Nous nous sommes entretenus avec 'Rifeh Gharsellaoui', l'artiste peintre qui donne libre cours à sa démarche créative, discrète, voire introvertie, l'artiste a transformé sa petite voix intérieure en énergie créatrice, sa vie et sa son talent ne faisant plus qu'un..
Au cours d'une interview exclusive accordée à notre équipe, elle retrace pour vous, lecteurs, quelques-unes des étapes de son parcours d'artiste. Elle nous confie également le secret de l'authenticité de ses tableaux et nous présente son actualité pour l'année à venir et finit par vous prodiguer des conseils.
Rencontre avec une artiste passionnée qui sait puiser dans la richesse de l'univers pour dialoguer avec la sensibilité du spectateur, l'occasion de découvrir un peu plus son univers, ses influences et sa manière de travailler..
Qui est Rifeh Gharsellaoui ? D'où vous vient votre vocation et quelle est votre formation ?
A 36 ans, je travaille pour l'ILO. Je n'ai pas fait d'études dans les beaux-arts. Je n'appréciais pas qu'on limite mon art dans un sens pédagogique. En effet, je ne souhaite pas peindre de façon trop 'académique' et je privilégie la liberté d'une création un peu instinctive.
J'ai donc fait des études commerciales à l'ESC de Mannouba. Ensuite, J'ai été dans plusieurs domaines : le développement, le pétrolier.. J'adore mon travail mais la peinture, pour moi, c'est vital. Depuis toute petite, j'aimais peindre et j'ai développé mon talent au fil des années. A ce propos, j'ai peint mon premier tableau à 4 ans.
Comment définiriez-vous votre art et votre façon de travailler ?
Je n'ai jamais défini ma façon de travailler, les gens l'appellent miniature, surréalisme... Mais moi, quand je dessine, je n'aime pas me catégoriser.
Pour moi, il est impératif de projeter une sensation ressentie à un moment sur une toile sans pour autant mettre une étiquette dessus mais surtout ce qui est encore plus important, c'est d'immortaliser le moment.
Quant à l'art, je le définis comme une expression de la pensée, un dialogue intérieur vers l'extérieur..
Sur toutes vos œuvres, on remarque que le sujet principal tournait autour des mêmes silhouettes : Des petits personnages sans visages.. D'où vient cet amour pour ces personnages ?
Je dessinais pratiquement des choses typiques jusqu'à ce qu'à un moment, il y a eu une personne que je voulais voir à tout prix. J'avais 19 ans. A l'époque, il n'y avait pas autant de moyens de communication. Du coup, je n'ai pas pu voir cette personne que je ne connaissais même pas physiquement. Il fallait absolument que j'extériorise ce que je ressentais. J'ai donc dessiné deux personnes séparées sans visages. Pour moi, si je leur mettais des traits, je les personnifiais. Et depuis, chaque forme fait ressortir une inspiration. Et chaque assemblage obéit à une conception bien précise, même si mes personnages se ressemblent, chacun a son histoire.
Je dessine mes personnages en m'y projetant mais aussi en espérant que les gens s'y reconnaissent. Si mes personnages paraissent si fins c'est parce que je trouve que les âmes sont tellement fragiles et sensibles.
Parlez-nous de votre première exposition !
Je la voulais tellement mais je trouvais que mes tableaux étaient quelque chose de très personnel et intime vu que c'était inspiré de mes états d'âme mais j'avais quand même l'impression que j'avais quelque chose à montrer. Jamais, je n'aurais cru que les gens apprécieraient mon art.
A ce moment de ma vie, j'avais le choix entre m'investir plus dans une recherche approfondie d'emplois ou me préparer pour l'exposition. Je suis donc partie demander conseil auprès de mon père ;
J'ai l'impression de me réfugier sous un préau, il pleut des cordes et pas loin, je vois un paysage printanier. C'était soi je me tenais où j'étais soit je prenais le risque et partais en courant vers le beau temps. Lui dirais-je.
Il me répondit par une citation célèbre d'Abu Kacem el Chebbi : 'Ceux qui n'aiment pas la montée des montagnes vivent pour toujours sous les fosses..'
De nature discrète, il fallait absolument que je sorte de ma zone de confort.. et c'est ce que j'ai fait !
Votre meilleur souvenir avec la peinture ?
