Radhi est un jeune violoniste né en 1992 au sein d’une famille de musiciens. Sa rencontre avec le guitariste-chanteur Daly Ghana était le début de sa carrière. Installé à Beyrouth, il enchaîne les concerts et se consacre entièrement à son art.
Vous avez débuté le violon à Bousalem, Pouvez-vous nous racontez vos souvenirs de cette époque ?
A Bousalem oui, je reconnais mes premières tentatives de griffer un violon. C’était inattendu et irréversible quand je rejoignais le club de musique fondé par mon père et où il enseignait...
Je passais à la maison de la culture qui abritait le club à l’époque, dans le but de passer le temps, de rejoindre mon papa et de passer du temps avec lui. Lorsque j’ai commencé pour la première fois à jouer et que j’ai eu un accrochage, un réel.
Ce qui a, petit à petit, fait de moi, à l’âge de 10 ans, un soliste pour l’orchestre régional de Jendouba sous la direction de Moncef Chaouali.
Quelle est votre source d’encouragement ? D’où venait la motivation à l’époque ?
La famille, en premier lieu, qui n’a pas manqué à m’encourager, moi, passionné en herbe. Je crois aussi que j’ai été chanceux d’avoir le cadre dont je disposais. A l’école même, les professeurs et mes camarades manifestaient un intérêt envers ma passion.
Je n’avais pas l’idée en tête d’en faire une carrière à l’époque, ni d’intégrer l’Institut de musique ... Je jouais pour faire plaisir aux autres, lorsque j’ai appris à en avoir.
Quelles ont été les expériences les plus marquantes de votre adolescence avec le violon ?
Je dirais que le premier groupe dont je faisais partie -il s’appelait Atheer et on faisait de la musique Métal-, a été pour moi une période marquante...
Je me rappelle, une fois, lors dans un concert, on était sur scène et j’ai enchaîné un solo en violon, qui un a fait la remontée en porte à faux des rythmes du Métal. Improvisées et brusques, mes sonorités étaient portées par l’effervescence du rythme mélangé à une teinte celtique.
À partir de ce jour-là, cette fusion m’est toujours intrigante, et elle sans doute n’a pas quitté mes notes. J’ai eu l’impression de franchir une véritable expérience sensorielle, surtout, lorsque ça a pu conquérir l’admiration du public.
Quels sont vos musiciens préférés à l’échelle mondiale ?
Je n’arriverai pas à cerner mes musiciens préférés malheureusement ! Je dirai que m’est chère au cœur toute musique ayant recours à son côté ethnique. Ce dernier, mélangé parfois avec des styles contemporains, du Jazz ou du Rock..., peut donner naissance à des compositions authentiquement revisitées. Sous cet angle, Tigran Hamasyan, est l’exemple de compositeur de Folk arménien avec du Jazz. Je n’oublierai pas aussi Aziza Mustafa Zadeh, dont l’œuvre musicale est un mélange entre les rythmes ethnique d’Azerbaïdjan et de Jazz azérie.
Pour moi, ils ont pu donner naissance à des compositions qui font proliférer le dessin hors-cadre, le rythme inhabituel. Non hétérogènes, délicatement improbables, des œuvres tout à leur jeu combinatoire.
Quelles sont vos références en Tunisie et dans le monde arabe ?
Je commencerai par nommer Dhafer Youssef, Ibrahim Maalouf et sans oublier Oum... Je considère que ces derniers représentent l’ethnicité qui se traduit autant par la musique Folk, que l’harmonie de fusion avec des styles contemporains, Jazz, soufi…
Cependant, je ne suis pas du côté de la nomination ‘musique arabe’, si on y ouvre la parenthèse je dirai que l’attribution de l’adjectif ‘arabe’ diminue fortement la diversité de la musique du nord de l’Afrique et du Moyen-orient. On ne peut pas se permettre de cerner, lorsque la carte musicale du monde arabe est vraiment trop diversifiée.
Vous avez participé au festival Clandestino. Un bon souvenir ?
C’était au sein du projet ‘Hiyawalaalam’, une tournée en Suède, en Allemagne et aux Etats-Unis y était organisée.
Hiyawalaalam est une collaboration entre un groupe de musiciens de Tunisie et de Palestine, et Olof Dreijer , fondateur du groupe pop électronique suédois ‘The Knife’. Le groupe a été dirigé par le compositeur et percussionniste Houwaida Hedfi, et a participé à divers endroits, y compris Clandestino, Festival de 2014, et Clandestino Botnik 2015, les deux festivals ont eu lieu en Suède.
Les instruments traditionnels de percussion d'Afrique du Nord comme les bendir, djembe et chkachek étaient au cœur de la musique qu’on faisait,
Et la plus grande similitude a été le processus d'écriture et l'accent mis sur le chevauchement des éléments électroniques et acoustiques.
On avait tous cette curiosité pour explorer la musique de différentes manières et d'essayer les choses de façon innovante.
De cette façon, Hiyawalaalam partageait la même philosophie expérimentale que le groupe ‘The Knife’, bien que la musique sonne de façon différente.
Eh oui, évidemment un bon souvenir, nous étions ravis de pouvoir participer à un festival de renommée mondiale, un festival de musiques alternatives, des genres révolutionnaires et originels.
Quel genre de musique écoutez-vous pour vous-même ?
J’écoute beaucoup de Jazz, du Celtique, du Folk de divers pays de monde. En gros et sans rebondissement, j’aime la musique ethnique revisitée.
Quelle est votre approche de la musique contemporaine ?
