Portraits d'artistes

Entretien avec Bader Klidi, faiseur de rêves

Imaginez-vous devant une lourde porte en bois massif recouverte d’obscurs symboles qui semblent être gravés depuis des millénaires. Une énergie inquiétante émane de ces écritures mystérieuses, un son guttural semble vous parvenir d’un lointain passé et l’odeur d’un au-delà qui dépasse votre entendement emplit vos narines…  Cela ne vous empêchera pas de poser les mains sur le bois ancestral et de vous laisser happer par une aura cabalistique qui vous entraînera dans un autre temps, là où votre humanité révèlera son essence la plus sauvage. C’est l’univers de Bader Klidi, un jeune artiste mi-corbeau mi-humain qui semble tout droit sorti d’une époque indéfinie, gothique et surréaliste, sombre et carnassière,  absurde et chimérique. 

BK, ton art regorge d’éléments ésotériques qui semblent à la fois inquiétants et envoûtants.  Inventes-tu tous ces symboles ? Comment te vient l’inspiration de tous ces éléments ? Pourquoi éprouves-tu le besoin de nous guider avec des « métaphores » dans chacune de tes œuvres ?

Ma vision du monde se développe chaque jour en fonction de mon développement personnel, de ce que je lis et tout ce que j’apprends, cela va sûrement être retracé dans mes œuvres, et par conséquent projeté au public.

Les premiers artistes étaient des chamans, ils pratiquaient leur discipline et traditions pour se connecter à des dimensions qui dépassent leurs limitations physiques. J’aurais d’ailleurs tendance à penser que nous, en tant qu’êtres multidimensionnels, à la fois spirituelle et physique, nous faisons partie de la même conscience, de la même entité, d’une seule essence.

A partir de cette optique, l’art a forcément une dimension spirituelle et bien évidement physique, puisqu’il est le produit de l’humain, J’ai choisi donc d’aller plus profondément dans ce discours, en cherchant des réponses à mes questions et en développant mon art que je considère comme méditation.

Couverture d'album du groupe "Myrath: Tales of the sands" Photomontage

En faisant mes recherches surtout par rapport aux traditions et civilisations anciennes, je me suis persuadé que toutes les spiritualités, mysticismes et religions ont le même noyau; les mêmes messages. Ces derniers ont tendance à présenter des métaphores et des images symboliques afin de communiquer des messages transcendantaux, c’est à mon avis la meilleure solution de parler du monde immatériel mais aussi de représenter les idées qui s’inscrivent dans ce cadre.

J’utilise la couleur comme symbole aussi; par exemple le bleu, que j’utilise fréquemment, est pour moi la traduction visuelle de l’inclusivité totale. Tout ce qui est vaste, profond et au-delà de notre perception tend généralement à être bleu, que ce soit l'océan ou le ciel…

J’aimerais bien souligner sur ce point que certaines divinités hindoues sont représentées en bleu aussi.

Les symboles que je conçois sont souvent inspirés de la tradition amazigh, et comme tous les artistes influencés par l’environnement d’où ils viennent, je m’inspire pour une grande part de mon art du patrimoine ancestral tunisien, souvent mal exploité.

Il y a tellement des sources d’inspiration, seulement dans la culture berbère et amazigh.


Layered Apples, Technique mixte 39/54 cm

Leurs symboles, tatouages et graphismes ont une connotation positive, cela me donne un point de départ convainquant pour arriver à faire un dépassement de ces symboles et finir avec un graphisme propre à moi.

Je m’inspire également de la calligraphie arabe, et avec le même principe j’essaye de faire quelque chose qui me représente; je ne fais presque jamais de calligraphie arabe en respectant les notions traditionnelles de cet art. Je cherche toujours l’originalité.

Ta technique est surprenante de précisions et de détails, tu maîtrise parfaitement le dessin académique et tu arrives à l’utiliser pour des scènes fantasmagoriques ! Parle-nous de ton parcours artistique, de ton apprentissage, des différentes phases de ton art, des outils que tu utilises…

J’ai grandi à Béja et j’avais depuis mon enfance un goût très prononcé pour les formes et les couleurs. J’avais l’habitude de dessiner et de fabriquer mes propres jouets, je faisais aussi quelques cadeaux (jusqu’à maintenant d’ailleurs) aux personnes qui sont proches à mon cœur.

Après avoir eu mon bac, j'ai choisi  de m'impliquer dans le monde de l’art, j’ai donc choisi  l'Institut Supérieur des Arts et Métiers de Kairouan (ISAMK), j'ai passé un an dans ce dernier, puis j’ai voulu continuer mes études à l'Ecole Supérieure des Sciences et Technologies du Design de Tunis (ESSTED). Ma formation en ISAMK était plastique par excellence, comparée à celle de l'ESSTED, mais les 5 années qui l’ont suivie (à l’ESSTED) étaient un vrai challenge pour moi, une porte sur le monde du design et des outils d'expression numériques.

