Portraits d'artistes

Omar Sediri : Instaurer une manière d’être

© Omar SEDIRI

Quand a commencé pour vous l’appétit pour l’électro ?

Ça a commencé quand j'étais beaucoup plus jeune, ma première soirée en 2008, à la Marsa, organisée par la Maison de jeunes. Ensuite, premier CD marquant, celui de Dj Tiesto (2004) avec ses mélodies transe. Pour chaque début, il y a toujours un compagnon, c’était mon ami Elyes ben Mrad, ensuite chacun chez soi, mais quand on a trouvé qu'on avait la même passion, on a improvisé et aménagéun studio chez lui. On a économisé un peu pour acheter du matériel, je me rappelle bien de la table de mixage numarkdjx 750. Progressivement, je mixais des soirées entre amis, la passion a grandi, mais je suis resté un peu dans ma coquille, je ne me montrais pas trop comme d'autres amis, je peux citer Zoux par exemple. Au final, le vrai déclenchement c'était la Fête de la musique 2008.

Comment  avez- vous évolué vers la direction artistique ?

Durant  mes études, un soir, après une longue nuit de travail, un ami est venu m'annoncer l'accord avec le Background Club à Gammarth pour organiser une soirée qui s'est bien passée, le gérant nous a fidélisé et m'a conseillé de m'ouvrir vers un public que je ne connaissais pas, et c'est devenu  régulier.   Puisque l'appétit vient en mangeant, je commençais à donner mon avis sur les choix artistiques, bref un petit directeur artistique, jusqu'à l'ouverture du Shooter en 2013-2014. Par ailleurs, ça aussi bien marché avec un autre team, la différence entre les deux espaces est que le premier était petit et encombré : 200 à 300 personnes max, le Shooter c'est  800  et là, la passion s'est transformée en amour charnel. Le surnombre, la foule dense me permet d’exprimer réellement ce que je ressens dans mes mix. Je ne dois pas oublier de citer mon ami de longue date Khalil, avec qui j'échangeais mes interventions entre le Background et le Shooter. On a constitué progressivement un groupe de 4, 6 personnes. Il y avait des événements qui s'organisaient un peu partout, et on avait envie de prendre notre part du gâteau mais suivant un autre objectif, celui de sortir du format « soirée bar » pour construire vraiment un événement, ce qui nous a paru très différent dans le concept ;  l'événement est fait pour la musique, la lumière, les effets, ce n'est pas le cas des soirées habituelles dans un bar.

Quel est ton point de vue sur le marché local des événements électro?

Pour paraître sur une scène respectable, on risque de redevenir un dj RP qui garantit la rentabilité de la soirée, parce qu’engager un dj pour ses courants musicaux c'est encore rare, de là est venu l'idée de créer un  collectif pour tenter de faire réussir notre démarche. Avant Sekay audio, on l'a intitulé collectif Handmade. L'espace qui nous accueilli était encore le Shooter, on a commencé à être connu là-bas, on s'est dit on va commencer là-bas et après on va lancer notre tournée. La première était un succès, on a eu 1200 personnes, deuxième au Background Club, et après au Phoenix de Carthage (2015).

Premier défi « musical »?

Pour ce dernier espace, l'organisateur nous a proposé d'inviter un dj étranger, on a voté pour en choisir un, mais malheureusement il n'a pas pu venir (DJ Bill Patrick). On devait assurer seuls le jour j,  tout en sachant qu'une grande partie du public vient pour l'invité, donc j'avais la responsabilité de remplacer cet invité avec DJ Znaidi (connu pour ses warmup au Calypso). On a réussi le pari, j'ai pu défendre mon collectif avec un set d'une bonne qualité, après on a eu la chance d'organiser le Ellum Showcase,  le label de Maceo Plex, un artiste international d'une grande notoriété. On a organisé un événement avec les artistes de son label, au Calypso à Hammamet, avec Danny Daze, Gardens of god, Fiberroot, Shall Ocin, DJ  Ricen. L'idée c'était d'investir autrement l'espace intérieur du Calypso, sans tables, vider l'espace, ne laisser que la scène, la sonorisation et la foule. On en est sorti avec deux conclusions : premièrement, on n'est pas différents des autres, ce qu'on fait se faisait partout, et deuxièmement, en Tunisie on voyait apparaître une nouvelle forme de clubbing, un clubbing où la musique n'est pas fondamentale, l'attitude sur la piste de danse est un peu négative, d'où l'idée d'entamer un autre projet.