En rentrant après une exposition où j'avais présenté des tableaux miniatures de 20cm, on m'a trainée à un vernissage. J'y suis donc partie ; Une femme a pointé du doigt mon sac en me demandant si c'était bien des tableaux, j'ai donc répondu que c'était le cas. Elle m'a demandée gentiment si elle pouvait les voir, j'ai tout de suite accepté. Il lui a fallu 2 secondes pour me dire : Ahh.. c'est du Rifeh ça... Rien qu'avec le style, je reconnais sa signature.
Et bien, je ne vous raconte pas l'exaltation que j'ai ressenti à ce moment..
Quels thèmes explorez-vous ?
Avant, les tableaux représentaient mon vécu jusqu'à ce qu'en 2015 qu'un thème bien particulier m'ait inspiré.
'Kelila wa Demna' ; C'est un thème sur lequel je travaille depuis un bon bout de temps. Ça m'a carrément pris 2 ans de travail acharné et 8 mois de recherche.. l'exposition sera prévue pour l'automne 2018.
Le concept ici est d'habiller mes petites créatures par l'histoire marquante de Kelila wa Demna. C'est semblable à une pièce de théâtre.
Ce n'est pas des illustrations, c'est tout simplement des sensations que j'ai ressenti en lisant et que j'ai reproduit à ma manière.
J'en ai jamais parlé mais si je le fais maintenant, c'est pour que les gens sachent sur quoi je travaille.
Quels sont vos centres d'intérêt dans la vie ? Vous intéressez-vous à d'autres formes artistiques et à d'autres formes de culture ?
J'aime le camping, la danse, le cinéma...
Votre œuvre d'art favorite ?
C'est le tabou de l'enfant préféré. Nous dit-elle. Comment aimer son propre enfant au dépend d'un autre ?
Votre atelier ?
La cuisine de ma mère, j'y travaille la nuit parce que j'aime le calme même si je mets ma musique et je me laisse emporter.
Votre rêve ?
Vivre de mon art !
Une anecdote qui vous a marquée à nous raconter ?
Quand j'étais petite, ma mère me fabriquait quelquefois un pinceau avec un bout de ses propres cheveux. « Ça t'aidera à mieux dessiner » disait-elle. Quant à mon père, il était la première personne à me critiquer, il me corrigeait et m'encourageait tout le temps. Tous les deux aimaient dessiner, faut croire qu'ils m'ont transmis le don.
Dans vos œuvres, qui mène le jeu, la raison ou le sentiment ?
La raison intervient dans la mesure où je fais beaucoup de recherches pour aboutir à une idée complète mais comme je l'ai dit, mes petites créatures sont le reflet de ma personnalité.
L'art en Tunisie ?
Bien qu'on ait des talents incroyables, on manque encore d'ouverture d'esprit dans la mesure où dans les galeries, on refuse des fois les œuvres qui ne sont pas typiques.. On cherche souvent ce qui commercial, vendable.. Un tableau peut demander un travail de plusieurs mois et quand il s'agit d'exposer son travail, on fait face à un dilemme.. C'est décourageant voir même déprimant pour un artiste...
Et l'inspiration alors, vous en pensez quoi ?
Je réalise qu'à chaque fois, je créé quelque chose de nouveau et ça me flatte. Un tableau construit sous mes yeux me procure un sentiment de découverte et parfois de surprise, ce qui participe beaucoup au plaisir. Je tombe quotidiennement amoureuse de mes tableaux et de moi-même carrément.
Quand je dessine, j'ai l'impression que le monde m'appartient. Ça m'arrive aussi de ne pas dormir le soir pour arriver à finir.. si ce n'est pas de la passion ça..
Mais au fil des années, j'ai changé de vision. Avant, j'attendais l'inspiration mais l'expérience m'a apprise que la peinture était synonyme de patience et de discipline. Je n'attends donc plus d'être inspirée mais je commence à dessiner et l'inspiration vient à moi !
Quels sont les matériaux que vous utilisez pour réaliser vos tableaux ?
La peinture à l'huile surtout. J'ai aussi essayé l'acrylique mais ça ne m'a pas parlé. Je me suis aussi intéressée à l'aquarelle dernièrement..
Et un dernier conseil pour les personnes intéressées par ce métier..
Une volonté de fer est essentielle. Chacun a son style, faut travailler le don, ne pas l'ignorer. Il ne faut jamais attendre le moment parfait pour commencer parce que ça n'existe pas ; il faut commencer et chaque moment sera parfait.
Crédits photos : Rifeh Gharsellaoui
Souhé Jelassi