C’était une transition des outils traditionnels vers les outils numériques. Je développais alors mes « techniques digitales » pour arriver à faire, après quelques années, une série de photomontages, et depuis je m’accroche à ces nouvelles formes artistiques.

Depuis 2011, j’ai participé à plusieurs expositions collectives telles que :

- l’exposition “La Crisi”, organisée par l’association “Il Quadrato Modigilianese” et “Efesto Gallery” en avril 2013, Modigiliagna -Italie

- Participation à la Biennale de Tunis d’Art Arabe Contemporain, organisée par l’Union des Artistes Plasticiens Tunisiens, 11-31 décembre 2013, Tunis-Tunisie

- Participation au Mois National des Arts Plastiques, organisé  par l’Union des Artistes Plasticiens Tunisiens, 12-30 mars 2014, Tunis, Tunisie

- Participation au Salon d’Automne International, 16-31 mai 2014, Tunis, Tunisie

- Participation au Salon National des Jeunes Plasticiens, organisé  par l’Union des Artistes Plasticiens tunisiens et l’Institut Supérieur des Beaux-arts de Tunis, 16 -30 juin 2014

- Participation à "Imago Mundi: Tunisie Turbulences" collection et série d’expositions

organisée par la fondation Benetton, 2014-2016, Rome, Vienne, Venise, New York.

- Participation au Salon Des Arts Plastiques « Alchemical Flower », organisé par la  Fédération Tunisienne Des Arts Plastiques (FTAP), février 2015,Tunis.

Certaines de mes œuvres font partie de quelques collections, telles que  la collection du Ministère de la Culture de la Tunisie, le musée Carthage Epic et la collection d'œuvres commandées et recueillies par Luciano Benetton « Imago Mundi ».

J’ai été aussi sélectionné pour une résidence artistique offerte par « The Art Students League Of New York’s residency program » pendant le mois de mars 2015 à New York.

A Lunar Cycle, Huile sur Toile 20/30 cm

Concernant mon sens du détail et ma maîtrise du dessin académique, je dirais que j’aime depuis toujours prendre le temps nécessaire à compléter mon œuvre, jusqu'à ce que je sois satisfait du résultat. Cela a mené spontanément à des résultats détaillés. Il faudrait aussi avouer que je suis très influencé par la peinture classique.

Comment se déroule la genèse de ton œuvre ? Décris-nous ton processus de création. As-tu des références ou des choses bien définies qui te donnent les idées ?

Mes idées sont nourries par mon quotidien, les expériences que je vie et les recherches que je fais pour mon propre développement personnel qui mène systématiquement vers de  nouveaux horizons que je découvre et que j’aimerais  retranscrire sur un support physique.

Cette inspiration arrive sous plusieurs formes, que ce soit par expérimentation, par une histoire vécue ou d’une manière spontanée que je n’arrive pas à exprimer en mots.

Je collectionne mes idées dans mon carnet de croquis, que je garde toujours sur moi, et quand je décide de faire une œuvre complète, je sélectionne les meilleurs idées/croquis, je les exploite encore plus, je les combines ensemble … tout dépend de mes intentions artistiques.

La plupart de mes peintures et dessins sont précédés d’un aperçu/croquis que je fais à partir d’un photomontage numérique des photos que je prends.

Tu es un artiste qui touche à énormément de domaines à la fois. Tu es également musicien, scénographe, sculpteur, graphiste et certainement plein d’autres choses qui nous sont inconnues. Dévoile-nous tous tes différents univers et explique-nous pourquoi tu éprouves le besoin de te décliner dans toutes ces formes d’art.

Etant un artiste pluridisciplinaire, j’aime toucher plusieurs domaines et les combiner ensemble. J’ai fait comme spécialité la scénographie par envie de toucher plusieurs domaines artistiques tels que le théâtre et cinéma. Puis j’ai travaillé dans quelques boîtes de communication en développant mes propres projets en parallèle, cela m’a ouvert la porte vers le design graphique, la peinture numérique et la sculpture 3D.

Je suis également musicien, chanteur, j’écris mes propres paroles et je compose ma propre musique en collaboration avec mon frère.

Quels sont tes projets dans un futur proche ?

Je prépare actuellement ma première exposition personnelle, qui aura lieu à la Fondation de la Maison de la Tunisie à Paris, pendant le mois de Mai.

Je suis également en train de préparer un album musical  qui va être présenté au public sous forme de singles dans un premier temps, puis  en album physique après la sortie des 12 chansons.

Cet album a pris presque 5 ans pour être développé avec nos propres moyens.

La sortie du premier single va être annoncée très prochainement.

DHARMA MYRIAM ZERAMDINI