©Emna Messai
Immersion dans l’univers particulier d’Emna Messai, illustratrice fascinée par l'étrangeté, mêlant sans concession le surréalisme et le comic art dans ses dessins
en noir et blanc.
Tout a commencé sur une moquette bleue sous une énorme table de réunion un coca à la main et entourée de plus d'une vingtaine d'album d'Astérix et de
Tintin. Mon père m’emmenait avec lui au siège d’une O.N.G j’y passais des heures à feuilleter ces gros albums chaque samedi j'avais à peine 3 ans… C'était là
mon premier contact avec la BD et l'illustration.
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En général, y avait les animés aussi mais un album bd avec sa couverture lisse en carton c'était pour moi comme un emballage cadeau ...je suis restée dans
cette attitude de fan d'illustration un peu trop longtemps ...j'avais peur de dessiner, de me lancer, de me tromper, de ne pas être assez douée.
Il m'a fallu passer par une crise d'adolescence pour enfin me laisser prendre au jeu ! J’étais définitivement introvertie et gothique pendant une bonne période de
ma vie !
©Emna Messai
Inspirée par l'obscur et attirée par le morbide et le bizarre ...c'est là où j'ai découvert Hokusai le maître peintre graveur et dessinateur japonais que j'ai connu
avec ses illustrations érotiques et sa fameuse vague. Puis Luis Royo et ses dessins de dystopie coincé entre un futur robotique effrayant et un passé médiéval
monstrueux.
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J’admirais aussi énormément Victoria Frances qui dessine le vampirisme dans un cadre victorien très obscur, sans oublier Milo Manara le
grand bédéiste de l'érotisme et Beksinski avec le surréalisme noir apocalyptique plein de créatures bizarres, de cranes et de squelettes ....et ce brouillard
dominant. Ces artistes illustrateurs ont été déterminants pour la recherche d’un style et d’un graphisme qui m’attire et me corresponde. Ils ont aidé à la
construction de mon identité artistique.
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Cette construction a été laborieuse, j'ai fait de nombreux essais dont je ne suis pas forcément fière, je me suis aussi essayé à la peinture, à dessiner sur les
murs de ma chambre, à faire des caricatures des profs et autres emblèmes d'autorité … puis est venue la phase école d'architecture où j'ai appris les
techniques du dessin, la perspective et où j'ai rencontré des gens qui m'ont inspirée et qui m'ont initiée véritablement aux secrets et astuces de l’illustration.
©Emna Messai
Tout au long de cette période, je ne sentais pas une envie particulière de m'exprimer via le dessin, ce n'était pas personnel et c'était surtout angoissant de faire
du n'importe quoi… mon style de croquis était fortement inspiré des mangas et des comics, je ne ressentais pas un besoin de me rapprocher de la réalité mais
plutôt de me rapprocher des dessins et de l’univers de Myazaki ou d'Oscar Neimeyer.
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Puis, j’ai découvert Audrey Kawasaki… la finesse de son trait m'a complètement anéantie, ça m'a fait réfléchir à ce que je voulais vraiment faire, elle m'a
choquée car elle avait presque mon âge et elle dessinait comme mes idoles pas par rapport au style mais par rapport à la maturité et la maitrise.
2012 est l'année où j'ai décidé de véritablement montrer ce que je faisais via un échantillon dans le cadre d'un examen d'art plastique à la faculté et ce fut pour
moi une consécration.
©Emna Messai©Emna Messai
Tout le monde a aimé mes illustrations et en dessinant, je n'ai pas senti la moindre fatigue. Les heures passées à créer me semblaient
comme des minutes de pur plaisir. C'est à ce moment que j'ai su que c’est que je voulais faire. J'ai donc continué à illustrer dans mon coin et à poster sur les
réseaux sociaux jusqu'a ce que j'attire en 2015 l'attention des organisateurs de Wow woman on walls, un festival de graffiti égyptien.
©Emna Messai
Ils m’ont donné la chance de peindre un mur sur la fameuse rue Mohammad Mahmoud qui donne sur la célèbre place Tahrir.
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Après cette participation, les choses se sont encharnées avec ma participation à la deuxième édition du festival d’art féministe Chouftouhonna à Tunis, après
quoi j'ai eu l'occasion d'exposer certaines de mes œuvres dans une galerie à Berlin une première fois dans le cadre de Draw an raw, une expo collective qui a
duré tout au long des mois d’octobre et novembre 2016 puis une deuxième fois en mars 2017 à la Young Artist Exhibition aussi à Berlin. Puis, en septembre
dernier, j’ai participé une seconde fois à Chouftouhonna.
©Emna Messai
Ces participations à des événements et expositions artistiques m’ont permis de connaitre des personnes très intéressantes, de voir ce que je fais d'un autre
angle et de comprendre que mis à part la maitrise de la technique ce qui fait l'œuvre c'est son honnêteté et son originalité.
©Emna Messai
Mon vécu est l'ingrédient essentiel pour que je puisse dessiner. J'ai des images qui jaillissent, des sortes de métaphore qui expriment des choses pour moi, je
les dessine alors au crayon puis je les refais à l'encre ou au feutre ou les deux. J'adore le contraste entre le noir et blanc ...je pense qu'on peut tout exprimer
avec du noir et blanc et si on se sent limité c'est juste parce qu'on n’y arrive pas et qu’il y a surement un moyen qu’on n’a pas encore découvert ... Il m'arrive
toutefois d'utiliser la couleur essentiellement du rouge ou des couleurs primaires mais pour mettre l'accent sur quelque chose ...
©Emna Messai
Mes œuvres reflètent mes émotions, mon univers, j'essaye de simplifier le plus possible et d'accéder à une certaine élégance du trait, j'aime quand c'est net et
expressif ! je suppose que mes œuvres se situent entre le surréalisme, le croquis, la BD, les mangas, la vanité... je n'aime pas le réalisme, m'approcher le plus
de la vérité des choses ne m'intéresse pas, par contre m'approcher le plus de ce qui se passe dans ma tête en le traduisant avec toutes les influences que j'ai
de Hokusai à Mucha de Katsuya Terada à James Jean de Myazaki à Moebius, c'est ce qui me donne la force de ne jamais laisser tomber !
©Emna Messai
En ce moment je travaille sur une expo personnelle et je peaufine mon album de bande dessinée que j'ai mis deux ans à faire. L'illustration, je ne l'ai pas
vraiment choisie, elle m'est tombée dessus dans un processus de sublimation ... C’est un medium sur lequel je transcris mon vécu et mes expériences. Je ne
peux pas vivre sans. C'est mon échappatoire et ma façon d'exorciser les idées noires et de célébrer les belles choses qui m’entourent.
Hella Nouri