé sans pignons"


Crédits photos : Adib Samoud Photography