Je crois que, la danse -dans son sens physique aussi bien qu’esthétique- serait l’ultime objectif, sinon l’aboutissement par nécessité, d’une musique. Qu’un son provoque un mouvement, un geste, une action, ça doit avoir déjà affolé toute une surface émotionnelle.
Je crois cependant, qu’on témoigne d’une ère où l’objectif de la musique s’est dévié. Qu’on est à l’époque de surcharge des informations. On échappe sans cesse à une course avec le développement informatique. Cette densité dans la production aussi bien que dans la consommation ont fait de sorte que les arts, notamment la peinture, la photographie... ont perdu du sens, partiellement, mais en tout cas, je dirais que les arts, à l’époque contemporaine sont en crise. La musique en est un, en est peut-être la plus affectée.
La musique est l’art qui a carrément touché à la gratuité, l’abus et le nihilisme ; on circule dans la rue sans pouvoir s’empêcher d’écouter des genres différents, des styles de tout bord, on s’en imprègne en quelque sorte. Je voudrais dire que c’est un art divulgué, dont la protection n’a jamais été évidente.
Quand ce consensus actuel fait perdre au réel toute saillie, je me demande s’il ne vaut pas la peine de retourner à la source des représentations ? A quoi bon défendre des rythmes incompatibles, arrachés de leurs contextes ?
Je pense qu’un attachement identitaire s’impose à l’heure actuelle. Les identités sont inépuisables, infaillibles et présentes par l’acte naturel, dépassant toute limite de géographie, et parfois du temps.
Ce n’est pas que les clichés sont juste bons à être disséqués. Mais sans ce geste d’identification, la musique perdrait son tranchant authentique.
C’est comme dans la peinture, on a vécu la naissance de l’art abstrait suite à l’invention de la photographie, c’est dans le sens où on a plus besoin de refigurer à la main un paysage ou un portrait lorsque l’appareil, à l’aide de la lumière, pourra faire l’affaire.
Pour finir, j’ajouterai à mon sens que tout est pratiquement fait déjà. Comme lorsqu’on dispose de tous les ingrédients des cuisines du monde, mais que la fusion et les possibilités restent infinies.
Peut-on considérer la rencontre avec Daly Gana comme un nouveau détournant dans votre carrière de musicien ?
C’est une expérience très enrichissante, notre rencontre est née d’un mélange de nos deux univers respectifs, le Rock acoustique et le Celtique, une alchimie musicale particulièrement inédite.
Depuis notre rencontre, il y a beaucoup de complicité sur le plan musical. On partage des goûts musicaux proches, si ce n’est semblables. On s’accomplit amicalement et professionnellement, c’est pour ça que nous nous sommes rassemblés.
Ceci dit, nos aspirations, quant à nous, prennent place dans un contexte de contribution à la scène musicale contemporaine et, pourquoi pas, remaniement et (re)création d’une musique ethnique dans un cadre contemporain et alternatif.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
C’était lors d’un Jam session organisé dans une suite d'événements culturels sur la ville de Tunis...On a su se trouver sur des penchants similaires avec des talents tout aussi assoiffés et des oreilles cultivées.
Pourquoi vous êtes-vous installé à Beyrouth ?
Beyrouth c’est la night life, un concept propre à la capitale, dont beaucoup de clubs et des salles de spectacles jouissent...
On a eu la chance de pouvoir participer à des événements culturels, puis à des concerts. ‘La chance’, parce que Beyrouth est désormais une scène musicale internationale. Ce qui nous a permis de rôder notre live et d’avancer dans notre musique en présentant nos réalisations à un public nombreux et exigeant. On y ajoute l’exposition, le passage dans un intervalle fluide d’une scène à l’autre, l’éclatement médiatique mais essentiellement le croisement et le partage avec des musiciens du monde entier. On peut dire que c’est l’endroit idéal pour un musicien en développement.
Ajoutons à ceci l’existence des studios d’enregistrement, les conservatoires et les espaces de travail.
Que pensez-vous de la condition des musiciens en Tunisie ?
Je crois qu’on Tunisie, règne un monopole de création artistique, donc musical. Y manquent une collaboration, un travail en équipe, une considération collective du corps musical. Et comme dans tous les arts, si ce n’est pas dans la quasi-totalité des domaines, les conditions du marché conditionnent la qualité du produit artistique.
Je reproche néanmoins, le détournement des institutions face aux produits musicaux locaux, donc ethniques. On ressent souvent une négligence qui pourrait prendre fin juste à la présentation d’un acte de bénédiction étranger. Ceci dit une non confiance en ce que notre jeunesse pourrait produire en s’engageant.
Je regrette que divers talents tunisiens puissent passer inaperçus. Leur facture, faussement compliquée à l’économie des scènes qu’ils remontent. Ce qui développe un courant de migration considérable ces dernières années.
Ça n’empêche que ça demeure un terrain plutôt vierge, véritablement fertile, qu’il ne faut pas s’en détourner.
Quel sont vos projets ? Y aura-il des concerts en Tunisie prochainement ?
Je travaille pour le moment sur un projet de fusion musicale, du genre intercontinental, avec des musiciens d’origines diverses venant de cultures multiples du monde. Je peux aller jusqu’à dire le projet d’une grande fresque, comme un mariage entre le nord et le sud, qui ne laisse sûrement pas intact, mais qui intrigue.
Actuellement, je n’ai pas de programme pour des concerts en Tunisie. Une chose est sûre en tout cas, Je suis toujours ouvert à toute possibilité de faire de la musique en Tunisie, ça demeure pour moi comme déverrouiller une porte qui est la mienne.
Nous sommes également en train de donner naissance à nouveau album, dont nous avons achevé l’enregistrement de deux titres, et qui sortira bientôt sur les plateformes digitales.
Dhia Bousselmi