Sur quoi se fonde ce nouveau projet, le collectif Sekay audio?

On devait démarrer une nouvelle réflexion, l'idée est de faire connaître des artistes inconnus en Tunisie, et l'accès devient plus ciblé, voire nominatif. Avec un autre réseau d'amis, on a fondé Sekay audio, avec l'idée de rendre le public plus mature et plus focalisé sur la musique. Bref un projet musical tourné vers un savoir-vivre « électro ». De plus, il nous a  paru essentiel d’apporter un peu de convivialité à la tendance électro.

Sekay audio est plutôt une "tournée de concert" et non un collectif.  Après un brainstorming, on a transformé Sekai (qui signifie « univers » en japonais), en Sekay, pour dire que la philosophie et la musique électro convergent parfois, d'où le choix de cette appellation. Première soirée choc, au Moods (Gammarth), avec Orientalis (un set exceptionnel), Speaking Minds, Gardens of god et The Drifter, le résultat était phénoménal, le projet a atteint un niveau très satisfaisant, il faut dire aussi qu'on a transformé l'espace par une gestion efficace de sa surface et son orientation, on a facilité la convivialité. On a vraiment vu le pouvoir unificateur de la musique. On a finalement donné corps à notre projet.

©Omar SEDIRI / Younès BEN SLIMANE

Mais là, comment rebondir?

Après cette réussite, on a lancé le « 2ème chapitre », en restant sur la même idée : la musique pour la musique dans un univers convivial. Musicalement, c'était réussi aussi, on a compris que là on tenait une forme de "ligne éditoriale", on a vu qu'on avait une suite dans les idées. On a gagné un booking intéressant avec Maeve Showcase : Mano le Tough, The Drifter (2ème fois) et Baikal. C'est  le troisième chapitre de notre "livre" encore ouvert, on a vu qu'on avait des followers, on voulait les satisfaire encore plus.

Quelle musique à offrir à  tes « followers » ?

On n'a pas un style précis. On navigue dans le deepethnic, latino, africain, indou, russe, etc. On s'inscrit dans « l'Electronica », la down tempo dans les 90-110 bpm environ. On part de la Deepethnic vers la techno, en passant par la house, deephouse, bref, une plage ouverte, chaque chapitre son histoire. On ne se fixe pas pour ne pas se réduire, et l'espace y est pour beaucoup. Personnellement je choisis et je mixe en fonction de mon humeur, sans me restreindre à un style. La prise de risque nous laisse plus vivant. J’ai eu beaucoup de longues discussions avec des amis dj tunisiens et étrangers sur le fait de préparer ou non une playlist, ça m'arrive de faire les deux, mais si j'ai le choix je prépare, et je modifie légèrement le jour j en fonction de l'atmosphère et du public.

Quel est ton avis sur la propagation de la musique électro en Tunisie, et tunisienne à l’étranger?

Le produit tunisien a du mal à s'exporter, et à produire d'excellents tracks. Premièrement le matériel de bonne qualité est très cher pour équiper un studio, sans rappeler le mastering et pré-mastering. Le rap tunisien fait actuellement son chemin, je pense que la musique électro peut également évoluer. Personnellement je suis resté 5 ans sur le même logiciel, pour maîtriser la technique sonore. A l'étranger, le produit tunisien commence à se propager, mais il faut se rassembler, parce qu'on est éparpillés. Ça fait 10-12 ans que je suis dans la musique électro, on est un peu individualiste, ça nécessite un peu d'altruisme. On est tous affectés  par l'image du pays à l'étranger, donc on commence à se rassembler, comme Hearthug qui a percé à l’étranger. On participe un peu pour redorer l'image de la Tunisie par le tourisme événementiel.

© Omar SEDIRI

Quel est l’impression de vos Dj invités ?

Tous émus par le public tunisien, ils me disent que le public ne les filme pas bêtement comme à l'étranger, ils sont là pour la musique.

Quel est ton prochain projet ?

Organiser le premier anniversaire de Sekay, mais personne n'est disponible, peut-être pour le mois d’août ou de septembre, on verra. On prépare Sekay 2.0 après cette première année, avec une deuxième version du concept initial, on veut corriger les erreurs du passé. J’ambitionne de faire de la prod, à long terme, j'y travaille chez moi.

Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

Dj Galt, un régal. Sonorité très spatiale. Je voyage en l’écoutant.

Mohsen Ben hadj salem